Canadian Journal of Communication Vol 41 (2016) 65–73 ©2016 Canadian Journal of

Canadian Journal of Communication Vol 41 (2016) 65–73 ©2016 Canadian Journal of Communication Corporation Catherine Lemarier-Saulnier est étudiante au doctorat dans le Département d’information et de communication de l’université Laval. Courriel : catherine.lemarier-saulnier.1@ulaval.ca . Cadrer les définitions du cadrage : une recension multidisciplinaire des approches du cadrage médiatique Catherine Lemarier-Saulnier Université du Québec à Trois-Rivières ABSTRACT Media framing is a ubiquitous concept in studies of political mediatization. This article proposes to present the diverse approaches and research traditions that employ this polysemic concept, notably by establishing differences between studies related to sociology and those related to psychology. First, it focuses on the particularities and limits of each of these great research traditions on media framing. Then, it proposes a distinction between no- tions of framing and frames. KEYWORDS Frames; Media framing; Political mediatization RESumÉ Le cadrage médiatique est un concept omniprésent dans les recherches portant sur la médiatisation de la politique. Cet article propose de présenter les diverses approches et traditions de recherche qui utilisent ce concept polysémique, notamment en établissant les différences entre les études liées à la sociologie et celles liées à la psychologie. D’abord, il sera question des particularités et des limites de chacune de ces grandes traditions de recherche sur le cadrage médiatique. Puis une distinction entre les concepts de cadrage et de cadre sera apportée. mOTS CLÉS Cadres; Cadrage médiatique; Médiatisation de la politique Introduction Dans la langue française, le verbe « cadrer » revêt plusieurs significations. Qu’il soit question de cadrer une photo ou encore de cadrer un tir dans les buts au soccer, le cœur de ces expressions est d’établir les limites d’un objet par choix ou par contrainte. Rien d’étonnant alors que le concept de cadrage, inspiré de ce verbe, soit si polysémique dans les recherches en sciences humaines, et particulièrement celles en communication. Pour de Vresse et Lecheler (2012), ce flou théorique s’explique par le fait que les définitions du cadrage sont souvent personnalisées à la recherche pour laquelle ce concept est mobilisé. Avec l’engouement des dernières années sur la question du cadrage, il est d’autant plus difficile de s’y retrouver. En effet, uniquement depuis les années 2000, 30 articles portant explicitement sur le cadrage ont été publiés dans cette revue scientifique 66 Canadian Journal of Communication, Vol 41 (1) même, soit le Journal canadien de la communication. C’est-à-dire que, depuis le début des années 2000, 30 textes utilisent le mot cadrage, ou l’un de ses dérivés (framing, frame, frames, cadrage, cadre, cadres), soit dans le titre, soit dans le résumé ou encore dans les mots clés. Par contre, lorsque l’on étend la recherche du mot « framing » à tous les champs, le résultat des ouvrages cités par le site web de la revue dépasse les cent- soixante occurrences pour la même période; et lorsqu’il s’agit du mot « frame », le chiffre bondit à deux cent soixante-huit. Pour les jeunes chercheurs s’intéressant au cadrage médiatique, il n’est donc pas étonnant de constater une difficulté à se retrouver dans cette masse de définitions, parfois très différentes les unes des autres. Ce texte propose donc d’établir les principes fondateurs du cadrage, et cela en passant par la description des deux grandes traditions de recherche présentes dans le domaine de la communication. L’objectif de ce texte est donc d’aider les jeunes chercheurs (ou les néophytes) à comprendre les grandes lignes du cadrage. Méthode utilisée Pour réaliser cette réflexion théorique sur le cadrage, nous avons procédé à une recension des écrits sur la question. Pour ce faire, nous avons utilisé la méthode des mots clés dans le moteur de recherche de la bibliothèque de l’université Laval, puis dans la base de données Communication & Mass Media Complete. Nous avons mobilisé les mots clés suivants : framing et frame, ainsi que leurs équivalents français, cadrage et cadre. Nous avons ensuite sélectionné aléatoirement un échantillon de quatre-vingt-huit textes. Ces textes sont des articles publiés dans des revues scientifiques ou encore des livres spécialisés sur la question. Lors de notre recension, nous avons séparé les textes en trois grandes catégories : les ouvrages théoriques ou méta-analyses, les recherches s’inscrivant en psychologie, les recherches s’inscrivant en sociologie. Cette catégorisation, inspirée des travaux de Borah (2011), associe les recherches se basant sur les travaux de Kahneman et Tversky (1979, 1984) à la grande famille psychologique. Ces dernières tentent souvent d’identifier « how news framing influences information processing and the subsequent decision-making processes » (Borah, 2011, p. 248). Toujours selon Borah (2011), les recherches plutôt sociologiques