Émile Durkheim (1900) « La sociologie en France au XIXe siècle. » Un document p

Émile Durkheim (1900) « La sociologie en France au XIXe siècle. » Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel: mailto:mabergeron@videotron.ca Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Émile Durkheim (1900), « La sociologie en France au XIXe siècle. » 2 Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraie de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec courriel: mailto:mabergeron@videotron.ca site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin à partir de : Émile Durkheim (1900) « La sociologie en France au XIXe siècle. » Une édition numérique réalisée à partir de l’article d’Émile Durkheim, « La sociologie en France au XIXe siècle. » — Revue bleue, 4e série, t. XIII, nos 20, 1900, pp. 609-613 et 21, pp. 647-652. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 28 mai 2002 à Chicoutimi, Québec. Émile Durkheim (1900), « La sociologie en France au XIXe siècle. » 3 La sociologie en France au XIXe siècle Par Émile Durkheim (1900) Déterminer la part qui revient à la France dans les progrès qu'a faits la sociologie pendant le XIXe siècle, c'est faire, en grande partie, l'histoire de cette science; car c'est chez nous et au cours de ce siècle qu'elle a pris nais- sance, et elle est reste une science essentiellement française. Il est vrai que, si l'on appelle de ce nom toute spéculation sur la vie des peuples, la sociologie paraît de beaucoup antérieure au mot qui sert aujour- d'hui à la désigner. A ce compte, en effet, les théories de Platon et d'Aristote sur les formes diverses de l'organisation politique pourraient être regardées comme un premier essai de science sociale, et il n'est pas rare qu'on les pré- sente sous cet aspect. En fait, il n'est pas contestable qu'elles n'aient constitué une importante nouveauté ; car elles font partie du développement historique au cours duquel la sociologie devait, un jour, apparaître. Elles sont une pre- mière application de la réflexion aux choses de l'ordre social. Seulement, il ne suffit pas que la réflexion s'applique à un ordre de faits pour qu'une science en résulte ; il faut, de plus, qu'elle s'y applique d'une certaine manière. La méde- cine existait depuis des siècles avant qu'on eût eu l'idée de la physiologie ; et pourtant, quelles qu'aient pu être ses erreurs, il n'est pas douteux que la Émile Durkheim (1900), « La sociologie en France au XIXe siècle. » 4 médecine était déjà une œuvre de réflexion et qu'elle avait pour objet, comme la physiologie humaine, les phénomènes qui se passent dans le corps de l'homme. C'est qu'autre chose est un art, même méthodique et réfléchi, autre chose une science. La science étudie les faits uniquement pour les connaître et en se désintéressant des applications auxquelles peuvent se prêter les notions qu'elle élabore. L'art, au contraire, ne les considère que pour savoir ce qu'il y a lieu d'en faire, à quelles fins utiles ils peuvent être employés, quels effets nuisibles il faut les empêcher de produire et par quelle voie l'un ou l'autre résultat peut être atteint. Sans doute, même pour résoudre ces problèmes, il faut, de toute nécessité, se faire quelque idée des objets sur lesquels on veut agir, pour sa- voir à quel usage une chose peut servir, il faut, en quelque mesure, la con- naître. Il n'y a donc pas d'art qui ne contienne en soi des théories à l'état immanent. Mais ces théories ne sont pas le but immédiat de l'art ; elles ne sont pour le praticien qu'un moyen d'arriver à sa fin qui est d'agir. Or, pour pouvoir réfléchir méthodiquement, c'est-à-dire de manière à diminuer les risques d'erreur, il faut avoir du temps devant soi ; au contraire, l'action est toujours plus ou moins urgente et ne peut attendre. Les nécessités de la vie nous obli- gent à rétablir, sans délai, l'équilibre vital dès qu'il est troublé et, par consé- quent, à prendre des partis sans retard. Les théories qui sont ainsi subordon- nées aux exigences de la pratique sont donc hâtivement et sommairement construites. Sans doute, dans la mesure où la réflexion est éveillée, on s'effor- ce de l'utiliser, et d'ailleurs, d'elle-même, elle réclame qu'on lui fasse sa part. Mais, d'un autre côté, on ne peut lui permettre d'aller contre le but auquel elle doit servir et de suspendre indéfiniment l'action