Raison présente L'idée de la «Science Nouvelle» : notes sur la problématique de

Raison présente L'idée de la «Science Nouvelle» : notes sur la problématique de G.B. Vico Paul Giannelloni Citer ce document / Cite this document : Giannelloni Paul. L'idée de la «Science Nouvelle» : notes sur la problématique de G.B. Vico . In: Raison présente, n°13, Janvier – Février – Mars 1970. Pourrons-nous gouverner la nature. pp. 57-72; doi : https://doi.org/10.3406/raipr.1970.1379 https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_1970_num_13_1_1379 Fichier pdf généré le 15/03/2019 L'idée de la "science nouvelle" NOTES SUR LA PROBLEMATIQUE DE G.B. VICO par Paul GIANNELLONI Comment prendre, après trois siècles (1), et alors que tant de ses découvertes les plus décisives, ou de redécouvertes faites par d'autres, ont leur place dans les lieux communs de notre culture, l'exacte mesure de ce que furent, en son temps, la nouveauté réelle de Vico, son juste apport scien¬ tifique ? Michelet, qui avait bien des raisons de se reconnaître en l'auteur de la Science Nouvelle (2), était, de cette nouveauté et de cette scientificité, assez assuré pour écrire, éloge sans doute encombrant, peut-être excessif : « La méthode suivie par Vico est d'autant plus importante à observer qu'il n'est, nous semble-t-il, aucun inventeur dont on puisse moins indiquer les précé¬ dents. Avant lui, le premier mot (1) Ce travail, qui est un peu de cir¬ constances, a été réalisé en juin 1968, date du trois centième anniversaire de la nais¬ sance de Vico (23 juin 1668). (2) Il convient ici de rappeler qu'un autre penseur, Ibn Khaldoun, s'était lui aussi, plus de trois siècles avant Vico, pro¬ posé l'élaboration d'une « science nouvel¬ le » ou science historique des sociétés. Voir, à cet égard, les Extraits de la Muqaddima publiés par G. Labica et D E. Bencheikh (Hachette). n'était pas dit ; après lui, la science était sinon faite, du moins fondée : le principe était donné, les grandes appli¬ cations indiquées. » Mais l'exemple de cette solide assu¬ rance, ne faut-il pas l'aller chercher dans Vico lui-même, qui n'hésita pas à donner à son œuvre ce titre qu'il savait être « invidioso », c'est-à-dire à la fois orgueilleux et digne d'envie : Science Nouvelle. LE VRAI EST LE FAIT MEME Science Nouvelle , l'allusion à Gali¬ lée est transparente, auquel Vico s'est d'ailleurs déjà explicitement référé, quelques années auparavant, à propos du premier de ses grands ouvrages, le De antiquissima Italorum sapientia, publié en 1710. Ce texte constitue l'expression la plus achevée de ce que l'on peut avec Croce considérer comme la première forme de la gnoséologie vichienne, gnoséologie qui « se présente comme la critique directe et l'antithèse de la pensée cartésienne (3) ». Le contenu de cet anticartésianisme de Vico, (3) B. Croce, La Filosofia di G.B. Vico, Bari, 1953. 57 ETUDE Croce l'a analysé en des pages déci¬ sives, et il ne faut peut-être pas pren¬ dre trop à la lettre la déclaration péremptoire et provocante qui ouvre son essai sur le philosophe napolitain. Dans sa critique de Descartes, in¬ dique Croce, Vico, à l'encontre de la plupart des adversaires du philosophe français, va droit au cœur de la ques¬ tion : au critère même établi par ]e Discours et qui doit donner accès à la vérité scientifique : le principe de l'évidence. Que le cogito enferme le penseur dans sa subjectivité et ne lui permet pas d'en sortir : c'est là l'es¬ sentiel de la critique qu'adresse Vico à Descartes. Dans l'affirmation du cogito, la certitude de la pensée et de l'être est conscience non science. Mais en quoi consiste la vérité scientifique, puisqu'elle ne réside pas dans la conscience immédiate ? Quel est le critère de la science, la condition de sa possibilité ? La réponse que donne Vico, — Croce le rappelle — est en fait traditionnelle dans la mesure où elle est quasi intrinsèque à la pensée chré¬ tienne, sous cette forme : Dieu peut seul avoir pleine science des choses parce que lui seul en est l'auteur . Mais ce que Croce met bien en lumière, c'est que Vico « ne se borne pas à des affirmations accidentelles, et que, le premier, saisissant la fécondité du concept exprimé dans cette proposi¬ tion (...) il affirme, contre Descartes, comme principe gnoséologique uni¬ versel, que la condition pour connaître line chose est de la faire, et que le vrai est le fait même : verum ipsum factum (1) ». (1) ibid. Principe longue le De Sapientia, même ouvrage ré nous avons dit conclure que le du vrai c'est de ipsum factum ; et quence, que