Flaubert et Freud Les deux personnages éponymes de Bouvard et Pécuchet sont deu

Flaubert et Freud Les deux personnages éponymes de Bouvard et Pécuchet sont deux citadins parisiens, approchant la cinquantaine, copistes de métier, qui, lassés de leur vie et grâce à un héritage, décident de s’acheter une maison et une terre agricole à la campagne. Ils succombent au rêve idyllique du retour à l’âge d’or, au paradis perdu de l’homme vivant en harmonie avec la nature; rêve idyllique qui se résume en réalité à une tentative de l’homme de dominer la nature par la culture. Pour ce faire, ils lisent les livres les plus éminents de chaque discipline afin de tout connaître et tout savoir dans le but faire fructifier leur terre, mais vont cependant d’échec en échec. Avec ce roman, Gustave Flaubert, amoureux du langage, des lettres et du savoir, fait, sous forme parodique, une sévère critique contemporaine de l’usage de l’écrit au XIXe siècle. De fait, l’écriture a une influence sur les dispositions cognitives et les modes de pensée: «on ne pense plus de la même manière dans une langue écrite» (Goody, 1979: 12). L'invocation de l'inconscient permet d'innombrables mystifications voire arnaques. Beaucoup de psys vivent, confortablement, de cette boîte magique. Auteur de «Psychologie de la vie quotidienne» (1) Professeur à l'UCL et aux Facultés universitaires Saint-Louis Dans les années 1870, alors que la psychologie n'était pas encore institutionnalisée, Flaubert raillait un procédé qui allait devenir, au XXe siècle, un des travers les plus courants de la psychologie: l'application intempestive d'une grille interprétative. Lorsque ses personnages Bouvard et Pécuchet deviennent archéologues amateurs, ils découvrent que «la pierre levée symbolise l'organe mâle.» «En effet, où il y a des menhirs, un culte obscène a persisté. Témoin ce qui se faisait à Gérande, à Chichebouche.» Forts de cette révélation, les deux bonshommes extrapolent aussitôt: «Anciennement, les tours, les pyramides, les cierges, les bornes des routes et même les arbres avaient la signification de phallus - et pour Bouvard et Pécuchet tout devint phallus. Ils recueillirent des palonniers de voiture, des jambes de fauteuil, des verrous de cave, des pilons de pharmacien. Quand on venait les voir, ils demandaient «à quoi trouvez-vous que cela ressemble?» puis confiaient le mystère - et si l'on se récriait, ils levaient de pitié les épaules.» Certes, une pierre dressée peut représenter l'organe mâle. Certaines, notamment en Bretagne, ont eu cette fonction, mais des historiens ont montré qu'elle peut également symboliser la présence divine, l'âme des ancêtres et bien d'autres choses. Ne pourrait-on toutefois soutenir que, «dans l'inconscient», la pierre dressée est toujours « fondamentalement» un équivalent du phallus, que Jacques Lacan affirme être «le signifiant ultime» ? La mise en garde de William James Il est essentiel de rappeler la mise en garde de William James, qui fut le premier professeur de psychologie des Etats-Unis. En 1890, dans son monumental traité de psychologie, il examinait la façon dont Schopenhauer, von Hartmann, Janet, Binet et d'autres avaient utilisé les termes «inconscient» et«subconscient» (il ne citait pas Freud qui, à cette époque, n'avait encore rien publié sur le sujet!). James écrivait alors: «La distinction entre les états inconscients et conscients du psychisme est le moyen souverain pour croire tout ce que l'on veut en psychologie.» Le père de la psychologie américaine ne niait pas l'existence et l'importance de processus inconscients. Il a beaucoup écrit notamment sur la transformation de conduites conscientes en habitudes inconscientes. Néanmoins, avant même la naissance de la psychanalyse, il dénonçait les explications que les psys tirent si facilement de la boîte «inconscient». Depuis plus de 300 ans, des philosophes et des médecins, ensuite des psys et, finalement, tout le monde expliquent des conduites observables par des mécanismes inconscients. Non sans raison: à tout moment, nos réactions participent de processus auxquels nous ne réfléchissons pas ou dont nous ignorons l'existence. Cela dit, il importe de rester