qui presse ; on la réduit donc plus ou moins à la portion congrue. Ne pouvant procéder avec la prudence qu'exige la saine méthode, elle se contente alors à peu de frais en fait de raisons et de preuves. Le plus souvent même, les preuves ne sont guère allé- guées que pour faire figure d'arguments. Ce sont des instincts, des passions, des préjugés dissimulés sous forme dialectique ; elles trompent notre besoin de nous rendre compte plus qu'elles ne le satisfont. La science n'apparaît que quand l'esprit, faisant abstraction de toute préoc- cupation pratique, aborde les choses à seule fin de se les représenter. Alors, n'étant plus pressé par la nécessité de vivre, il peut prendre son temps, et s'entourer de toutes les précautions possibles contre les suggestions irraison- nées. Mais cette dissociation de la théorie et de la pratique suppose toujours une mentalité relativement avancée. Car, pour en venir à étudier les faits uniquement en vue de savoir ce qu'ils sont, il faut être arrivé à comprendre qu'ils sont d'une façon définie, et non d'une autre, c'est-à-dire qu'ils ont une manière d'être constante, une nature d'où dérivent des rapports nécessaires. En d'autres termes, il faut être parvenu à la notion de lois ; le sentiment qu'il y a des lois est le facteur déterminant de la pensée scientifique. Or, on sait avec quelle lenteur la notion de loi naturelle s'est constituée et s'est progressivement étendue aux différentes sphères de la nature. Il fut un temps, qui n'est pas très éloigné, où elle était encore inconsistante et confuse, même en ce qui concerne le règne minéral. Elle ne s'est introduite que récemment dans les spéculations relatives à la vie ; elle n'est encore qu'imparfaitement acclimatée en psycho- logie. On conçoit donc qu'elle n'ait pu pénétrer qu'avec la plus grande peine dans le monde des faits sociaux ; et c'est ce qui fait que la sociologie ne pouvait apparaître qu'à un moment tardif de l'évolution scientifique. Émile Durkheim (1900), « La sociologie en France au XIXe siècle. » 5 Cette extension nouvelle venait même se heurter à des résistances toutes spéciales. Il fallait tout d'abord que la notion de loi fût parvenue, dans les sciences proprement naturelles, à un suffisant degré d'élaboration. Mais cette condition nécessaire n'était pas suffisante. L'esprit est habitué depuis des siècles à concevoir un tel abîme entre le monde physique et ce qu'on appelle le monde humain, que l'on devait se refuser pendant longtemps à admettre que les principes, même fondamentaux, de l'un soient aussi ceux de l'autre. De là, la tendance générale à mettre les hommes et les sociétés en dehors de la nature, à faire des sciences de la vie humaine, soit individuelle soit sociale, des sciences à part, sans analogues parmi les sciences physiques, même les plus élevées. C'est dire qu'on n'y voyait pas des sciences proprement dites, mais des spéculations indécises, où l'enchaînement des faits recelait toujours d'obscures contingences, où la description littéraire était plutôt de mise que l'analyse méthodique. Pour triompher de cet obstacle, il fallait faire reculer le préjugé dualiste ; et le seul moyen pour cela était d'acquérir et de donner un vif sentiment de l'unité du savoir humain. À la fin du siècle dernier, ces conditions pouvaient sembler remplies. L'é- branlement de l'ancien système social, en provoquant la réflexion à chercher un remède aux maux dont souffrait la société, l'incitait par cela même à s'appliquer aux choses collectives. D'un autre côté, l'unité de la science n'était plus à découvrir, puisque l'entreprise des encyclopédistes avait précisément pour objet de la proclamer. Aussi vit-on dès lors se produire des tentatives qu'inspirait évidemment l'obscur sentiment de la science qui restait à fonder. C'est Montesquieu et Condorcet qui paraissent avoir eu le plus nettement conscience de la lacune et qui firent le plus remarquable effort pour la combler. Mais ni l'un ni l'autre n'aborda le problème dans toute son étendue. Ils sentaient bien que la suite des phénomènes sociaux présentait un certain ordre, mais ils n'avaient pas de cet ordre, de sa nature, des procédés les plus aptes à le découvrir, une conception bien uploads/Science et Technologie/ la-sociologie-en-france-au-xixe-siecle-emile-durkheim.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager