Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient Croyances et pratiques religieus
Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient Croyances et pratiques religieuses des Annamites dans les environs de Huê. I. Le culte des arbres Léopold Cadière Citer ce document / Cite this document : Cadière Léopold. Croyances et pratiques religieuses des Annamites dans les environs de Huê. I. Le culte des arbres. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 18, 1918. pp. 1-60; doi : https://doi.org/10.3406/befeo.1918.5896 https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1918_num_18_1_5896 Fichier pdf généré le 07/02/2019 CROYANCES ET PRATIQUES- RELIGIEUSES DES ANNAMITES DANS: LES. ENVIRONS DE HUÉ. I. - LE CULTE DES ARBRES Par L. CADIÈRE, de la Société des Missions Etrangères de Paris, Correspondant de l'Ecole française d'Extrême-Orient. La présente étude est consacrée aux croyances relatives à certains arbres, au culte que les Annamites rendent à ces arbres dans les environs de Hué. Les documents sur lesquels elle est basée ont été recueillis soit dans les environs immédiats de la capitale de l'Annam, et dans la province du Thira-thiên, soit dans la province du Quàng-tri, Je donnerai tout d'abord la série des documents tels qu'ils ont été recueillis, placés dans l'ordre qui me semble devoir être adopté pour l'explication logique des faits. Dans une seconde partie j'exposerai les conclusions qui me paraissent ressortir de l'étude des documents et je tâcherai de résoudre les questions que posent les faits. PREMIÈRE PARTIE ENUMERATION DES DOCUMENTS. Première série Arbres ayant une simple influence surnaturelle. Document I. — Le bosquet Lin de Liêm-công Bx>ng (canton de Hièn- lircng, préfecture de Vïnh-linh, Quâng-tri). Il y a, sur le territoire de ce village, un grand bosquet appelé Lin, rû Lin, parce que, dit-on, il existe dans ce bosquet beaucoup d'arbres portant ce nom (*) . (*) Les dictionnaires ne donnent pas ce mot* ". XVIII, Les gens du village peuvent faire du bois de chauffage dans ce bosquet, mais ils doivent s'abstenir de couper. les arbres /m, car on a remarqué que, lorsque ces arbres dépérissaient ou diminuaient dans le bois, les gens du village s'en ressentaient: ils étaient forcés par la misère à s'expatrier, ou bien ils perdaient la récolte, étaient victimes d'épidémies, etc. ; en un mot, ce village était atteint de malheurs d'origine surnaturelle, dông làng. Il y a donc un rapport entre le bonheur des gens du village et les arbres lin. Il faut remarquer aussi qu'il y a une relation phonétique entre le premier caractère du nom du village, Liêniy et le nom de ces arbres : ce caractère aurait bien pu être choisi pour rendre le mot lin, qui serait alors, outre l'appellation des arbres, un vieux nom vulgaire de lieu- Deuxième série Arbres considères comme étant en relation avec un serpent et un esprit. Document II. — Le ficus de An-ctru (canton de.An-ctru, sous-préfecture de Hinrng-thûy, Thtra-thién). Près du marché de An-ciru, à quelque dix ou vingt mètres du pont dé la route mandarine, et en amont de ce pont, sur la rive gauche du canal, est un cày bô-dê, « ficus religiosa » (*), vénéré par les gens. Comme signes de culte ou de vénération, on remarque de vieux pots à chaux, des supports de marmite, déposés au pied de l'arbre, des guirlandes de fleurs suspendues aux branches ou déposées sur le tronc. D'après un jeune lettré du village, un esprit s'y manifeste souvent sous la forme d'un serpent ayant une aigrette ou une crête, lequel sort de l'arbre et se promène dans les environs. Il ne nuit pas aux gens, mais au contraire il les exauce quand ils lui demandent une faveur : guérison, réussite dans les affaires, etc. Document III. — Le ficus de Liém-công frông (canton de Hiên-hrcrng, préfecture de Vïnh-linh, Quâng-trj). C'est un cày sanh, « ficus indica ». Par devant est un tertre en terre, témoignage du culte que l'on rend à cet endroit. Un jour, un chrétien du village de An-do, étant allé à la chasse aux tourterelles, vit un énorme serpent ho dat, « naja tripudians », serpent à lunettes (2), [}) Les noms botaniques seront donnés d'après Loureiro, Flora Cochinchinensis, lorsqu'il sera possible; d'après le Dictionnaire Génibrel, quelquefois. (2) D'après le Dictionnaire Génibrel, 3 qui sortait d'un écran, blnh-phong, en pierres sèches, élevé devant l'arbre. Il coupa un bambou dans le bosquet qui est situé derrière l'arbre, et parvint à- tuer le serpent, qu'il mangea ensuite. Mais le gardien chargé du tertre qui est devant l'arbre l'avait vu. Il conduisit notre homme devant le maire et l'archiviste du village qui voulurent le forcer