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Tous droits réservés © Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) et Société québécoise d'études théâtrales (SQET), 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 27 juil. 2022 14:22 L’Annuaire théâtral Revue québécoise d’études théâtrales Dossier — Méthodes en question L’ethnoscénologie. Vers une scénologie générale Jean-Marie Pradier Numéro 29, printemps 2001 Méthodes en question URI : https://id.erudit.org/iderudit/041455ar DOI : https://doi.org/10.7202/041455ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) et Société québécoise d'études théâtrales (SQET) ISSN 0827-0198 (imprimé) 1923-0893 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pradier, J.-M. (2001). L’ethnoscénologie. Vers une scénologie générale. L’Annuaire théâtral, (29), 51–68. https://doi.org/10.7202/041455ar Résumé de l'article L’ethnoscénologie est une nouvelle ethnoscience (1995) fondée sur la nécessité de maîtriser toute forme d’ethnocentrisme dans l’étude des arts du spectacle vivant placés dans leur contexte historique, culturel et social. La spécificité de l’ethnoscénologie est définie par rapport à l’ethnomusicologie, les performance studies, la théorie de l’ethnodrame (Mars) et l’anthropologie théâtrale (Barba). La définition exploratoire est suivie de l’examen de la notion de pratique performative — dérivée du néologisme introduit par Jerzy Grotowski (1997). Cette notion constitue un outil épistémologique utile pour la constitution d’une scénologie générale. L’auteur soutient qu’il est nécessaire d’abandonner la monodisciplinarité propre aux études théâtrales, d’adopter une perspective transdisciplinaire, en incluant notamment les neurosciences et les sciences cognitives, tout en développant un dialogue entre expertises scientifiques et la connaissance des performers eux-mêmes. Jean-Marie Pradier Université de Paris 8 L'ethnoscénologie. Vers une scénologie générale L ethnoscénologie1 étudie les pratiques performatives de divers groupes et communautés culturels du monde entier avec le souci premier de tempérer sinon de maîtriser toute forme d'ethno- centrisme. L'ethnoscénologie associe : • les disciplines scientifiques vouées à l'exploration et à l'analyse du compor- tement humain : sciences humaines (notamment l'anthropologie, la linguis- tique, l'ethnologie et les disciplines associées) et sciences du vivant (notamment les neurosciences) (Pradier, 1996); • les sciences de l'art, notamment les études théâtrales et chorégraphiques; • le savoir et le point de vue des praticiens et des publics. La confrontation du point de vue des acteurs (ceux qui font) et des scientifiques permet de s'interroger sur la légitimité du langage dans lequel est conduite l'analyse (Friedberg, 1987). 1. Le terme « ethnoscénologie » est un néologisme construit sur le modèle courant de la terminolo- gie scientifique pour identifier une nouvelle discipline (Pradier, 1996). Le nom a été adopté par une communauté de chercheurs et de praticiens à la suite d'un colloque international [UNESCO & Mai- son des cultures du monde, Paris, 3-4 mai 1995]. L'ANNUAIRE THÉÂTRAL, N° 29, PRINTEMPS 2001 52 L'ANNUAIRE THÉÂTRAL L'expression «pratique performative » se réfère au néologisme proposé par Jerzy Grotowski dans la leçon inaugurale qu'il présenta le 24 mars 1997 lors de sa réception à la chaire d'anthropologie théâtrale au Collège de France. Le terme performatify qui ne doit pas être confondu avec l'acception qu'il a reçu en linguis- tique (J. L. Austin; É. Benveniste), qualifie tout « comportement humain spectacu- laire organisé», locution pesante utilisée faute de mieux (Pradier, 1996 : 16), mais explicite et pour cela reprise par certains auteurs (Mandressi, 2000). Le mot souligne l'entièreté du phénomène étudié y compris le processus qui conduit à sa réalisation, sans se limiter à la perception du spectateur ou du témoin (Grotowski, 1993). Ce choix n'engage pas seulement le vocabulaire, mais expli- cite que l'objectif premier d'une description anthropologique est ce que/0///les individus, non ce qu'ils sont1 (Bazin, 2001). La pluridisciplinarité est le préalable méthodologique de l'ethnoscénologie. La position et la compétence particulière du chercheur génèrent l'objet de la re- cherche qui n'est qu'un aspect du phénomène in toto et ne peut être confondu avec lui. Comme le souligne Nicole Revel (1992, 2000), dans son étude sur l'épo- pée, l'approche plurielle cautionne la contribution effective de toutes les formes de compétences et de spécialisations pour l'identification des objets et la vérifica- tion de certaines données. Elle implique également la pluralité des axes d'obser- vation, qui doivent prendre en compte, entre autres, les activités cognitives inconscientes et les stratégies conscientes propres au chant d'une épopée - aussi bien l'activité d'un acteur-danseur de kathakali que celle d'un comédien du Fran- çais - , car l'étude des processus mentaux duperformerest