Paola Ventrone et Laura Gaffuri (dir.) Images, cultes, liturgies Les connotatio
Paola Ventrone et Laura Gaffuri (dir.) Images, cultes, liturgies Les connotations politiques du message religieux Éditions de la Sorbonne Une tradition liturgique et ses messages implicite : remarques sur l’horizon de réception politique de l’ ambrosianum mysterium à Milan Patrick Boucheron DOI : 10.4000/books.psorbonne.17088 Éditeur : Éditions de la Sorbonne, École française de Rome Lieu d'édition : Éditions de la Sorbonne, École française de Rome Année d'édition : 2014 Date de mise en ligne : 1 février 2019 Collection : Histoire ancienne et médiévale ISBN électronique : 9791035101527 http://books.openedition.org Référence électronique BOUCHERON, Patrick. Une tradition liturgique et ses messages implicite : remarques sur l’horizon de réception politique de l’ambrosianum mysterium à Milan In : Images, cultes, liturgies : Les connotations politiques du message religieux [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2014 (généré le 29 janvier 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/psorbonne/17088>. ISBN : 9791035101527. DOI : 10.4000/books.psorbonne.17088. PATRICK BOUCHERON Une tradition liturgique et ses messages implicites: remarques sur l’horizon de réception politique de l’ambrosianum mysterium à Milan En 1490, à Milan, un certain Johanne di Sazii écrivait en langue vulgaire des Ricordan- ze pieux qu’il intitulait Laudi spirituali, leggende, orazioni. On y peut lire l’impression sensible que lui avaient procurée des prières entendues dans différentes églises milanai- ses, «en l’honneur du Dieu très haut et tout puissant, de la glorieuse Vierge Marie, de notre père saint Ambroise et de tous les saints et toutes les saintes de la vie éternelle»1. S’adressant à un destinataire fi ctif, il y décrit, en un passage particulièrement intéres- sant qu’avait repéré Enrico Cattaneo2, «ce que tu dois penser lorsque tu vas à l’église». La messe y est considérée à la fois comme la célébration des noces entre le Christ et les fi dèles et comme un rituel de paix entre Dieu et les âmes des pécheurs – car l’église est à la fois «la maison de Dieu et le palais de l’empereur de la vie éternelle»3. D’emblée politique, la perception de ce laïc ne s’attarde guère sur les subtilités liturgiques de l’offi ce. Mais toutes ses parties chantées suscitent une impression sen- sible qui est rendue par l’idée d’allégresse: c’est vrai du «chant de joie qu’est le Gloria in escelsis deo et caetera» comme de l’Aleluya que les fi dèles chantent «en signe de grande joie, et tu dois alors penser qu’il s’agit des trompettes, des violes, des cithares et de tous les autres instruments» du concert angélique qui résonne dans le cœur des fi dèles4. L’église et le palais, l’ampleur du chœur des anges et l’intimité du cœur 1 Milano, Biblioteca Trivulziana, Cod. 92 (H 125): «Questo libro si è de Iohanne di Sazii, scripto per sua mane propria, ad honore de l’alto e superno Dio e de la glorioxa Vergene Maria e de Sancto Ambroxio patre nostro a tuti li santi e sante de vita eterna, 1490, fornito a dì XI de novembre. E sii noto e manifesto a zescha- duna fedele persona, che legiarà questo libro, voglia dire per sua gratia una Ave Maria per l’anima de colui che à scripto questo libro MCCCCLXXXX». 2 Ibid., ff. 111v-115r, partiellement édité dans E. CATTANEO, Un Milanese a Messa alla fi ne del Quattrocento, «Ambrosius», XXXVIII (1962), pp. 1-14. 3 Ibid., p. 5: «Dilch`o, prima, che tu dì pensare quando tu voy andare a la giexa, e dire a te medesmo unde vay; pensa che ta vay alla chaxa de dio e al palazo de lo imperatore de vita eterna, in lo quale se fa la pace tra dio e l’anima del peccatore e si se ghe fa le noze intra cristo suo fi olo e le anime nostre, che sonon spoxate a luy, cioè quele che sono in stato de gratia et amano luy sopra tute le cose». 4 Ibid., pp. 6-7: «Et quando el dice chirieleyson, che se dice nove volte per memoria de novy ordine de angeli che sono in cello, pensa che de zascuno ordine si ne descende alquanti a quela messa per noy adiutare e per movere y core nostri a devotione, aspetando el signore che de venire; e in segno di questo se dice incontinente 74 PATRICK BOUCHERON des hommes: il est troublant de retrouver, sous la plume d’un modeste mémorialiste de la fi n du XV e siècle, le récit d’une mobilisation émotive qu’Augustin attribuait, mille ans auparavant, à la fonction «consolante et sainte» de ces «chants célestes» que constituent les hymnes ambrosiens, en ce jour d’avril 387 où il reçut le baptême des mains d’Ambroise5. Ainsi se constitue une communauté d’émotions entendue com- me «concert mélodieux» des voix et des cœurs accordés, qui non seulement s’étend à «toute une ville» mais s’impose à sa mémoire, continuant