à faire un sacrifice de réparation, au moins à aller faire des prostrations devant, l'arbre. Le chrétien s'y refusa et finalement, après avoir discuté assez longtemps, on le laissa partir. Mais le village offrit par après un cochon en sacrifice devant l'arbre, pour- expier le meurtre du serpent, qui< disait-on, vivait là depuis longtemps. Troisième série Arbres considérés comme étant en relation avec un démon, ma. Document IV. — Le platycerium biforme. Dans le Quâng-binh, dans le Quâng-trj et dans le Thi!ra-thièn, le platycerium. biforme, sorte de fougère epiphyte qui s'accroche aux troncs et aux maîtresses branches des grands arbres dans la forêt est appelé quà hôp, « le fruit boîte », et aussi hop ma, « la boîte du démon » ou « la boîte démon ». Les longues lanières qu'il émet à la partie inférieure et qui pendent en franges sont comparées à un dais, tàn ma, « le dais du démon »(voir fig. 1 1 et 12). Les bûcherons n'abattent jamais un arbre sur lequel est fixé un platycerium. Ils craindraient de s'attirer la vengeance du génie. Quand ils aperçoivent par hasard une de ces plantes, ils détournent aussitôt les regards et baissent les yeux, par crainte et respect. Dans la haute rivière de Quâng-tri, des bûcherons qui savaient où il y avait des platycerium ne voulaient pas m'indiquer ces endroits, par-crainte de mécontenter le démon. Document V. — Les arbres séculaires. Dans le Sud du Quâng-binh, on parlait, il y a une quinzaine d'années, d'un ébénier, cây mun, aux dimensions énormes, très vieux, qu'aucun Annamite ne voulait abattre, dont on ne voulait pas même indiquer l'emplacement, de peur d'encourir une punition de la part d'un esprit qui habitait dans l'arbre, ou de la part de l'esprit de l'arbre lui-même. Dans le Nord du Quâng-trir on montrait un jaquier, . cây mit, également très vieux, au tronc énorme, auquel personne n'osait toucher, et qui fut vendu à des chrétiens. Ailleurs, c'est un « nauclea » séculaire, cây go, qui jouit du même renom et que personne ne se risque à abattre. Dans tous les cas que l'on cite dans cette étude, nous avons des arbres sur lesquels on n'ose porter la hache, que l'on ne peut abattre, dont on ne peut pas couper les branches, auprès desquels on ne peut se livrera des inconvenances, à des jeux innocents même, sans s'attirer la colère d'un esprit, sans être puni. XVIII, 7 - 4 - Dans beaucoup de cas, la croyance est que les chrétiens peuvent impunément se permettre ce qui est défendu aux non-chré{iens, et que, en particulier, ils ne sont pas inquiétés s'ils abattent l'arbre, ou s'ils donnent sur l'arbre le premier coup de hache. Document VI. — Le kiên kiên (*) de Khe-lâ « le torrent de la feuille » (sur la haute rivière de Quâng-trj). Il subsiste à une dizaine de mètres du bord de l'eau, sur une berge abrupte, un vieux tronc de kiên kiên, de trois ou quatre mètres de hauteur. La partie supérieure de l'arbre fut abattue jadis, soit parles hommes, soit par suite d'un accident naturel. Quant à la partie qui reste, personne n'ose la couper: sçr ma bât,« on craint que le démon ne s'empare » de celui qui aurait cette audace. On n'a pas pu me donner de renseignements précis sur la nature de cet esprit mauvais, ni médire s'il s'agit de l'esprit de l'arbre lui-même ou d'un esprit résidant dans le vieux tronc desséché. Mais la croyance est générale, parmi les bûcherons et les commerçants de la haute vallée, que si l'on touchait à cet arbre, on serait la proie d'un démon. Document VI bis. — Le morceau de bois de la pagode Bâo-quoc (2), à Hué (fig. i). C'est un morceau de bois d'aigle, tram- hwcrngy assure-t-on, de om. 80 environ de hauteur sur o m. 40 de large et quelques centimètres d'épaisseur. Ses contours bizarrement découpés et recroquevillés par endroits, les veines dessinées sur sa surface, le font vaguement ressembler à un homme, et lui donnent, en tout cas, une forme ex- Fig. 1. — Bois d'aigle révéré. traordinaire. La légende rapporte qu'il était en la possession d'un particulier, qui le gardait' sans doute comme objet de curiosité, • {*) Arbre non déterminé par le Dictionnaire Génibrel, ni parLouREmo. Excellent bois de construction. ■ , • (2) La pagode Bâo-quôc se trouve, à Hué, à droite, sur l'avenue duNam-giao, dominant la gare. C'est un sanctuaire bouddhique. — D — comme ces loupes de bois d'aigle qui ornent la petite table des salons annamites ou les autels de chapelles domestiques. uploads/Religion/cadiere-le-culte-des-arbres-au-vietnam-1938.pdf
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- Publié le Aoû 09, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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