—1— Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série XXIII. Lettre au sultan al

—1— Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série XXIII. Lettre au sultan al-Nāṣir concernant les Tatars En ṣafar 700 / octobre 1300, l’īlkhān mongol d’Iran, Ghāzān Maḥmūd, traversa l’Euphrate dans l’intention d’envahir une fois de plus le sultanat mamlūk syro-égyptien. La panique fut d’autant plus grande à Damas que le sultan al-Nāṣir Muḥammad, après avoir fait mouvement vers la Syrie, rebroussa chemin vers l’Égypte avec le gros de son armée, arrêté par la rigueur de l’hiver et les difficultés d’une expédition mal préparée. Au début de jumādā I 700 / mi-janvier 1301, alors que les Tatars dévastaient le nord de la Syrie, le vice-sultan de Damas et ses émirs chargèrent Ibn Taymiyya de se rendre au Caire pour convaincre al-Nāṣir Muḥammad de revenir affronter l’envahis- seur. Selon Ibn Kathīr, le shaykh damascain s’adressa au sultan mam- lūk et à son entourage en ces termes : « “ Si vous vous détournez de la Syrie et négligez de la protéger, nous lui nommerons un sultan qui prendra soin d’elle, la protègera et en tirera profit en temps de paix. ” Il ne cessa pas de les [inciter] à envoyer des troupes en Syrie. Il leur dit par ailleurs : “ Dans l’hypothèse où vous ne seriez ni les dirigeants de la Syrie, ni ses rois, et que ses habitants vous appellassent à l’aide, ce serait pour vous une obligation de les aider. Comment, [a fortiori, est-ce plus obligatoire encore] vu que vous en êtes les dirigeants et les sultans, qu’ils sont vos sujets et que vous êtes responsables d’eux ! ” Il renforça leur bravoure et les assura, cette fois, de la victoire. Ils firent donc mouvement vers la Syrie et, quand les troupes y arrivèrent, les gens se réjouirent grandement, après avoir désespéré au sujet d’eux- mêmes, de leurs familles et de leurs biens1. » Alors que les grandes lignes de l’engagement d’Ibn Taymiyya contre l’envahisseur tatare de la Syrie en 699/1299 et dans les années suivantes sont connues, plusieurs dimensions en restent mal perçues. En outre, tous les textes dans lesquels il traite des Mongols sont loin d’avoir été répertoriés, traduits et étudiés2. La présente traduction de la lettre du shaykh damascain au sultan mamlūk al-Nāṣir « concernant les Tatars » devrait contribuer à améliorer quelque peu la situation3. Cette lettre constitue par ailleurs un précieux témoignage autobiogra- phique sur la nature des interventions du théologien mufti auprès des autorités cairotes en faveur du jihad anti-mongol, telles qu’Ibn Kathīr en évoque une mais dont il ne souligne en fait qu’un aspect4. 1. IBN KATHĪR, Bidāya, t. XIV, p. 17, an 700. 2. Les plus connus de ces textes sont trois fetwas dits « anti- mongols » ; voir IBN TAYMIYYA, Majmū‘ al-fatāwā, éd. IBN QĀSIM, t. XXVIII, p. 501-553 ; traduction d’extraits in Y. MICHOT, Textes spirituels XI-XIII ; traduction intégrale du Fetwa I (MF, t. XXVIII, p. 501-508) in T. MOREL, Deux textes anti-mongols d’Ibn Taymiyya, in The Muslim World, 105, Hartford, juillet 2015, p. 368-397 – p. 387- 397. Dans ce même article (p. 373-387), T. Morel a aussi traduit une fascinante exhortation taymiyyenne au jihad anti-mongol datant probablement de ṣafar 700 / octobre 1300. Les nombreux passages d’autres œuvres dans lesquels le shaykh damascain s’exprime de manière autobiographique à propos des Mongols sont aussi du plus grand intérêt ; voir par exemple les textes traduits in Y. MICHOT, Roi croisé, p. 172-179 ; Textes spirituels N.S. XX, p. 9-10. 3. E. Fons a donné une première traduction complète de cette lettre, avec introduction et analyse, dans son À propos des Mongols. Une lettre d’Ibn Taymiyya au sultan al-Malik al-Nāṣir Muḥammad b. Qalāwūn, in Annales islamologiques, 43, Le Caire, I.F.A.O., 2010, p. 31-73. Cette traduction n’est malheureusement pas fiable. On trou- vera en appendice une liste de ses erreurs les plus graves. Les passages affectés sont signalés par des appels de note alphabétiques dans la présente traduction. Je n’ai eu connaissance de l’existence de la traduction d’E. Fons qu’après avoir terminé une première version de cet article et l’avoir diffusée sur l’internet. Je l’en ai aussitôt retirée et la présente version l’abroge et la remplace. 