112 No 4 1990 La spiritualité de saint Bernard DUMONT (ocso) p. 502 - 515 https
112 No 4 1990 La spiritualité de saint Bernard DUMONT (ocso) p. 502 - 515 https://www.nrt.be/fr/articles/la-spiritualite-de-saint-bernard-136 Tous droits réservés. © Nouvelle revue théologique 2021 La spiritualité de saint Bernard Le meilleur hommage à rendre à saint Bernard pour le IXe cente- naire de sa naissance n'est-il pas de le lire comme le fit Maurice Blondel, qui le découvrit alors qu'il achevait sa thèse L'Action? «Dijonnais, je voyais se préparer à Dijon de grandes fêtes pour la célébration du 8e centenaire de la naissance de saint Bernard et ce fut pour moi l'occasion de lire une bonne partie des oeuvres du grand Docteur, du grand mystique, du grand homme d'action qui, précédant les systématisations techniques des XIIIe et XIVe siè- cles, puisait directement aux sources vives de la tradition comme de l'Expérience personnelle ascétique et mystique1.» C'est d'une de ces lectures de plusieurs années que cet essai de synthèse est né. Même si saint Bernard est le moins systématique des penseurs, puisqu'il se compare lui-même à un chasseur ou un chien de chasse changeant de pistes2, il existe pourtant un fil con- ducteur, sa recherche de Dieu. S'il formule un vœu à notre égard, c'est sans aucun doute que nous le suivions dans sa quête de sain- teté, d'union à Dieu. La recherche Le thème «chercher-trouver» court à travers toute son œuvre. Dès le traité De l'amour de Dieu on rencontre le «Tu ne me cher- cherais pas si tu ne m'avais trouvé.» Pascal a repris cette phrase dans Le mystère de Jésus, mais Paul Valéry, étonnamment, a bien vu que pour Bernard «la recherche de Dieu par l'âme dépend de la recherche de l'âme par Dieu. Tu ne chercherais pas si tu étais réduite à toi-même3.» Si dans cette réflexion sur la recherche 1. Dans Revue Thomiste 42 (1937) 274, cité par Chr. MAHAME, Spiritualité et philosophie chez Maurice Blondel. Thèse dactylographiée, Paris, Institut catholi- que, 1967, p. 65. 2. Sur le Cantique des Cantiques (cité désormais CC), Sermon 16, 1. Les traduc- tions sont faites sur l'édition des S. Bemardi Opéra, édit. J. LECLERCQ, C.H. TALBOT, H.M. ROCHAIS, Romae, Ed. Cistercienses, 8 vols, 1957-1977. Quelques textes sont cités d'après la nouvelle traduction de P.-Y. EMERY pour les Sermons divers, Paris, Desclée De Brouwer, 1982, et les Sermons pour l'année, Turnhout, Brepols; Presses de Taizé, 1990. 3. P. VALÉRY, Variété (Sur une pensée de Pascal), Oeuvres I, coll. Bibl. de la Plifiad». Pari». 19.17. n. 472 s. LA SPIRITUALITÉ DE SAINT BERNARD 503 mutuelle du Verbe et de l'âme toutes les ressources de la psycholo- gie de l'amour sont exploitées, il ne faudrait pas isoler cette recher- che de son contexte proprement chrétien. «Il n'est personne qui aime Dieu et qui puisse douter d'être aimé.» Mais le fondement d'une telle assurance suit aussitôt: «Car de cet amour tu as comme gage l'Esprit et tu as comme témoin fidèle Jésus et Jésus crucifié4.» La recherche est d'une part celle du désir humain et d'autre pan celle de la grâce divine. Dieu cherche l'Eglise, et l'âme dans l'Eglise ; non seulement il la cherche mais il l'a acquise dans son sang (CC 68. 4). Les dix derniers sermons sur le Cantique des cantiques ont été composés à partir du verset: «J'ai cherché celui que mon cœur aime (0 3, 1).» Cette recherche est le plus grand des dons. «C'est un grand bien de chercher Dieu: quant à moi je ne le trouve inférieur à aucun autre bien de l'âme. C'est le premier et le dernier des dons. Quelle vertu attribuer à celui qui ne cherche pas Dieu? Quel terme assigner à celui qui le cherche?» (CC 84, 1). Cette recherche se poursuit dans l'amour qui en est l'instigateur et le moyen, mais aussi dans la perspective de la doctrine de l'Image de Dieu en l'homme, qui donne à ce dernier l'assurance ferme de trouver, c'est-à-dire de ne faire qu'un avec l'Esprit divin. «L'amour est cause de la recherche, la recherche est le fruit de l'amour et en est l'assurance» (CC 84, 5). L'expérience L'expérience est sans cesse prise comme point de référence aussi bien de ce que dit l'abbé que des progrès dans la foi ou la conver- sion. «Partant de sa propre expérience, l'âme saisit le comporte- ment de Dieu et elle qui aime ne doute pas d'être aimée... Elle a raison, car l'amour de Dieu engendre l'amour de l'âme» (CC 69. 