ENSEIGNEMENT Je découvre l’informatique et la programmation avec Martin Entreti
ENSEIGNEMENT Je découvre l’informatique et la programmation avec Martin Entretien avec Martin Quinson 1 Dans le monde numérique qui est le nôtre, l’informatique est un incontournable élément de culture générale qui n’est pas encore partagé par tous. Il s’agit donc de promouvoir les actions d’information, d’initiation et d’éducation à cette discipline. Nous nous entretenons ici avec Martin Quinson, enseignant-chercheur en infor- matique qui œuvre dans toutes ces dimensions de médiation scientifique et enseigne- ment de l’informatique. Philippe Marquet 2 Martin, tu es enseignant-chercheur en informatique et enseignes cette discipline à des élèves ingénieurs de TELECOM Nancy. Tu cherches aussi à partager tes connaissances avec d’autres publics. Chacun devrait apprendre à programmer ? Nous devrions tous devenir program- meur ? Martin Quinson : Non, bien sûr. Il me semble clair que nous aurons demain encore besoin de plus de boulangers, de plombiers et de chirurgiens-dentistes que de pro- grammeurs capables de réécrire un module noyau avant le petit-déjeuner. Mais étant donnée la percolation de l’informatique dans toute notre société, il me semble tout aussi clair que ceux qui n’auront même pas des bases de programmation auront un sérieux désavantage par rapport aux autres. 1. Université de Lorraine, http://www.loria.fr/~quinson/. 2. Université Lille 1. Vice-président de la Société informatique de France. 1024 – Bulletin de la société informatique de France, numéro 4, octobre 2014, pp. 117–122 118 ENTRETIEN AVEC MARTIN QUINSON ◦◦◦◦◦•◦◦ Si on n’a jamais essayé de programmer, il est difficile de ne pas développer de pensée magique sur ce qu’un ordinateur peut ou ne peut pas faire. On ne peut plus se permettre d’avoir une majorité de citoyens ignares et des décideurs mal informés en informatique après Snowden. Ils risquent soit d’avoir des comportements irrespon- sables, soit de développer des sentiments de rejet vis-à-vis du numérique pourtant indispensable dans nos sociétés. Il est donc primordial pour la nation que les indivi- dus dépassent les usages numériques et aient des bases de programmation. À titre personnel, si on sait programmer un peu, on peut automatiser des tâches de la vie de tous les jours. Mon voisin qui est ingénieur à EDF sait écrire des macros Excel et des tout petits programmes en Visual Basic. Cela lui simplifie souvent la vie dans son travail bien qu’il ne se sente pas du tout « programmeur ». Pour moi, écrire des règles de filtrage des mails, c’est aussi programmer pour se simplifier la vie professionnelle même quand on n’est pas programmeur. L’une des clés du suc- cès de Minecraft 3 (et Quake avant lui) me semble tenir à la simplicité d’écrire des extensions. De nombreux individus créatifs sans être « programmeurs » se sont em- parés de ce support. Je crois que nous sommes ici face à un problème de la poule et de l’œuf : il n’y a finalement pas tellement de situations que l’on peut adapter facilement en programmant, mais c’est aussi parce que trop peu de monde sait pro- grammer et que le besoin n’est pas là. Les gens utilisent assez peu des choses comme AppleScript car ils n’ont aucune idée de ce que programmer permet. Mais chaque fois que la taille de la communauté atteint un seuil critique, on voit des choses in- croyables émerger. J’ai hâte de voir un tel effet boule de neige sur toute la société civile quand suffisamment de gens sauront programmer et réclameront la possibilité d’adapter leur environnement numérique à leurs besoins personnels ! Ce qui est sûr, c’est que le monde où 1% de la population est parfaitement versé dans l’art de la programmation et 99% parfaitement ignare en matière de fonctionne- ment du numérique est derrière nous. La démarcation ne sera pas si claire à l’avenir. J’irais même plus loin en affirmant qu’apprendre à programmer est utile même si par extraordinaire, on fait ensuite un métier sans aucun ordinateur. Programmer enseigne à rationaliser sa pensée afin de la rendre compréhensible par l’ordinateur. Un peu de rationalité, c’est très utile dans la vie. La magie des ordinateurs, c’est que program- mer permet de marier très naturellement cette rationalité avec la créativité, puisque les nouveaux médias permettent de s’exprimer au travers de créations multimédia originales, que l’on peut réaliser chez soi, très facilement. Cette envie de partager tes connaissances de la programmation, de l’informatique, avec tous les publics, comment cela a-t-il commencé ? MT : Comme beaucoup d’enseignants-chercheurs, j’ai été recruté sur mon pedigree de recherche, l’enseignement n’étant évalué que quantitativement. J’ai eu la chance 3. Minecraft est un jeu vidéo dont le joueur, qui évolue dans un monde qu’il peut modifier à volonté, est libre de définir l’objectif. 1024 – Bulletin de la société informatique de France – numéro 4, octobre 2014 ◦◦◦◦◦•◦◦ JE DÉCOUVRE L’INFORMATIQUE ET LA PROGRAMMATION AVEC MARTIN 119 d’avoir des cours de niveau BAC+5 à mon arrivée. Mais j’ai très vite réalisé que je prenais plus de plaisir à enseigner les bases de la programmation aux débutants qu’à enseigner des notions plus avancées à des étudiants parfois mal assurés en program- mation. Depuis plusieurs années maintenant, je réalise la quasi totalité de mon ser- vice en première année d’ingénieurs. Il faut faire preuve d’une certaine imagination pédagogique pour enseigner rapidement la programmation à des débutants absolus. Au fil des ans, nous avons réalisé avec Gérald Oster une plate-forme pédagogique complète pour donner les bases de l’algorithmique le plus efficacement possible aux élèves entrant à l’école. La PLM (Programmer’s Learning Machine) est maintenant devenue un projet de recherche soutenu par Inria, qui finance un ingénieur pour deux ans afin d’en faire une plate-forme expérimentale pour l’enseignement de l’informa- tique. Nous souhaitons par exemple mesurer l’efficacité de différentes approches et exercices, détecter les barrières didactiques de notre discipline ou encore apporter une assistance automatisée aux apprenants qui font des erreurs classiques. Pour diffuser la connaissance de l’informatique à un public encore plus large, j’ai participé à la fête de la science pour la première fois en 2011 avec Jean-Christophe Bach. Nous avons réalisé pour l’occasion une petite série d’activités débranchées pour parler d’algorithmique sans ordinateur. Ce fut un tel succès que nous avons repris et augmenté ces activités (avec l’aide d’Inria, aussi), qui ont été jouées des dizaines de fois depuis, par nous et par d’autres. Je compte améliorer et étendre ce projet (qui s’appelle Sciences Manuelles du Numérique), mais le temps me manque pour l’instant. Tu es également soucieux de diffuser largement ce matériel que tu produis ? Oui, cette large diffusion de la connaissance me tient à cœur, et c’est pour cela que je participe au grand mouvement du logiciel libre depuis 15 ans. En parallèle de ma thèse, j’ai animé le groupe francophone de traduction de la distribution Debian. Nous avons œuvré pour que les logiciels libres deviennent vraiment accessibles à tous, même ceux qui ne parlent pas anglais. Encore maintenant, je suis un fervent défenseur des logiciels libres au sens large. En particulier, tous les projets dont je parle ici sont placés sous licences libres (GPL ou CC-BY-SA). Mon objectif est toujours de donner en bien commun afin que d’autres puissent bénéficier et améliorer ce que je fais mais sans pouvoir empêcher les suivants de profiter eux aussi de ces projets. Je donne dans l’objectif de bénéficier de l’aide de la communauté, et cela fonctionne plutôt bien : la PLM est par exemple traduite en brésilien et italien alors que je ne parle pas ces langues, et quelques leçons proposées ont été écrites par des volontaires que je ne connais pas forcément. Pour en revenir à l’initiation à l’informatique, il reste quand même quelques étapes à franchir à un enfant ou au grand public qui a découvert l’informatique par ces activités débranchées pour aborder la programmation sur ta plateforme PLM ? 1024 – Bulletin de la société informatique de France – numéro 4, octobre 2014 120 ENTRETIEN AVEC MARTIN QUINSON ◦◦◦◦◦•◦◦ MT : En effet, il y a un an ou deux, j’étais impliqué dans deux projets d’initiation à l’informatique : les SMN, Sciences Manuelles du Numérique, pour faire découvrir l’algorithmique à la fête de la science, et la PLM pour apprendre à programmer à de futurs spécialistes. C’était très intéressant (même si un peu chronophage), mais j’avais du mal à boucler la boucle. Il est difficile de se lancer dans la PLM après seulement deux heures de SMN, et c’est en tout cas impossible pour des enfants (les miens ont entre 8, 9 et 11 ans). En furetant un peu sur le web, j’ai découvert les Coding Goûters 4. Cette superbe initiative invite les enfants et leurs parents à s’initier à la programmation créative, c’est-à-dire à s’approprier juste ce qu’il faut de programmation pour pouvoir s’exprimer librement dans ses propres créations sur ordinateur. J’aime beaucoup cette idée car cela réconcilie informatique et créativité, sans le côté austère d’un cours où un « professeur » donne des exercices à la chaîne. J’ai aussi découvert par la suite qu’inviter les parents à écouter les activités de leurs en- fants était une technique classique quand on cherche à réduire en douceur uploads/Science et Technologie/ 1024-4-quinson.pdf
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- Publié le Mai 23, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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