4. Il est à cet égard relativement surprenant que la Lettre au sultan al-Nāṣir concernant les Tatars ait peu retenu l’attention des spécia- Cette lettre n’est pas datée. Plusieurs éléments convergents permet- tent cependant de penser qu’elle fut écrite à la fin de l’été ou au début de l’automne 700/13005, peu de mois avant qu’Ibn Taymiyya se rende en personne au Caire pour plaider la cause de la Syrie auprès du sultan al-Nāṣir6. Cette lettre est donc aussi antérieure à une autre missive du shaykh damascain au sultan al-Nāṣir, écrite en 705/1305 et concer- nant, elle, l’expédition des Mamlūks contre les populations de la montagne syro-libanaise menée durant l’été de cette même année7. Pour inciter le sultan au jihad, le théologien mufti met d’abord en listes occidentaux d’Ibn Taymiyya et des historiens des relations entre Mamlūks et Mongols aux alentours de 700/1300. 5. Ces éléments sont les suivants. La manière dont Ghāzān est évoqué indique qu’il est encore vivant, la lettre étant donc antérieure à l’année de sa mort, 703/1304. Aucune mention n’est faite ni de la victoire mamlūke de Shaqḥab en ramaḍān 702 / avril 1303 ayant marqué la fin de la dernière des trois invasions de la Syrie par Ghāzān, ni du désastre ayant accompagné le repli des Mongols vers l’Iran à la fin de leur deuxième invasion, avortée, durant l’hiver 700/1301. La manière dont Ibn Taymiyya pousse à attaquer les Mongols de manière préventive, sans attendre qu’ils aient commencé une invasion, indique que la deuxième invasion n’a en fait pas encore débuté, la nouvelle que les Tatars marchent à nouveau vers la Syrie se répandant à Damas au début de ṣafar 700 / mi-octobre 1300. Ibn Taymiyya fait plus d’une fois allusion à la première invasion, dont la défaite mamlūke du Wādī l-Khaznadār à la fin rabī‘ I 699 / décembre 1299. Enfin, le théologien mufti parle explicitement de sa participation à l’expédition punitive menée au milieu de l’été 699/1300 contre les populations de la montagne syro-libanaise alliées aux Mongols durant leur première invasion. Les terminus post quem et ante quem de la rédaction de la lettre d’Ibn Taymiyya sont donc la mi-dhū l-qa‘da 699 / début août 1300 et le début de ṣafar 700 / mi-octobre 1300. 6. Ibn Taymiyya partit pour le Caire au début de jumādā I 700 / mi- janvier 1301 et fut de retour à Damas le 27 jumādā I 700 / 7 février 1301 ; voir Y. MICHOT, Roi croisé, p. 51-52. L’éditeur de la Lettre au sultan al-Nāṣir concernant les Tatars la date aussi de la période de 700/1300 précédant directement le départ d’Ibn Taymiyya pour le Caire ; voir Ṣ. al-D. AL-MUNAJJID, Risālat ilā l-sulṭān al-malik al- Nāṣir fī sha’n al-Tatār arsala-hā shaykh al-islām… Aḥmad b. Tay- miyya, Beyrouth, Dār al-Kitāb al-Jadīd, « Rasā’il wa nuṣūṣ, 8 », 1976, p. 4. Idem pour C. BORI, Ibn Taymiyya : una vita esemplare. Analisi delle fonti classiche della sua biografia, Rome - Pise, Istituti editoriali e poligrafici internazionali, « Supplemento no. 1 alla Rivista degli Studi Orientali, vol. LXXVI », 2003, p. 139, n. 118. E. FONS (Mon- gols, p. 39-40) suggère, mais sans vraiment convaincre, qu’Ibn Tay- miyya rédigea sa lettre au cours de son voyage au Caire. P. 48, n. 98, il date cependant la lettre du « début de la deuxième invasion, durant les mouvements de panique et de fuite à Damas ». 7. Cette lettre est publiée in Abū ‘Abd Allāh IBN ‘ABD AL-HĀDĪ (m. 744/1343), al-‘Uqūd al-durriyya min manāqib shaykh al-islām Aḥmad bin Taymiyya, éd. M. Ī. AL-FIQĪ, Le Caire, Maṭba‘at Ḥijāzī, 1357/1938, p. 182-194 ; voir aussi le passage traduit in Y. MICHOT, Rashīd al-Dīn et Ibn Taymiyya : regards croisés sur la royauté, in Mohaghegh Nāma. Collected papers presented to Professor Mehdi Mohaghegh on his 70th birthday and in appreciation of his 50 years academic activities. Supervised by B. KHORRAMSHĀHĪ and J. JAHĀNBAKHSH, 2 t., Téhéran, Sinānegār, 2001, t. II, p. 111-137 – p. 134-135 ; H. LAOUST, Remarques sur les expéditions du Kasrawan sous les premiers Mamlūks, in Bulletin du Musée de Beyrouth, Paris, Adrien Maisonneuve, t. IV, décembre 1940, p. 93-115 ; A. HOTEIT, Les expéditions mamloukes de Kasrawān : Critique de la Lettre d’Ibn Taimiya au sultan an-Nāṣir Muḥammad bin Qalāwūn, in ARAM Periodical, 9 & 10: The Mamluks and the Early Ottoman Period in Bilad al-Sham: History and Archaeology, Oxford, 1997-1998, p. 77- 84. —2— œuvre un arsenal de textes scripturaires, coraniques ou tirés de la tra- dition prophétique, certains à connotation explicitement eschatolo- gique, et ne s’embarrasse pas de nuances : quand il parle des « Musul- mans », ce sont exclusivement les Mamlūks qu’il vise. Les Mongols de Ghāzān peuvent avoir adopté l’Islam en 695/1295 mais ce sont « l’ennemi de Dieu », « le peuple des corrupteurs », qui « sortent de la shari‘a de Dieu », et il souhaite uploads/Religion/ yahya-michot-textes-spirituels-d-x27-ibn-taymiyya-nouvelle-serie-xxiii-lettre-au-sultan-al-na-ir-concernant-les-tatars.pdf

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  • Publié le Dec 07, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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