1 Qu’est-ce donc que la science ? Texte 1 : I. Lakatos, cité dans A. Chalmers,
1 Qu’est-ce donc que la science ? Texte 1 : I. Lakatos, cité dans A. Chalmers, La fabrication de la science, La Découverte, 1991, p. 8. La question de la démarcation entre science et non-science a de graves répercussions sur le plan éthique et politique. Le problème de la démarcation entre science et pseudo-science a de sérieuses implications (...). La théorie de Copernic a été interdite en 1616 par l'Église catholique parce qu'elle était jugée pseudo-scientifique. Elle disparut de l'Index en 1820 parce qu'à cette époque l'Église considérait que les faits l'avaient corroborée et qu'elle devenait donc scientifique. Le Comité central du Parti communiste soviétique déclara en 1949 que la génétique mendélienne était pseudo-scientifique et extermina ses défenseurs, comme l'académicien Vavilov, dans des camps de concentration. Après le meurtre de Vavilov, la génétique mendélienne fut réhabilitée, mais le Parti conserva le droit de décider de ce qui était scientifique, et méritait donc d'être publié, et de ce qui était pseudo-- scientifique et répréhensible. En Occident, le nouvel establishment libéral exerce également le droit de refuser la liberté d'expression à ce qu'il considère comme pseudo-scientifique, ainsi que nous l'avons vu dans le débat sur la race et l'intelligence. Tous ces jugements étaient inévitablement fondés sur un certain critère de démarcation. C'est pourquoi cette question de la frontière entre science et pseudo-science n'est pas un pseudo-problème pour philosophes de salon; elle a de graves répercussions sur le plan éthique et politique. Texte 2 : A. Chalmers, La fabrication de la science, La Découverte, 1991, p. 12 Pour certains scientifiques, l’épistémologie a pour tâche de décrire la « méthode scientifique », universelle et anhistorique. Si elle entreprend de contester l’existence d’une telle méthode, elle représente une menace pour la science. Le sentiment profond et largement partagé parmi les scientifiques qu'il faut s'en tenir à cette stratégie positiviste1 ressort assez clairement de leur réaction typique face à ces philosophes et sociologues des sciences qui rejettent la notion d'une définition universelle et ahistorique de la méthode scientifique susceptible de guider les activités des chercheurs ou de juger des mérites de leurs travaux. Cette réaction semble motivée par la conviction qu'abandonner la notion de méthode universelle, c'est nécessairement tomber dans un scepticisme radical à l'égard de la science, et tenir que toutes les théories se valent, que la science est sur le plan épistémologique à égalité avec l'astrologie et le vaudou, et que l'évaluation des théories scientifiques est affaire d'opinion ou de goût; en résumé, selon le slogan que Feyerabend a utilisé imprudemment pour exposer sa théorie «anarchiste» de la science: « Tout est bon» (anything goes). Theocharis et Psimopoulos2 sont à ce point convaincus que la défense de la science passe par une conception philosophique de la méthode scientifique qu'ils donnent parfois l'impression de vouloir réduire au silence ceux qui, comme moi, suggèrent à leurs élèves qu'il en est autrement. 1 Alan Chalmers appelle stratégie positiviste « la démarche qui consiste à défendre la science en faisant appel à une conception universelle et ahistorique de ses méthodes et de ses normes. » 2 Il s’agit de deux physiciens qui ont publié, en 1987, dans la prestigieuse revue Nature un article intitulé « Where science has gone wrong » dans lequel ils entendent prendre la défense de la science en réaffirmant sa vérité et son objectivité. 2 On peut se demander combien d'universités dans le monde donnent à leurs étudiants en sciences des cours, ex cathedra et obligatoires, sur les rigueurs de la méthode scientifique. Quant à celles qui proposent un cours facultatif sur les tendances actuelles de la philosophie des sciences, leurs conseils d'administration ont-ils conscience du fait que la plupart des professeurs qui assurent cet enseignement sont fermement décidés à saboter la méthode scientifique? Texte 3 : M. Serres, Eclaircissements, François Bourin, 1992, p. 27-28 et p. 48. L’épistémologie, une glose redondante et inutile J'ai publié, dans les années 60, un petit article de circonstance: « La Querelle des anciens et des modernes », sur l'épistémologie, où je conclus, et pour ma vie entière: ce commentaire, le plus souvent redondant et de statut inférieur à son objet, ne m'intéressera plus jamais (...) ou la science développe elle-même son épistémologie intrinsèque, et, dans ce cas, il s'agit de science et non d'épistémologie, ou bien il s'agit d'une glose extérieure, et alors, on doit la juger au mieux redondante et inutile, au pire du commentaire, voire de la publicité. J'ai scié avec allégresse la branche sur laquelle j'aurais pu m'asseoir; voie inutile, l'épistémologie demande qu'on apprenne de la science pour la commenter mal, pis, pour