Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 19
Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1989 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 12/12/2022 4:49 a.m. Laval théologique et philosophique Questionner le sacré et la religion d’aujourd’hui à partir de Durkheim. En marge du récent ouvrage de José A. Prades. Jean-Paul Rouleau Volume 45, Number 3, octobre 1989 URI: https://id.erudit.org/iderudit/400483ar DOI: https://doi.org/10.7202/400483ar See table of contents Publisher(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (print) 1703-8804 (digital) Explore this journal Cite this article Rouleau, J.-P. (1989). Questionner le sacré et la religion d’aujourd’hui à partir de Durkheim. En marge du récent ouvrage de José A. Prades. Laval théologique et philosophique, 45(3), 437–444. https://doi.org/10.7202/400483ar Laval théologique et philosophique, 45, 3 (octobre 1989) □ note critique QUESTIONNER LE SACRÉ ET LA RELIGION D'AUJOURD'HUI À PARTIR DE DURKHEIM EN MARGE DU RÉCENT OUVRAGE DE JOSÉ A. PRADES Jean-Paul ROULEAU D ANS cette réaction à la dernière publication de José A. Prades •, je voudrais d'abord présenter rapidement ma perception globale de cet ouvrage, puis donner suite à l'entreprise à laquelle il nous invite, c'est-à-dire risquer quelques actualisations de Durkheim dans la perspective de certaines analyses du sacré et de la religion vécus et observés au sein de la modernité. I. PRADES AU SUJET DE DURKHEIM Les sociologues considèrent à juste titre Durkheim comme l'un des fondateurs sinon comme «le» père de leur discipline. À son époque, plus que tout autre « scientiste social », il a contribué à dégager la sociologie naissante des langes de la philosophie et de la théologie où elle était encore enveloppée, même après Saint- Simon et Auguste Comte. Aujourd'hui la question se pose pour ce père fondateur, comme du reste pour tous les autres: quelle valeur et quelle pertinence conservent encore en pleine modernité l'appareil conceptuel, les méthodes et les théories mis au point par Durkheim et les connaissances de la réalité qu'il en a tirées? C'est vers une réponse à cette question que nous oriente José A. Prades au sujet d'une composante importante de la pensée de Durkheim: celle sur le sacré et la religion. Dans ce but, son livre Persistance et métamorphose du sacré procède à une analyse critique attentive, minutieuse et bien documentée de l'évolution et du contenu du discours durkheimien en quête d'une définition de la religion, du sacré et de leurs origines dans l'humanité. Pour chacun de ces thèmes de base d'une sociologie de la religion, l'auteur ne se contente pas d'une simple reconstitution du cheminement de la 1. José A. PRADES, Persistance et métamorphose du sacré. Actualiser Durkheim et repenser la modernité. Paris, Presses universitaires de France, coll. «Sociologie d'aujourd'hui», 1987, 336 p. 437 JEAN-PAUL ROULEAU pensée du fondateur et de ce qu'il estime être son vrai sens. Il examine aussi les vues de plusieurs de ses différents commentateurs et prend position lui-même sur les principaux points en litige. À plusieurs reprises en cours de développement et en conclusion, Prades dénonce les incompréhensions, les erreurs d'appréciation et même les injustices dont a été victime l'effort théorique de Durkheim sur la religion. Pour s'être laissés obnubiler par les limites des bases empiriques de ses recherches et par l'insuffisance de sa théorie explicative de l'origine de la nature ou du sentiment religieux de la personne humaine, les adversaires et même beaucoup de disciples de Durkheim sont passés à côté de l'ampleur de ses perceptions et de leur valeur heuristique. Pour être valable scientifi- quement, un concept ou une théorie ont-ils besoin de rendre compte de tout le réel qu'ils veulent expliquer? Même limités, voire erronés, ne peuvent-ils pas ouvrir de nouveaux horizons, suggérer de nouvelles pistes de recherche? C'est ce qu'affirme avec beaucoup d'empathie et de conviction l'auteur de Persistance et métamorphose du sacré à propos des concepts durkheimiens de religion, de sacré, du principe totémique et de ce qu'il appelle « l'explication sociétiste des origines de la religion ». Bien comprises et saisies comme des approches globales plutôt que comme des explications valides dans tous leurs détails, ces notions et ces théories lui paraissent susceptibles de retrouver une fécondité nouvelle dans la recherche d'une intelligence de la permanence du sacré et de sa configuration polymorphe dans la société contemporaine. À n'en pas douter, les affirmations multiples et répétées de l'auteur sur la pertinence de Durkheim pour l'étude du sacré et de la religion d'aujourd'hui finissent par piquer la