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© Encyclopædia Universalis France RELIGION - L'anthropologie religieuse Article écrit par Roger BASTIDE Prise de vue L'anthropologie religieuse se distingue de l'ethnologie, de l'histoire et de la sociologie des religions en ce sens qu'elle essaie de comprendre, par-delà le chaos des faits religieux, l'homme qui crée et manipule tout un symbolisme, celui du « surnaturel » ou du « sacré ». Naturellement, la première tâche de l'anthropologie religieuse est de définir ce qui distingue les symboles du sacré des autres espèces de symbolismes. Il n'y a pas d'autre issue possible, si l'on ne veut pas tomber dans les pièges de l'ethnocentrisme, que de partir chaque fois des définitions indigènes et de leurs classifications des choses en un système binaire : sacrées et profanes. L'anthropologie religieuse est née dans la seconde moitié du XIXe siècle ; malheureusement elle s'est posé au début une série de faux problèmes : ceux de l'origine, de l'évolution ou de l'essence de la religion ; de là, le discrédit où elle est tombée et dont elle ne se relève que maintenant, par un changement de perspectives. Aujourd'hui, elle apparaît soit comme un chapitre de l'anthropologie sociale (on localise les institutions religieuses dans des structures sociales et on cherche les fonctions latentes que remplissent ces institutions dans l'ensemble de la société), soit – ce qui est le point de vue soutenu ici – comme une science indépendante. Dans ce cas, la religion est étudiée dans deux dimensions : synchronique, comme un ensemble ou système cohérent de pensées, d'affects et de gestes ; et diachronique, comme un ensemble qui se modifie et qui change. Dans le premier cas, l'anthropologue propose des modèles ; dans l'autre il cherche, sinon des lois, du moins des processus généraux, comme ceux de rééquilibration du religieux par rapport au reste de la vie sociale – chaque fois que l'écart est trop grand – ou comme ceux du transfert religieux d'un domaine à un autre entièrement différent. I-Ethnologie religieuse et anthropologie religieuse Il faut faire une distinction entre ethnologie religieuse et anthropologie religieuse. L'ethnologie religieuse s'intéresse surtout aux diversités des croyances ou des pratiques religieuses des ethnies les unes par rapport aux autres : elle commence donc par l'analyse du concret, le discours sur les dieux et les rites pour entrer en communication avec eux ; lorsque, dans un second moment, elle devient comparative, elle suit alors une marche inductive ; elle s'élève peu à peu du particulier au général, mais ce général reste encore localisé à une aire culturelle, à un type de religion, animiste par exemple, ou polythéiste. Comme son nom l'indique, l'anthropologie religieuse s'intéresse plus à l'homme qu'à l'ethnie ; plus exactement, les données de l'ethnologie ne lui servent qu'à mieux cerner, à travers les cultures qui sont son œuvre, les lois générales de l'homo religiosus. Par conséquent, l'ethnologie religieuse donnera une base à l'anthropologie qui, d'autre part, ne saurait se passer de l'apport des sciences biologiques, psychologiques et sociologiques. Cette union des plus diverses disciplines doit être bien mise en lumière, car malheureusement on a tendance à faire de l'anthropologie religieuse un chapitre de l'anthropologie sociale – qui n'est qu'un autre nom de la sociologie. Or, comme le remarque Spiro, l'anthropologie sociale n'étudie pas la religion en tant que telle, mais le rôle – ou la fonction – que la religion joue dans la société : contrôle social, © Encyclopædia Universalis France intégration de l'individu à la collectivité, rébellion rituelle, thérapie, etc. Et certes, nous ne nions pas que la religion remplisse un certain nombre de fonctions utiles dans la société ; mais il y a lieu, également, d'étudier l'homme en tant que constructeur de mondes symboliques. Il y a un autre point par lequel, à notre avis, une anthropologie religieuse digne de ce nom doit se séparer de l'ethnologie religieuse. Cette dernière étudie surtout les religions des microsociétés (sociétés tribales) ; elle laisse à une autre science, la sociologie des religions, le soin d'étudier les grandes religions universalistes, celles qui dépassent les cadres des ethnies : christianisme, islam, bouddhisme. Au contraire, à la limite, l'anthropologie religieuse devrait découvrir un système qui serait applicable aussi bien aux religions universalistes qu'aux religions particularisées des toutes petites sociétés, australiennes, amérindiennes ou autres. Dans cette tâche, nous nous heurtons sans doute à de grosses difficultés. La première consisterait à tomber dans des généralités sans grande portée, à cause de leur extension même. C'est ce qui arriverait si nous partions de l'homme pour aller vers les religions créées par lui, ce qui est l'erreur d'un certain freudisme (comme celui de G. Roheim) ou d'une certaine philosophie des religions (comme celle de