Une interview de Jean-Claude Larchet par Orthodoxie.com L’origine, la nature et
Une interview de Jean-Claude Larchet par Orthodoxie.com L’origine, la nature et le sens de la pandémie actuelle. 4 avril 2020 par Jivko Panev Jean-Claude Larchet, vous êtes un des premiers à avoir développé une réflexion théologique sur la maladie, la souffrance, la médecine. Votre livre « Théologie de la maladie » paru en 1991 a été traduit en de nombreuses langues, et en relation avec l’épidémie du covid-19, il va paraître prochainement en traduction japonaise. Vous avez publié aussi une réflexion sur la souffrance : « Dieu ne veut pas la souffrance des hommes », qui a paru également dans divers pays. Tout d’abord quelle est votre opinion générale sur l’épidémie que nous connaissons actuellement ? Je n’en suis pas étonné : il y a, depuis des millénaires, environ deux grandes épidémies par siècle, et plusieurs autres épidémies de moindre importance. Leur fréquence s’accroît cependant de plus en plus, et la concentration de population dans notre civilisation urbaine, la circulation favorisée par la mondialisation, ainsi que la multiplicité et la rapidité des moyens de transport modernes les transforment facilement en pandémies. La présente épidémie était donc prévisible, et annoncée par de nombreux épidémiologistes qui ne doutaient pas de sa venue, ignorant seulement le moment précis où elle surviendrait et la forme qu’elle prendrait. Ce qui est surprenant, c’est le manque de préparation de certains États (l’Italie, l’Espagne et la France notamment), qui au lieu de prévoir le personnel médical, les structures hospitalières et le matériel nécessaire pour affronter le fléau, ont laissé se dégrader l’hôpital et laissé externaliser (en Chine, comme tout le reste) la production de médicaments, de masques, de respirateurs, dont on manque aujourd’hui cruellement. Les maladies sont omniprésentes dans l’histoire de l’humanité, et il n’est pas d’homme qui ne les rencontre pas au cours de sa vie. Les épidémies sont simplement des maladies qui sont particulièrement contagieuses et se répandent rapidement jusqu’à atteindre une part importante de la population. La caractéristique du virus covid-19 est qu’il affecte gravement le système respiratoire des personnes âgées ou fragilisées par d’autres pathologies, et qu’il a un haut degré de contagiosité qui sature rapidement les systèmes de soins intensifs par le grand nombre de personnes atteintes simultanément dans un court laps de temps. Les Églises orthodoxes ont réagi par étapes, à des vitesses et sous des formes variables. Qu’en pensez-vous ? Il faut dire que les différents pays n’ont pas été atteints par l’épidémie au même moment ni au même degré, et chaque Église locale a adapté sa réaction à l’évolution de la maladie et aux mesures prises par les États. Dans les pays les plus atteints, la décision d’arrêter la célébration des offices a été prise rapidement, à quelques jours de différence seulement. Ne prévoyant pas un tel arrêt dans l’immédiat, certaines Églises (comme l’Église russe) ont pris des mesures pour limiter la contamination possible au cours des services liturgiques ou de la dispensation des sacrements ; aujourd’hui elles sont contraintes de demander aux fidèles de ne pas venir à l’église. Ces différentes mesures ont suscité des débats et même des polémiques, de la part du clergé, des communautés monastiques, des fidèles, des théologiens… Un premier objet de polémique a été la décision de certaines Églises de modifier les modalités de la communion eucharistique. À cet égard, il faut distinguer deux choses : les à côtés de la communion et la communion elle-même. Il peut y avoir un risque de contamination par les « à côtés » de la communion : le fait d’essuyer les lèvres de chaque communiant avec un même linge (comme on le fait de manière appuyée dans certaines paroisses de l’Église russe), ou de boire, après la communion, comme c’est la coutume dans l’Église russe également, la « zapivka » (mélange d’eau douce et de vin) dans les mêmes coupes. C’est la raison pour laquelle les mesures prises d’utiliser dans le premier cas des serviettes en papier et dans le deuxième cas des gobelets à usage unique (les uns et les autres étant brûlés ensuite) ne se prête à mon sens à aucune objection. En ce qui concerne la communion elle-même, plusieurs Églises ont renoncé à la façon traditionnelle de la donner aux fidèles, qui est de l’introduire dans la bouche avec la Sainte Cuiller. Certaines Églises ont préconisé dans verser le contenu dans la bouche ouverte en gardant une certaine distance par rapport à celle-ci, d’autres – comme l’Église russe – ont proposé de désinfecter la Cuiller dans de l’alcool entre deux communiants, ou d’utiliser des