aussi importante que celle de sa gestuelle, de ses mouvements et de sa voix. Toutefois ce qui différencie la démarche de l'ethnoscénologue de celle du psychologue ou du sociologue est la recherche des logiques communautaires dans leur interaction avec la personnalité individuelle. Par les questions qu'elle suscite, l'ethnoscénologie joue un rôle tout à fait spécifique dans le champ des études théâtrales et chorégraphiques traditionnelles, car en soulignant la spécificité de notre culture elle oblige à relativiser les œuvres et les pratiques occidentales du spectacle. Mettant l'accent sur l'action qui sous- 2. « C'est en fin de compte non pas ce que ces humains sont, à quel point et de quelle manière ils sont autres que moi, Bambaras, Papous ou Balinais, mais ce qu'ils/o»/, la manière dont en la circonstance ils agissent. Le propre d'une action, c'est qu'elle est nécessairement "faite" d'une certaine manière, pas n'importe comment, et qu'elle est donc susceptible d'être expliquée, c'est-à-dire explicitée. » L'ETHNOSCÉNOLOGIE. VERS UNE SCÉNOLOGIE GÉNÉRALE 53 tend la manifestation spectaculaire, et la connaissance qu'elle implique chez ses acteurs, l'ethnoscénologie concourt à faire reconnaître le statut spécifique des pratiques performa tives dans le champ de la recherche anthropologique. En s'attachant à rendre compte de l'interaction des universaux et des particu- larismes propres à l'humanité sous-tendus par la capacité d'invention qui la carac- térise, l'ethnoscénologie participe à la construction progressive d'une scénologie générale qui ne se limiterait pas à l'analyse des spectacles mais travaillerait les questions : « Pourquoi et comment l'Homme pense-t-il avec son corps ? En quoi et à quelles conditions un certain type d'action participe-t-il de l'esthétique ? » Une ethnoscience L'objet de la recherche ethnoscénologique inclut les formes et les théories occi- dentales du spectacle vivant qui ne peuvent être isolées du contexte dans lequel leur histoire est inscrite, et ne sauraient constituer un corpus uniforme et stati- que. L'exploration des théories occidentales s'avère nécessaire en raison de la ten- dance à analyser et à interpréter ce qui en diffère en les prenant pour critère ou pour centre d'un système vers lequel tout devrait converger. Sous la théorie qui s'élabore à partir de présupposés culturels et personnels, pour la plupart implici- tes, se trouve le théoricien -à moins qu'il ne soit dedans. Les critères d'analyse des spectacles, par exemple, sont fonctions des conceptions propres à un groupe relatives à la nature des spectacles ou plus largement à la nature de l'Homme. Si une anthropologie des anthropologues est aujourd'hui en chantier (Rabinow, 1986; Clifford, 1988), ne serait-il pas opportun d'interroger les limites de la « science » du théâtre qui peine singulièrement à intégrer les disciplines et les perspectives hors d'une tradition essentiellement littéraire ? Pendant longtemps, l'ethnomu- sicologie n'a-t-elle pas exclu la musique occidentale savante de son champ d'étude, comme si celle-ci n'était pas « ethnique » (Blacking, 1980 : 11) P3. Le point de dé- part de toute ethnoscénologie consiste à évaluer les présupposés alluvionnaires du chercheur, lentement déposés dans ses modes de pensée, de perception et d'ac- tion au fil de son histoire personnelle et de l'histoire collective. Le parti pris théorique ne se limite pas aux préjugés culturels, ces « évidences invisibles » (Carroll, 1987) supposément partagées par tout un peuple. « La première altérité (celle de ceux que l'anthropologue étudie) commence au plus près de l'anthropo- logue; elle n'est pas nécessairement ethnique ou nationale; elle peut être sociale, 3. John Blacking remarque à propos de l'Europe occidentale : « Il faut nous souvenir que dans la plupart des conservatoires on n'enseigne qu'une espèce particulière de musique ethnique, et que la musicologie est en réalité une musicologie ethnique ». 54 L'ANNUAIRE THÉÂTKAL professionnelle, résidentielle » (Auge, 1994 : 25). Paradoxalement, la différence culturelle est plus grande entre des collègues concitoyens selon leur discipline d'origine, qu'elle ne peut l'être entre spécialistes d'une même science de nationa- lités différentes. Il ne faut pas s'étonner de l'impulsion donnée au champ théorique des études théâtrales par les praticiens qui ont su apporter les éléments de connaissance que seule peut donner l'expérience. Dans la perspective des ethnosciences auxquelles l'ethnoscénologie s'apparente, les principes et les lois pragmatiques que les arti- sans du théâtre ont mis en évidence relèvent du type d'analyse dite « intérieure » - point de vue des acteurs - , par opposition à l'analyse dite « extérieure » - point de vue de la « science ». La conjugaison de ces deux approches — uploads/Science et Technologie/ l-x27-ethnoscenologie-vers-une-scenologie-generale-l-x27-ethnoscenologie-jean-marie-pradier.pdf

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