7). Au Pape Bernard écrira: «Je te l'affirme, saint Père Eugène, il n'est que Dieu, si introuvable soit-il, dont jamais la recherche ne soit vaine. J'en appelle là-dessus à ta propre expérience5.» La voix de la conscience est le livre de l'expérience (cf. CC 3, 1). L'expérience donne le sens de l'Ecriture, car ce n'est pas le savoir mais l'onction qui enseigne, non pas la science mais la conscience6. «Comment ne serais-je pas animé à le chercher, moi qui ai fait l'expérience de sa clémence... Frères, se sentir attiré en cela, c'est être cherché par le Verbe; en être persuadé, c'est être trouvé 4. Lettre 107, 8. 5. De la Considération, V, 24. 6. De la conversion, aux clercs. 13. 25. 504 CH. DUMONT, O.C.S.O. (suaderi-persuaderi). » Comparant alors la condition des débutants à celle de ceux qui ont acquis de l'expérience, saint Bernard leur dit de consulter l'Ecriture «afin qu'ils croient ce dont ils n'ont pas l'expérience, afin qu'un jour ils acquièrent le fruit de l'expé- rience par les mérites de la foi» (CC 84, 6-7). Û y a réciprocité entre l'Ecriture et l'expérience. Quant aux expériences de grâces mystiques proprement dites, saint Bernard est très réservé. Nous verrons comment il parle de celle qui semble l'avoir le plus marqué. Son jeune disciple Aelred de Rievaulx est beaucoup plus explicite en ce domaine. Tout en étant hautement désirables et d'un grand secours, ces expériences n'entrent pas en ligne de compte dans le processus de la conversion ou de la sainteté; elles n'en sont nulle- ment l'indice. Echappant au contrôle de la volonté par leur gratuité même, elles ne sont ni libres ni œuvres de la charité. Cela corres- pond à la doctrine de saint Bernard comme nous le verrons7. La recherche mutuelle de la grâce et de la liberté La recherche mutuelle de l'Esprit créateur et de l'esprit créé s'iden- tifie à l'articulation de la grâce et de la liberté. Très tôt saint Ber- nard eut l'occasion de traiter de la grâce et du libre arbitre (1128) et d'écrire ainsi son ouvrage le plus théologique. Pour lui, qui ne spécule guère sur le «problème», il constate existentiellement le «mystère»; la grâce n'existe que pour une liberté et la liberté s'anni- hile hors de la grâce. La grâce ayant prévenu la liberté, celle-ci agit de concert avec elle dans une œuvre unique par une action indivise (mixtim)8. La liberté est la dignité suprême de la créature humaine: le libre arbitre est l'image, l'empreinte inamissible de Dieu. En même temps que le don de cette liberté, Dieu avait donné à l'homme de la connaître (scientia) et de s'en servir pour chercher Dieu et l'aimer (virtus). Or, déclare saint Bernard, «il est difficile, il est même impossible que quelqu'un réduit à ses seules forces ou à celle de son libre arbitre ramène totalement à la bienveillance de Dieu les choses reçues de Dieu et ne les détourne pas (retorquet) vers sa volonté propre, les retenant comme s'il s'agissait de ses biens à lui, ainsi qu'il est écrit: 'Tous recherchent leurs propres intérêts' {Ph 2, 2l)9.» Ce mensonge d'une fausse autonomie a détourné l'homme de Dieu; il lui faut revenir à lui, se convertir. 7. Cf. AELRED DE RIEVAULX, Spéculum caritatis, II, 53-56, coll. CCCM I, Turn- hout, Brepols, 1971, p. 91 s. 8. Cf. De la grâce et du libre arbitre, 14, 47. 9. De l'amour de Dieu, 2, 6. LA SPIRITUALITÉ DE SAINT BERNARD 505 Séparée de la grâce la liberté est perdue. Exil et retour Par deux fois saint Bernard affirme l'âme capable de Dieu (capax Deij, parce qu'elle en est l'image. Mais, devenue dissemblable de Dieu, elle l'est aussi d'elle-même10. Elle se sait fondamentalement image, mais quand elle constate sa difformité et son exil, ce con- traste la place entre l'espoir et le désespoir11. Saint Bernard a décrit ce drame de la conscience humaine dans ses trois premiers traités, analysant successivement les trois domaines les plus profonds de l'âme : la vérité, l'amour et la liberté. La vérité est faussée par l'orgueil ; l'amour égaré par la convoitise; la liberté n'est pas libre. Tout est devenu ambigu, la duplicité ayant recouvert la simplicité par laquelle l'âme était à l'image de Dieu. Le souci de la vérité existen- tielle, du vrai, de l'authentique est une des marques du premier Cîteaux12. Saint Bernard lui a donné toute son importance en spi- ritualité. La vraie connaissance de soi est celle de sa misère; celle-ci l'amène à la compassion pour celle d'autrui et à l'imploration du secours de la miséricorde divine (miseria-misericordia)13. La même démarche se retrouve au premier degré d'amour de uploads/Religion/la-spiritualite-de-saint-bernard.pdf
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- Publié le Jan 12, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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