l'idé sans parler des au être un critère, m qui la conçoit : c connaître lui-mêm pas lui-même, et même, il ignore connaissance, ou, même, la façon acte de connaissa La première c peut et doit tirer celle qu'en tiraien les sceptiques d l'impossibilité d'u pour l'homme, à seuls domaines o créateur, celui, mathématiques qu évidence non du tésien mais du p Vico, la convers fait : mathématica verum facimus (3) UN NOUVEAU D DE LA METHOD Ici s'ouvre pou de crise : crise comme le pense N théorique. Tant (2) G.B. Vico, O (3) Nous démont thématiques parce q nous-mêmes la vérit L'IDEE DE LA « SCIENCE NOUVELLE » ment et de labeur passées à tenter de résoudre le problème (laissé sans réponse véritablement satisfaisante par Descartes, abordé sans rigueur par les expérimentalistes et par Bacon), de la validité et de l'efficace du savoir, pour en arriver à ce nœud d'incerti¬ tudes, et voir un principe, que l'on avait cru pourtant fécond et positif, se retourner contre soi, laissant hors de son champ, extrêmement restreint, d'application, celui des « fictions » mathématiques, d'immenses étendues de l'expérience à l'état de véritable friche : telle était bien la situation de Vico, au terme de sa longue tâche. Situation d'autant plus inconforta¬ ble qu'elle l'atteignait non dans quel¬ que abstraite méditation, mais dans la pratique quotidienne même que commandaient ses fonctions et ses recherches. Un travail tout à fait contingent contribua efficacement à le mettre, au moins indirectement, sur la voie de la découverte. Un de ses élèves, Adriano Carafa, duc de Traetto, lui avait demandé d'écrire une biographie de son aïeul, le Maréchal Antonio Carafa — ce qui le conduisit à lire Grotius, dont il fit, après Platon, avec Tacite (qu'il se mit à relire, avec Bacon, qui ne l'avait jamais quitté, le quatrième et le dernier de ses « auteurs ». « Dans le fait, note encore Benedetto Croce, de se pen¬ cher sur les faits de l'histoire, Vico avait l'impression de s'approprier mieux quelque chose qui déjà lui appartenait, de rentrer dans son pro¬ pre bien W. » Car le principe qu'il avait quelques années auparavant (1) B. Croce, op. cit. dégagé et dont il avait dû comme à contrecœur restreindre la fécondité à la seule mathématique ne trouvait-il pas là le champ de sa plus certaine efficacité ? Et qui étaient les auteurs de leur propre histoire, sinon les hommes ? Evidence qui lui ouvrait la voie de sa deuxième grande décou¬ verte, à savoir que le monde civil est certainement l'œuvre des hommes (S.N., Des Principes) et qu'il ne sau¬ rait y avoir « d'histoire plus certaine que lorsque celui qui crée les choses est en même temps celui qui les narre. » (S.N., De la Méthode.) Et bien sûr, d'autres sur ce chemin l'avaient peut-être déjà précédé : Hobbes, Leibniz, Marx, pourtant, a parfaitement désigné le lieu qui sépare Vico de ses contemporains ou de ses devanciers, quand il écrit, comparant ses propres découvertes à celles de Darwin : « Et ne serait-elle pas (l'his¬ toire des formations sociales) plus facile à écrire, puisque, comme dit Vico, l'histoire humaine et l'histoire naturelle se distinguent en ceci, que nous avons fait l'une et que nous n'avons pas fait l'autre ? (2) Cette histoire du monde civil, Vico — et c'est là encore sa profonde nouveauté — ne va pas en chercher les fondements dans l'universalité abstraite de la raison, comme il re¬ prochera de l'avoir fait à ses devan¬ ciers, Grotius y compris et les théoriciens du Droit Naturel, ou à la philosophie rationaliste, mais dans l'étude comparative des lois uniformes qui président à la formation des so¬ ciétés. Le reproche fondamental que Vico (1) K. Marx, Le Capital, I, 2. 59 ETUDE adresse aux théoriciens du Droit naturel, c'est finalement d'avoir pris le résultat pour son processus de pro¬ duction, en transportant par la pensée à l'aube de l'humanité cette raison qui est en fait l'aboutissement d'une lente transformation intellectuelle et sociale. La théorie du Contrat Social que Vico va réfuter, témoigne à ses yeux de la même erreur, puisqu'elle présuppose l'existence de ce que pré¬ cisément elle se propose de démon¬ trer : la société. Mais Vico s'oppose ici sur un autre point, qui est insé¬ parable du premier, à ses devanciers : ne se préoccupant pas des « résul¬ tats », mais du processus de leur production, il ne va pas chercher des essences mais des lois, et des lois qui ne soient pas seulement applicables à telle ou uploads/Science et Technologie/ 1970-texto-de-paul-giannelloni.pdf

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