cuillers à usage unique qui seront ensuite brûlées. Je crois qu’aucune Église n’a supposé que le Corps et le Sang mêmes du Christ, dont toutes les prières avant et après la communion rappellent qu’il est donné « pour la santé de l’âme et du corps » soit par lui-même un facteur de contamination (on ne trouve cette dernière idée que dans un article – devenu viral sur Internet, c’est pour cette raison que je le cite – de l’archimandrite Cyrille Hovorun, qui est une somme d’hérésies). Mais des doutes sont portés sur la Cuiller elle-même, et cela suscite un débat, certains considérant surtout le fait qu’elle touche la bouche des fidèles, d’autres considérant surtout le fait qu’étant trempée dans le Corps et le Sang du Christ, elle est désinfectée et protégée par eux. Ces derniers notent que les prêtres qui, dans de grandes églises où il y a inévitablement parmi les fidèles des malades de toute sorte, consomment à la fin de la Liturgie le reste des Saints Dons sans jamais contracter de ce fait aucune maladie. Ils notent aussi que, durant les grandes épidémies du passé, les prêtres ont donné la communion aux fidèles contaminés sans être eux-mêmes contaminés. En ce qui concerne ce dernier point, je n’ai pas d’information sûre provenant de documents historiques. En revanche, le commentaire que, dans son « Pidalion » (recueil et commentaires des canons de l’Église orthodoxe), saint Nicodème l’Hagiorite (qui a vécu dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle) fait du canon 28 du 6e Concile Œcuménique, admet que « les prêtres fassent quelque changement dans les périodes de peste » dans leur façon d’administrer la communion aux malades, « en plaçant le Pain sacré dans quelque récipient sacré, afin que les mourants et les malades puissent le prendre avec des cuillères ou quelque chose de similaire », « le récipient et les cuillères devant être placés ensuite dans du vinaigre, et le vinaigre devant être versé dans un creuset de fondeur, ou de toute autre manière possible, plus sûre et canonique ». Cela suppose qu’à son époque (et probablement déjà avant), il était admis que l’on donne la communion par plusieurs récipients et cuillères, et que ceux-ci soient ensuite désinfectés (le vinaigre ayant, par son degré d’alcool et son acidité, des propriétés antiseptiques et antifongiques (qui, entre parenthèses, seraient tout à fait insuffisantes contre le covid-19). C’est sur ce texte, cité également dans le manuel de référence du grand liturgiste russe du XIXe siècle S. V. Boulgakov, que l’Église russe a appuyé les dispositions qu’elle a prises. Je pense pour ma part que celui qui a une foi suffisante pour communier avec confiance avec la cuiller ne court aucun risque, et que les Églises qui ont pris des dispositions spéciales l’ont fait, dans le meilleur des cas, en ayant en vue les fidèles ayant une foi plus faible et ayant des doutes. Les Églises ont en quelque sorte suivi le précepte de saint Paul qui dit : « J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles » (1 Corinthiens 9, 22). Il faut rappeler que la communion n’a pas un effet magique : comme pour tous les sacrements, la grâce est donnée en plénitude, mais la réception de la grâce est proportionnelle à la foi du récepteur (les Pères grecs utilisent le mot grec « analogia » pour désigner cette proportionnalité) à tel point qu’il est même dit par saint Paul, et rappelé, dans les prières avant la communion, que celui qui communie indignement peut en devenir malade d’âme et de corps (1 Corinthiens 11, 27-31), ou peut communier « pour sa propre condamnation ». En tout état de cause, chaque Église locale est souveraine pour prendre, par économie, toutes les dispositions utiles dans chaque circonstance particulière. Le deuxième objet de polémique a été la fermeture des églises et l’arrêt des services liturgiques. Il faut noter tout d’abord que la plupart des États n’ont pas ordonné la fermeture des églises, limitant seulement leur accès à quelques personnes, puis les visites à des individus isolés ; mais les mesures de confinement ont rendu tout déplacement et toute visite impossibles. Dans la plupart des Églises locales, cependant, la célébration des Liturgies continuent avec le prêtre, un chantre, éventuellement un diacre et un servant (sauf en Grèce, où cela a été proscrit même dans les monastères, ce qui est paradoxal s’agissant d’un pays à l’identité orthodoxe forte et où l’Église bénéficie d’une reconnaissance officielle par l’État). Des extrémistes ont développé uploads/Religion/ une-interview-de-jean-claude-larchet.pdf
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- Publié le Jan 02, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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