suivent les enseignements de Goffman (1974) et proposent que « frames help people organize what they see in everyday life » (Borah, 2011, p. 248). Ainsi, les recherches proposant la description d’une réalité, l’analyse culturelle ou historique, ou encore celle des effets sur les mouvements sociaux ont été catégorisées ici. Notre dernière catégorie inclut les articles proposant une méta-analyse ou une réflexion théorique sur le cadrage ou sur les cadres. Notre texte présentera donc une définition plus complète du cadrage pour ensuite détailler les particularités des deux grandes traditions de recherche sur cette thématique. Définition générale du cadrage Cette incursion dans le domaine des recherches sur le cadrage s’amorce par les définitions les plus larges, celles qui permettent de brosser un portrait, parfois un peu sommaire, de ce concept. Dans un premier temps, Chong et Druckman (2007) offrent une synthèse intéressante des diverses définitions. Ils avancent que « the major premise of framing theory is that an issue can be viewed from a variety of perspectives and be construed as having implications for multiple values or considerations » (p.104). Avec cet énoncé, Chong et Druckman vont au cœur de bien des définitions de ce concept : un événement, un enjeu, une personne, etc., peuvent être vus et compris de plusieurs manières. Ainsi les médias, en rapportant ces éléments dans l’actualité, choisiraient souvent un angle de traitement précis, orientant les perceptions des citoyens. Le cadrage sera donc perçu comme le processus expliquant ces orientations ou encore comme expliquant le processus de construction du sens qui s’opère à la fois dans les médias et dans « la tête » du récepteur lors de son interprétation. Par ailleurs, et pour jeter les bases de notre réflexion sur la question du cadrage, lors de notre recension, nous nous sommes aperçus qu’une définition revenait dans plusieurs ouvrages sur le cadrage (34 fois sur 88, donc dans 38,6 % des textes recensés). Cette définition est celle d’Entman, qui propose : To frame is to select some aspects of a perceived reality and make them more salient in a communicating text, in such a way as to promote a par- ticular problem definition, causal interpretation, moral evaluation, and/or treatment recommendation for the item described. (Entman, 1993, p. 52) Ainsi, par la mise en relief de certains éléments clés, comme des mots, des expressions, des images, etc., les médias de masse participeraient à la construction de sens entourant ces éléments qu’ils rapportent lors de la médiatisation de notre quotidien. Cette définition est souvent utilisée dans les recherches descriptives, qui utilisent les techniques de l’analyse de contenu. L’objectif des chercheurs sera alors d’identifier les cadres construisant les cadrages (ici utilisé comme synonyme de significations). Sur ce point, il faut aussi comprendre que le terme cadrage est mobilisé de plusieurs façons dans les recherches : un concept (par exemple Basen, 2009), un processus médiatique (entre autres, Entman, 1993), un processus mental (notamment, Cappella et Jamieson, 1997), un paradigme en soi (essentiellement, D’Angelo, 2002 et 2012). C’est d’ailleurs cette manière de mobiliser le cadrage qui déterminera dans quelles approches théoriques se situent les auteurs que nous avons recensés. Néanmoins, il nous faut préciser que la ligne séparant les deux visions n’est parfois pas aussi claire que le laisse supposer notre recension. Plusieurs recherches en communication peuvent appartenir aux deux approches à la fois, puisqu’elles s’intéressent à comment les médias construisent et présentent les enjeux, ainsi qu’aux effets sur l’opinion publique ou sur la perception des citoyens. Il devient alors nécessaire pour le jeune chercheur en communication de savoir quel est réellement son objectif de recherche et de choisir des auteurs lui permettant de répondre à ses questions sans crainte des faux-pas épistémologiques. L’approche sociologique du cadrage L’une des premières disciplines à s’être intéressée au phénomène du cadrage est la sociologie. Pour plusieurs auteurs (notamment Borah, 2011; Vliegenhart et van Zoonen, 2011; Scheufele et Tewksbury, 2007), le père des travaux sociologiques du cadrage est Goffman. En s’inspirant des travaux d’autres auteurs (notamment Bateson, 1955, dans Lemarier-Saulnier Cadrer les définitions du cadrage 67 68 Canadian Journal of Communication, Vol 41 (1) Goffman, 1986, p. 7), Goffman avance dans son essai intitulé Frame Analysis: An Essay on the Organization of Experience, publié pour la première fois en 1974, que les cadrages sont des schémas d’interprétation (schemata of interpretation) utilisés pour donner un sens aux divers événements survenant dans l’environnement immédiat des récepteurs. Pour cet auteur, le sens est construit par les interactions entre les individus qui arrivent au début de ce processus avec un schéma primaire (primary uploads/Science et Technologie/ le-cadrage.pdf

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