Un théologien : Hans Urs von Balthasar Parmi les théologiens de profession comm

Un théologien : Hans Urs von Balthasar Parmi les théologiens de profession comme parmi les chrétiens soucieux d'approfondissement spirituel et doctrinal, il n'est sans doute personne aujourd'hui qui n'ait, au cours de ses lectures, rencontré Hans Urs von Balthasar et n'ait été séduit, intrigué ou interpellé par quelque fragment de cette œuvre dense aux infinies ramifica- tions. Pourtant cette œuvre non seulement n'est pas toujours facile à comprendre mais se laisse difficilement saisir da-ns son ensemble et ses vraies proportions. Les esprits trop classiques sont déroutés par une manière qui s'écarte délibérément des canons « scientifiques» et académiques et par une culture qui, en maints ouvrag-es, paraît mélanger les genres. Ils se demandent s'ils ont affaire à un théolo- gien de métier, et non pas par exemple à un spirituel ou même à un poète. Au surplus, bien que le public français ait accès à beaucoup d'ouvrages, quelques-uns des plus importants, des plus explicites, n'ont pas ou pas encore été traduits. Aucune étude d'ensemble non plus, en dehors de brefs articles, n'a été publiée jusqu'ici sur cette pensée et beaucoup de lecteurs risquent, pour l'avoir abordée sous un biais trop particulier ou dans un domaine trop réduit, d'en retenir une image partielle et, par là, fausse. Il paraît donc utile de consacrer a. ce théologien, qu'à tort ou à raison — seule la familiarité avec l'œuvre peut en décider — nous considérons comme le plus « véri- tablement théologien » de notre temps, un article qui ne veut être qu'une présentation générale. Notre propos tend à percevoir l'unité vivante de son ceuvre. Il se réaliserait par trois approches successives et, pour ainsi dire, concentriques (en faisant l'épargne d'une première approche qui serait purement bioi-bibliographique 1). Une première manière de com- 1. Nous pouvons renvoyer aujourd'hui à l'excellent article de H, VORGKIMLER, Portraits df théologiens, Hau Urs von Bàtthasar, dans Bilan df la Théologie 1010 J. M. FAUX, S.J. prendre une œuvre, de saisir pourquoi des thèmes sont préférés et des positions prises par un auteur, est d'étudier le milieu culturel où il se situe, les champs que sa recherche aborde, les influences qui s'exercent sur lui (première partie). Mais il y a quelque chose de plus important que le « confluent des tendances » 2 où tout pen- seur se trouve placé, ce sont les sources profondes où son inspiration s'alimente, les rencontres historiques ou personnelles et les motions intérieures qui font l'originalité de la personne et engendrent son univers spirituel et intellectuel (deuxième partie). Enfin, pour le théologien cet univers ne peut être le fruit de la seule subjectivité, il naît de l'accueil dans la foi d'une réalité objective : celle de Dieu même, dont l'Amour se révèle et se communique en Jésus-Christ dans le déploiement de l'histoire du salut. Peu de théologiens ont, avec autant de conséquence que notre auteur, soumis leur pensée au donné de la Révélation. On ne peut en définitive comprendre cette œuvre que si on la voit se composer dans l'obéissance à la Réalité elle-même et trouver en celle-ci son unité (troisième partie). Ces trois enquêtes concentriques (qui coïncideront en partie avec un par- cours chronologique de la vie et des écrits) nous conduiront, espé- rons-nous, jusqu'au cœur de l'oeuvre. Ce parcours est évidemment très rapide et, en bien des endroits pour ne pas dire partout, le lec- teur restera sur sa faim. Que cette faim l'incite a. lire Balthasar et nous aurions atteint notre but. Ce n'est qu'une introduction et nous sommes cruellement conscient de son insuffisance ; nous pensons au moins ne pas avoir trahi le mouvement et l'inspiration de cette théologie ni trop fait œuvre de «terrible simplificateur». au XX' siècle. Paris-Tournai, Casterman, 1970, t. II, p. 685-706, ainsi qu'aux deux introductions publiées par Balthasar lui-même ; Kfeiner Lcigefiîan fur même Bûcher, Einsiedein, Johannes-Verlag, 1955 et Rechenschaft 1965, avec une bibliographie rassemblée par Bertiie Widmer, ibid., 1965. Rappelons brièvement quelques données biographiques. Né en 1905 à Lucerne, Hans Urs von Balthasar, après des études secondaires aux. collèges d'Engelberg (O.S.B.) et de Feldkirch (S.J.), étudie la philosophie et la littérature allemande a, Munich, Vienne et Berlin. En 1929, il présente sa thèse à Zurich puis entre dans la Compagnie de Jésus. Etudes philosophiques de 1929 à 1933 à Pullach, théologie de 1934 à 1938 à Fourvière-Lyon ; en 1938 et 1939, résidence et tra- vail à Munich (Stimmen. der Zeit); de 1940 à 1948, aumônier des étudiants à Baie. Quitte la Compagnie de Jésus en 1950 ; incardiné au diocèse de Coire, il vit à Baie, exerçant une activité d'écrivain, de traducteur et d'éditeur (il dirige les éditions Johannes-Verlag, Einsiedein). Depuis 1969, il tait partie de la Commission Pontificale des Théologiens et depuis cette année il participe à la direction de la revue Internationale kathoUsche Zeitschrîft - Cowmunio. D'autres éléments biographiques importants apparaîtront dans le cours de l'article- 2. « Quel grand penseur n'est pas au confluent de tendances diverses ? Jamais le regard en arrière vers les sources et les éléments ne remplacera le regard en avant et qui s'efforce de saisir la synthèse opérée, la nouveauté irréductible. Le fruit, bien que contenu dans les racines, est toujours chose nouvelle et inattendue. » Présence et pensée. Essai sur la philosophie religieuse de Gré- goire de Nyssc, BeauchcBne, 1942, p. 15. UTÎ THÉOLOGIEN : HANS URS VON BAI,THAaAH 1011 I. — Milieu, influences, auteurs étudiés 1. En 1929, le jeune universitaire présente une thèse à Zurich sous le titre : Histoire du problème esch-atoîogîque dans la littérature allemande, étude qui sera reprise et développée dans les années suivantes Jusqu'à constituer l'ouvrage ; Apokaîypse der deutschen Seeles. Le thème et le centre de perspective en est le « problème eschatolog-ique », c'est-à-dire celui du rapport de l'âme à son destin infini, tel que ce rapport est vécu dans le champ historique de l'existence humaine ; le champ historique effectivement couvert est celui des 150 années qui aboutissent à 1930 et principalement, mais non exclusivement, le domaine allemand (Kierkegaard, Dostoîevsky, Bergson occupent aussi une grande place) : de VAufklarung à la phénoménologie et à Barth. Sous l'angle de Veschafon (qui. est, dit Balthasar, le lieu de la théologie), c'est une histoire réfléchie de la pensée allemande, qui relève a. la fois de la théologie, de la philo- sophie et de l'art (c'est-à-dire de la littérature). L'ouvrage surprend par son ampleur ; elle ouvre l'immense horizon intellectuel et spiri- tuel sur lequel s'inscrira ou plutôt auquel s'affrontera la pensée de ce chrétien : déjà il s'agit de placer le destin de l'âme allemande sous la lumière de la foi et l'on assiste au retrait apocalyptique du Dieu vivant à travers la tentative prométhéenne de l'idéalisme alle- mand (1er volume), l'exaltation dionysiaque de la vie (2e volume, sous le signe de Nietzsche) et le sursaut de l'esprit qui affronte et divinise la mort (3e volume : Phénoménologie et Barth). Barth, au terme de cette aventure de l'âme, représente l'abrupte volte-face de la théologie dionysiaque à la théologie du Christ, et le chapitre qui lui' est consacré amorce la conclusion qui reprend les problèmes escha- tologiques dans l'éclairage de YEschafon du Christ. Toute étude qui abordera Balthasar principalement sous l'angle philosophique et de l'histoire de la pensée devra partir de cette oeuvre, qui est comme le lieu de naissance de sa théologie. A partir de là il est aisé de situer ce théologien (ou' de deviner comment il se situera) par rapport aux avatars de la théologie allemande protestante contemporaine, de Barth à Moltmann4. 3. Apokaîypse der deutschen Seeie. Studien zu einer Lehre von letzten Haltwngen, Salzbourg, Pustet. Bd. 1 : Der deuîsche Idealiswus, 1937 ; Bd. 2 ; Im Zeichen Nietssches, 1939 ; Bd. 3 : Die V ergoUlichung des Todes, 1939. Deuxième édition du premier volume sous le litre : Prometheus, Heideiberg, Kerle, 1947. Un extrait de ce premier volume (première partie du chapitre terminal) a été traduit en français et publié dans Dieu vivant, 1 (1945) 55-80 : Kierkegaard et Nietzsche. 4. Tels que les décrit notamment H. ZAIÎRNT, Die Sache mit Gott. Die protestantische Théologie im zwanzigsten Jahrhundert, Munich, 1966 (Alix prises avec Dieît. La théologie protestante au XX" siècle. Cerf, 1969). 1 0 1 2 J. M. FAUX, S.J. 2. « On pourrait distinguer trois sortes d'esprits, parmi ceux qui, vers la trentième année, ont achevé une vaste synthèse comme cette Apocalypse : les mis, après cet effort auquel ils ont tout donné, n'écriront plus rien ; d'autres, prisonniers de leur sujet, passeront le reste de leur vie à le monnayer ou à explorer les zones limitrophes de leur premier domaine ; les meilleurs enfin, comme Ealthasar, bondiront aussitôt vers de nouveaux terrains d'exploration et, alors qu'on croyait pouvoir les situer dans une spécialité définie, iront faire preuve ailleurs d'une égale maîtrise » i>. Effectivement, pendant ses années d'études théologiques à Fourvière, Balthasar pénètre dans un tout autre domaine, les études patristiques. Il participe ainsi à un mouvement plus vaste qui travaille à cette époque le milieu théo- logique de Fourvière, sous uploads/Religion/ un-theologien-hans-urs-von-balthasar.pdf

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  • Publié le Fev 10, 2021
  • Catégorie Religion
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