curiosité du lecteur. En refermant le volume, celui-ci se surprend à vouloir essayer de vérifier les hypothèses de Prades. Avant même d'être parvenu à la dernière ligne, son esprit commençait déjà d'ailleurs à tenter de mettre en relation certains traits du religieux qui l'environne avec des concepts ou des propositions théoriques des Formes élémentaires de la vie religieuse ou d'autres écrits du maître retenus par Prades. Très tôt cependant, le lecteur se rend compte que pour procéder systématiquement à de tels rapprochements et en mesurer la fécondité ou la non- pertinence, il lui est nécessaire d'acquérir une idée plus complète, plus précise et plus structurée des principales caractéristiques du sacré et de la religion dans la modernité. Ce n'est que muni de cette perception plus affinée de la réalité contemporaine qu'il pourra évaluer avec plus de justesse l'exactitude des avancées de Prades sur la portée heuristique actuelle des percées de Durkheim dans la connaissance et la compréhension du fait social et du fait religieux. Pénétré de cette intuition et inspiré par cette vision de la démarche, j'essaierai donc dans les pages qui vont suivre d'évoquer quelques traits majeurs du sacré et de la religion dans la culture contemporaine marquée par la modernité. Pour ce faire, je m'inspirerai de quelques auteurs récents qui ont réalisé des recherches et réfléchi sur ce sujet. Par la suite, je mettrai ces observations en relation avec les définitions du sacré et de la religion et avec les propositions théoriques du principe totémiste et de l'explication sociétiste des origines de la religion mises au point par Durkheim et explicitées par Prades. Au terme de ces confrontations, peut- être pourrons-nous apprécier avec encore plus de justesse la valeur heuristique de 438 QUESTIONNER LE SACRÉ ... Durkheim pour cerner et comprendre les phénomènes religieux de la société contemporaine. II. PRINCIPAUX TRAITS DU SACRÉ ET DU RELIGIEUX AUJOURD'HUI Quand on observe et qu'on analyse les attitudes et les comportements religieux des peuples d'Occident aujourd'hui, on constate que l'autorité des organisations religieuses dans la définition du sacré et de la religion s'est substantiellement amenuisée depuis l'expansion de la modernité et de ses effets dans la quotidienneté et dans les masses populaires. Même si, dans certaines Églises et groupes religieux, des minorités, et parfois des minorités importantes, de fidèles continuent de mouler leurs expériences religieuses dans les cadres et les formes que leur fournissent les théologiens et les chefs, il reste que depuis quelques décades, l'individualité et la subjectivité, le vécu, l'expérience, le verifiable exercent une influence de plus en plus large et de plus en plus importante dans la définition du contenu et dans l'expression des rapports entre la personne humaine et le sacré. Une telle constatation globale se dégage aussi bien des études sur les nouveaux mouvements religieux et les effervescences sacrales dans les grandes religions que des analyses de la religiosité de la femme et de l'homme aux prises avec le processus de sécularisation de la modernité. Dans leur ouvrage Vers un nouveau christianisme?2, Danièle Hervieu-Léger et Françoise Champion insistent sur la dimension expressive du moi véhiculée en 1968 et après, par la contre-culture et la culture psychédélique, à l'origine, selon elles, de plusieurs mouvements religieux ou qui le sont devenus par la suite. Dans la même veine, elles prédisent pour l'avenir la persistance dans le christianisme des orientations émotionnelles introduites ou remises à la mode par les renouveaux charismatiques et pentecôtistes. De son côté, Reginald W. Bibby, observant la religion des Canadiens et des Canadiennes dans son livre La religion à la carte3, prétend que ceux-ci n'ont pas renié les dieux de leurs origines, qu'ils ne se sont pas non plus tournés vers des dieux nouveaux. Ils ont tout simplement mis les dieux en pièces, les anciens comme les nouveaux, et ils se nourrissent maintenant des débris de leur carnage, chacun et chacune composant son propre menu selon son appétit et ses besoins. Liliane Voyé4, dans le compte rendu de trois recherches auprès de professeurs de religion en France et déjeunes en Belgique, élargit le débat. Elle montre que le sacré, s'il conserve encore son caractère de réalité «fascinans et tremendum», déborde les produits institutionnels à base de surnaturel et de divin et qu'il gîte aussi dans la relation primaire, dans le quotidien, dans l'ici et le maintenant, dans le vécu. Le sacré aujourd'hui, c'est ce uploads/Religion/ questionner-le-sacre-et-la-religion-d-x27-aujourd-x27-hui-a-partir-de-durkheim-en-marge-du-recent-ouvrage-de-jose-a-prades.pdf