très prudent. Depuis la popularisation du freudisme, on invoque l'«inconscient» comme on invoquait les esprits au XIXe siècle. Cette façon de parler a produit de puissantes mythologies, auxquelles croient beaucoup de gens intelligents et instruits, mais peu au fait de la psychologie scientifique d'aujourd'hui. Les perceptions subliminales Limitons-nous à un exemple. Depuis les expériences de Peirce et de Jastrow en 1884, à l'université Johns Hopkins, des centaines de recherches ont été effectuées sur les perceptions subliminales, ces perceptions que nous enregistrons sans en prendre activement conscience. Dans les années 1950, les publicitaires ont cru pouvoir en tirer parti. L'expérience la plus célèbre est celle de James Vicary. En 1957, celui-ci révélait avoir mis au point une technique de vente révolutionnaire: l'insertion de messages subliminaux dans des films de cinéma. Il disait avoir intercalé, dans le film Picnic, deux messages: «Drink coca-cola» et «Eat popcorn». Ces messages apparaissaient très brièvement, à tour de rôle, toutes les cinq secondes. Vicary affirmait que la vente de coca-cola avait augmenté de 18pc et celle du maïs soufflé de 58pc. L'annonce de cette expérience se répandit comme une traînée de poudre et provoqua un tollé dans la presse. Newsday disait qu'il s'agissait de l'invention la plus effrayante depuis la bombe atomique. La Grande-Bretagne et l'Australie votèrent une loi interdisant la publicité subliminale. Aux Etats-Unis, la rumeur se répandit que la persuasion inconsciente était déjà largement utilisée, non seulement par des entreprises commerciales, mais même par le gouvernement fédéral. Dans les années qui suivirent, des psychologues scientifiques tentèrent de réaliser le même type d'expérience, sans jamais obtenir les fabuleux résultats de Vicary. Confronté à ces contre-expériences et aux demandes insistantes d'examiner son matériel, Vicary (qui n'était pas un scientifique, mais un diplômé en psychologie devenu directeur d'une agence de publicité) finit par avouer en 1962 que ses résultats n'étaient qu'une invention destinée à trouver des clients pour sa firme en difficulté. Le dossier «Buvez coca-cola» présente des leçons très importantes, notamment celle-ci: les fausses croyances persistent dans le public en dépit des réfutations scientifiques. Il y a quelques années, alors que les meilleurs spécialistes de la psychologie s'accordaient désormais sur l'absence d'efficacité de la persuasion subliminale, une enquête américaine révélait que 81pc des personnes, qui savaient ce qu'était la publicité subliminale, croyaient que c'était une pratique courante et 68pc croyaient qu'elle était efficace... Acheter des cassettes subliminales? Aujourd'hui, la persistance de la croyance populaire dans l'efficacité de messages subliminaux fait l'affaire de fabricants de cassettes d'auto-thérapie et de «développement du potentiel humain» : les «subliminal self-help audiotapes». A en croire les fabricants, ces cassettes, qui émettent de la musique douce et autres sons relaxants, diffusent des suggestions qui ne sont pas entendues consciemment et qui seraient d'autant plus efficaces qu'elles entrent ainsi directement dans l'«inconscient». Des recherches scientifiques montrent que certaines ne contiennent pas plus de messages, repérables par la technologie moderne, que des remèdes homéopathiques contiennent des molécules du produit annoncé. D'autres cassettes, où se murmure de façon quasi inaudible «J'ai une grande valeur, je crois en moi, etc.», n'ont pas plus d'effet qu'un placebo. L'arnaque lancée par Vicary continue sur sa lancée. En se métamorphosant quelque peu, il lui reste de beaux jours. L'invocation de l'inconscient permet d'innombrables mystifications. Beaucoup de psys vivent, confortablement, de cette boîte magique. (1) Les réflexions ici présentées sont extraites de l'ouvrage, récemment paru, «Psychologie de la vie quotidienne», Paris, éd. Odile Jacob, 336 p. Le lecteur y trouvera les références de toutes les citations du présent article. © La Libre Belgique 2003 uploads/Science et Technologie/ flaubert-et-freud.pdf

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