la recopier. Les savants eux-mêmes réfléchissent mieux sur leur matière que les meilleurs épistémologues du monde: plus inventivement, au moins. Texte 4 : C. Hempel, Eléments d’épistémologie, A. Colin, 1972, p. 16-19. L’hypothèse selon laquelle le scientifique doit rassembler ses données sans être guidé par des présupposés de nature théorique est intenable. On a soutenu que, dans une recherche scientifique, c'est une inférence inductive tirée de données recueillies antérieurement qui conduit à des principes généraux appropriés. Cette idée est clairement exprimée dans cette description de la façon dont idéalement un homme de science procéderait : « Essayons d'imaginer un esprit d'une étendue et d'une puissance surhumaines, mais dont la logique soit semblable à la nôtre. S'il recourait à la méthode scientifique, sa démarche serait la suivante : en premier lieu, tous les faits seraient observés et enregistrés, sans sélection, ni évaluation a priori de leur importance relative. En second lieu, les faits observés et enregistrés seraient analysés, comparés et classés, sans hypothèses ni postulats autres que ceux qu'implique nécessairement la logique de la pensée. En troisième lieu, de cette analyse des faits, seraient tirés par induction des énoncés généraux affirmant des relations de classification ou de causalité entre ces faits. Quatrièmement, les recherches ultérieures seraient déductives tout autant qu'inductives, et utiliseraient les inférences tirées d'énoncés généraux antérieurement établis1» Dans ce passage, l'auteur distingue quatre étapes dans une recherche scientifique idéale : 1) l'observation et l'enregistrement de tous les faits; 2) l'analyse et la classification de ces faits ; 3) la dérivation d'énoncés généraux par induction à partir de ces faits; 4) des contrôles supplémentaires de 1 A.B. WOLFE, Functional Economics, dans The trends of Economics, ed. R.G. Tugwell (New York, 1924), p. 450. (Note de l’Auteur) 3 ces énoncés généraux. On souligne que, dans les deux premières étapes, on ne doit faire aucune supposition ou hypothèse sur la façon dont les faits observés peuvent être reliés les uns aux autres; cette restriction semble avoir été imposée par le sentiment que de telles idées préconçues affecteraient et mettraient en péril l'objectivité scientifique de la recherche. Mais l'opinion exprimée dans le passage cité – je l'appellerai la conception étroitement inductiviste de la recherche scientifique – est insoutenable pour plusieurs raisons. Un bref examen de ces dernières nous permettra d'étoffer et de compléter nos précédentes remarques sur la démarche scientifique. Tout d'abord, une recherche scientifique ainsi conçue ne pourrait jamais débuter. Même sa première démarche ne pourrait être conduite à son terme, car, à la limite, il faudrait attendre la fin du monde pour constituer une collection de tous les faits ; et même tous les faits établis jusqu'à présent ne peuvent être rassemblés, car leur nombre et leur diversité sont infinis. Pouvons-nous examiner, par exemple, tous les grains de sable de tous les déserts et de toutes les plages, recenser leurs formes, leur poids, leur composition chimique, leurs distances, leur température toujours changeante et leur distance au centre de la Lune, qui change, elle aussi, tout le temps ? Allons-nous recenser les pensées flottantes qui traversent notre esprit au cours de cette fastidieuse entreprise ? Et que dire de la forme des nuages et des teintes changeantes du ciel ? De la construction et de la marque de notre machine à écrire. Des événements de notre vie et de celle de nos compagnons de recherche ? Toutes ces choses, et bien d’autres que nous avons omises font partie, après tout, « de tous les faits établis jusqu’à présent ». Pour la première étape, il ne faut peut-être que recueillir tous les faits significatifs. Mais significatifs par rapport à quoi ? Bien que l’auteur ne le précise pas, supposons que cette recherche concerne un problème déterminé. Ne devrions-nous pas alors commencer par recueillir tous les faits – ou plutôt toutes les données disponibles – qui entrent en jeu dans ce problème ? Cette idée n'en reste pas moins obscure. Semmelweis1 cherchait à résoudre un problème déterminé, il n'en collectait pas moins des données très diverses, à chacune des différentes étapes de son investigation. Et il avait raison; car le genre de données qu'il convient de recueillir n'est pas déterminé par le problème avec 1 Allusion aux travaux du médecin I. Semmelweis sur la fièvre puerpérale (travaux entre 1844 et l848). Médecin de l'un des deux services d'obstétrique d'un hôpital viennois, Semmelweis s'était inquiété du nombre élevé de femmes qui y contractaient une affection souvent fatale connue sous le nom de « fièvre puerpérale ». uploads/Science et Technologie/ 0anony-les-sciences.pdf
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- Publié le Jui 23, 2021
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