Tylor ou encore celle de Frazer). Mais cette difficulté n'est que la rançon d'une mauvaise méthode. Loin de partir de l'homme pour descendre vers ses œuvres, il faut au contraire partir des œuvres pour remonter vers l'homme qui y a laissé, suivant un mot de Lévi-Strauss, « la cicatrice de leur arrachement ». Il faut, si l'on préfère, considérer les religions comme des systèmes de symboles, dans le sens le plus large du terme : un instrument, un geste sont des symboles au même titre qu'un dessin ou une parole. C'est le mérite de l'école de Griaule de nous le rappeler. Mais cela ne suffit pas ; pour échapper au vague des généralités sans grande signification, nous devons bien tenir compte du différentiel et tenter, par un système de transformations, d'ordonner toutes ces différences – sans en négliger aucune – sur un axe continu, ou plusieurs. On voit toute la différence entre cette définition et celle de Cassirer. Si Cassirer a eu l'incontestable mérite de saisir l'essentiel du fait religieux, le symbolisme, il a examiné ce symbolisme à travers l'Anthropologie de Kant ; il a donc réduit le différentiel à la seule opposition entre la pensée logique et la pensée mythique. La seconde difficulté consiste dans cette liaison que nous demandons entre la biologie, la psychologie (et peut-être plus particulièrement la psychanalyse), l'ethnologie, la sociologie enfin. En bref, nous sentons bien qu'avec la seule ethnologie comparée ou la sociologie des religions, nous n'embrassons qu'une petite partie du fait religieux, que le tout de la religion n'est pas exploré, plus exactement qu'il est laissé à d'autres disciplines scientifiques. Il nous faut donc reconstruire un objet – l'objet de l'anthropologie religieuse – qui ne soit pas une simple coexistence de points de vue différents, mais où, une fois l'objet scientifique construit, on ne retrouve plus les points de couture entre les divers apports scientifiques. Peut-être alors reprochera-t-on à cette conception d'être trop statique. L'ancienne anthropologie religieuse, celle de Tylor, de Spencer, de Frazer, de Durkheim ou de Lévy-Bruhl ne s'intéressait, au contraire, qu'à l'évolution et bâtissait les théories que l'on connaît, celles du mânisme, de l'animisme, du préanimisme, du magisme, contre lesquelles Lang ou le père Schmidt ont réagi, en parlant des cultes primitifs des grands dieux. Mais chez les adversaires comme chez les tenants de l'évolutionnisme il s'agissait toujours d'une histoire – et d'une histoire hypothétique. Evans-Pritchard faisait remarquer à quoi nous avaient conduits ces luttes théoriques, quel manque d'intérêt pour le fait religieux elles avaient signifié chez les jeunes anthropologues. Ce n'est pas cependant que des faits historiques importants, tel celui de la sécularisation, n'aient pu être mis en lumière. Une anthropologie religieuse comporte donc une dynamique, implique une étude des changements. Le « religieux » se déplace, plus qu'il ne disparaît, avec les cultes nouveaux nés de la sécularisation – comme celui du Héros, celui de la Vedette – avec leurs rites extatiques ou leurs pratiques cérémonielles, avec l'apparition des sectes messianiques dues à la rencontre de cultures antagonistes ou de chapelles ésotériques qui se multiplient avec l'urbanisation. Le religieux n'est pas © Encyclopædia Universalis France toujours dans ce que l'on appelle les religions ; et, réciproquement, les religions sont souvent des rétrécissements, des institutions de défense contre le religieux, voire de simples annexes sentimentales d'un pur moralisme, celui d'une classe sociale, de la classe bourgeoise par exemple. L'anthropologie religieuse se doit d'étudier ces mécanismes de déplacement ou de remplacement. II-Le champ de l'anthropologie religieuse L'homme doit certes, pour subsister, lutter contre la nature environnante ; mais il n'envisage pas le monde seulement à travers ses besoins physiques. Il donne aux choses un sens qui les arrache au simple donné objectif pour les faire entrer dans le domaine des symboles ou des valeurs. L'anthropologie religieuse part de la constatation de l'existence, à côté de l'activité technique, d'une autre activité, spécifique de notre condition humaine : l'activité symbolique. Mais qu'est-ce qui distingue les symboles religieux – les actes d'appréhension, les actes de construction ou d'utilisation de ces symboles comme l'ensemble des attitudes envers eux – des autres symboles culturels ? En un mot, qu'est-ce qui définit la sphère du religieux ? Cette question n'a pas grand sens pour les peuples que l'on appelait autrefois primitifs, car l'ensemble du culturel est à peu près coextensif à l'ensemble du religieux. Le mythe détermine les gestes de l'agriculteur, du chasseur ou du pêcheur, comme le plan uploads/Religion/ r-bastide-anthropologie-religieuse-pdf.pdf
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- Publié le Apv 02, 2021
- Catégorie Religion
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