au-delà à se diffuser «parmi nous»6. On ne saurait mieux dire la triple effi cacité – émotionnelle, communautaire et mémorielle – de l’action liturgique. Durant tout le moyen âge, et même bien au-delà, le specifi cum liturgique baptisé à Milan du nom de son saint patron Ambroise constitue une ressource discursive d’identifi cation civique et de mobilisation collective. L’une comme l’autre trouvent leur origine dans une scène primitive: celle de la semaine sainte de l’an 386, durant laquelle Ambroise, le bon pasteur, rassembla le troupeau de ses fi dèles dans l’une des basiliques milanaises que l’impératrice Justine voulait soustraire au culte catholique nicéen7. Encerclé par la troupe des soldats goths, le peuple en prière y entonne à l’unisson ce chant nouveau, qui avait cours dans l’Orient chrétien mais dont l’Occi- dent ignorait jusqu’alors l’usage public: ce sont les hymnes, chant de vigilance et de résistance, auquel Ambroise allait donner son nom, avant qu’ambrosius ne s’applique à la tradition liturgique tout entière. Dès lors, celle-ci se vit comme une basilique quelo canto de alegreza, zioè gloria in escelsis deo et cetera: lo qual canto se li angeli in quela hora che christo nassete per insegnare a li homini como lo dovesse laudare e rengratiare de tanto benefi cio e tu dì guardare e alegrarte de questo angelico canto e dirlo con loro se tu lo say […]. In continente poy se canta aleluya in segno de grandissima alegreza, et tu di alora pensare che queste son le trombe e le violle e le githare con tuti li altri instrumenti che se fa in contra al nostro signore, che vene a alegrete in lo tuo core e fa festa aspetando de vedere el to signore». 5 AURELII AUGUSTINI EPISCOPI Confessionum libri XIII, L. Verheijen (ed.), Turnhout, Brepols, 1981 [“Cor- pus Christianorum Series Latina”, (CCSL) 27], IX, VI.14, p. 141: «Quantum fl evi in hymnis et canticis tuis suave sonantis ecclesiae tuae vocibus commotus acriter! Voces illae infl uebant auribus meis et eliqua- batur ueritas in cor meum et exaestuabat inde affectus pietatis, et currebant lacrimae, et bene mihi erat cum eis»; Ibid., IX, VII.15, p. 141: «Non longe coeperat Mediolanensis ecclesia genus hoc consolationis et exhortationis celebrare magno studio fratrum concinentium vocibus et cordibus. Nimirum annus erat aut non multo amplius, cum Iustina, Valentiniani regis pueri mater, hominem tuum Ambrosium persequeretur haeresis suae causa, qua fuerat seducta ab Arrianis. Excubabat pia plebs in ecclesia mori parata cum episco- po suo, servo tuo. Ibi mea mater, ancilla tua, sollicitudinis et vigiliarum primas tenens, orationibus vivebat. Nos adhuc frigidi a calore spiritus tui excitabamur tamen civitate attonita atque turbata. Tunc hymni et psalmi ut canerentur secundum morem orientalium partium, ne populus maeroris taedio contabesceret, institutum est: ex illo in hodiernum retentum multis iam ac paene omnibus gregibus tuis et per cetera orbis imitantibus». 6 Sur la notion de communauté émotionnelle envisagée comme groupe humain où les acteurs adhérent à des normes identiques d’expressions émotionnelles en même temps qu’au système de valeurs qui leur est associé, voir B. ROSENWEIN, Emotional Communities in the Early Middle Ages, Ithaca/Londres, Cornell UP , 2006, et la note critique de P . NAGY, Les émotions et l’historien: des nouveaux paradigmes, in Émotions médiévales, «Criti- que», LXIII (2007), pp. 10-22. 7 G. NAUROY, Le fouet et le miel. Le combat d’Ambroise en 386 contre l’arianisme milanais, «Recherches Augusti- niennes», XXIII (1988), pp. 3-86. Voir aussi P . BOUCHERON, Au cœur de l’espace monumental milanais. Les rem- plois de Sant’Ambrogio (IXe-XIIIe siècles), in P . TOUBERT - P . MORET (eds.), Remploi, citation, plagiat. Conduites et pratiques médiévales (Xe-XIIe siècle), Madrid, Casa de Velázquez, 2009, pp. 161-190. UNE TRADITION LITURGIQUE ET SES MESSAGES IMPLICITES 75 assiégé – car après Justine viendra Charlemagne, et après lui Barberousse, ces assauts impériaux répétés faisant de l’ambrosianum mysterium un patrimoine à préserver – et à réformer pour assurer sa préservation8. On ne prétend pas, dans les quelques pages qui vont suivre, apporter du neuf sur cette question si complexe, faisant l’objet de tant d’analyses savantes, mais sim- plement esquisser ce qui pourrait être l’horizon de réception politique d’une telle tradition liturgique9. On suivra pour se faire la leçon modeste d’un manuscrit dont les notations marginales donnent des premières indications sur les implications poli- tiques du message religieux, pour reprendre la formule même uploads/Religion/ psorbonne-17088-pdf.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 09, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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