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',~',!,~;~" ~,jJJs\lt,;'75 Chapitre 3 EPISTEMOLOGIES CONSTRUCTIVISTES ET SCIENCES . DE L'ORGANISATION " par Jean-Louis LE MOIGNE "Et quoiqu'on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique ... Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit", G. Bachelard, 1938 (p. 14) Depuis qu'au détour du xxe siècle, la gestion des organisations est tenue pour l'objet d'une discipline scientifique enseignable, et a fortiori qu'elle devient effectivement enseignée non seulement dans les écoles professionnelles (commerce, comptabilité, administration), mais aussi dans les universités à vocation scientifique et littéraire, les enseignants concernés s'interrogent sur le statut épistémologique de leur discipline. Longtemps, ils purent se satisfaire de quelques réponses rituelles, Le Moigne, Jean Louis, «Épistémologies constructivistes et sciences de l’organisation», in Alain Charles Martinet (dir.), Épistémologie et sciences de gestion, Paris, Economica, 1990 : 81-140. 82 Chgpltr' 3 dont la forme, à l'instar des catéchismes, leur importait plus que le fond. Il suffisait, par exemple, de leur assurer que la science de gestion est une discipline carrefour ou une discipline appliquée pour les apaiser: aux disciplines-mères d'assurer leur propre légitimité épistémologique! Si les communautés académiques tiennent l'économie, la sociologie, la mathématique appliquée, la statistique, et même la cybernétique, pour des sciences de plein rang dont les fondements épistémologiques ont été vérifiés depuis longtemps, ne nous garantissent-elles pas ipso facto le sérieux épistémologique de la science de gestion, surtout lorsque cette dernière ne postule à aucune autonomie et se borne à veiller à la pureté de son pédigree épistémologique? Lorsqu'Auguste Comte cautionna, bien malgré lui, la science de gestion Cette réponse de catéchisme (de même qu'est Dieu le fils de Dieu, est discipline scientifique légitime,lafille issue du mariage consanguin de plusieurs disciplines scientifiques antérieurement. légitimées) était d'autant plus aisément acceptée que le statut épis­ témologique des disciplines-mères était généralement tenu pour identifié et périodiquement vérifié par les académies : celles-ci ne connaissent et ne reconnaissent, depuis un siècle au moins, que les disciplines et sous-disciplines explicitement fondées sur l'épistémologie positiviste. La légitimité de ce positivisme étant tenue pour universelle­ ment acquise, ce qui épargnait à nombre de scientifiques l'effort d'une réflexion considérée comme philosophique, il ne subsistait qu'une petite difficulté liée au fait que la science de gestion se voulait une interdiscipline plutôt qu'une sous-discipline: or la classification des disciplines définie par A. Comte, père fondateur incontesté du Positivisme, ne tolère que les relations hiérarchiques entre des disciplines définitives et éternelles1• Fallait-il, dès lors, tenir la science de gestion pour une sous-discipline de la physique sociale ou sociologie? Statut humiliant sans doute pour une jeune discipline légitimement ambitieuse, qui préfère souvent être tenue pour une science économique appliquée, de même que les sciences de l'ingénierie s'étaient risquées au XIXe siècle à être 1. A. Comte, COUTS de Philosophie. T. 1, p. 205. réduites au statut de sciences physiques ou chimiques appliquées. Une fois dans la place (je veux dire: une fois conquises les chaires académiques), il sera toujours possible, espérait-on, de faire valoir les spécificités de la discipline: la mécanique ou la chimie n'étaient-elles pas parvenues ainsi au statut de sciences fondamentales? On oubliait bien sûr que ces deux disciplines avaient eu la chance d'apparaître avant Auguste Comte, lequel fut ainsi contraint de les insérer dans son Tableau synoptique du cours de Philosophie Positive désormais nécessairement im­ muable, puisque.les académies se sont construites à son image! Sans doute se disait-on qu'après tout l'Economique,la Cybernétique et l'Informatique n'avaient pas non plus de place dans le tableau, ce qui prive les économistes de pouvoir postuler à l'Académie des Sciences de Paris (cruelle sanction pour certains d'entre eux) ; mais ce qui ne les a pas empêchés de devenir des disciplines relativement respectables, non seulement enseignables mais aussi enseignées. L'Economique n'est-elle pas digne depuis vingt ans d'un "Prix Nobel" ! On objectera que cette présentation de l'irrésistible ascension de la science de gestion au sein des universités tout au long du " xxe siècle est bien superficielle et qu'elle ne rend pas compte de la complexité de l'enchevêtrement des disciplines scientifiques que le tableau d'Auguste Compte organisait en le simplifiant éxagéré­ ment au prix de bien des arbitraires. Ce dont je conviendrai d'autant plus volontiers que je me propose précisément de retrou­ ver et d'interpréter cette complexité perdue. Mais on m'accordera que, pour superficiel qu'il soit, ce survol historique de l'institutionnalisation contemporaine des sciences de gestion décrit assez correctement la culture dominante au sein de laquelle émer­ gent les nouvelles sciences1 : les sciences de gestion qui ici nous concernent, mais aussi presque toutes les nouvelles disciplines qui naissent officiellement entre 1945 et 1950, en Amérique du Nord pour la plupart, et qui vont prétendre, avec un succès croissant à la même légitimation culturelle et académique. Cette solidarité in­ visible de la science (dite) informatique2, de la science de la 1. Sur le concept de "nouvelle science", on renvoie à J.L. Le Moigne, "Les nouvelles sciences sont bien des sciences", RIS, 1987, nO 3. 2. L'expression "science informatique" est introduite en France en 1970 par J. Arsac (Ed. Dunod) pour traduire simultanément l'expression anglo-saxonne: "Science des computeurs" (ou "Science de la Computation") et "Sciences du Traitement des données". 84 85 ChIJoitr,3 commande et de la communication (la cybernétiquel ), de la science de l'information, de la science de la décision2, de la science de gestion, de la science de l'éducation, de la science de la cognition3 et de l'architecturologie4, de l'ergonomies, et de quelques autres nouvelles sciences ne peut ni ne doit être ignorée si nous voulons comprendre et argumenter les raisons pour lesquelles les sciences de gestion peuvent prétendre à la production d'énoncés enseignables pertinents pour les prochaines années voire pour les prochaines décennies. Preuve de la prégnance culturelle de l'épistémologie positi­ viste tenue pour légitimant le statut contemporain des nouvelles sciences et de la science de gestion en particulier,la constitution à Paris en 1977, par la République Française, d'un nouvel institut ayan t pour vocation l'enseignement et la recherche en Sciences de l'Action, symboliquement intitulé par ses fondateurs: Institut Auguste Comte pour les sciences de l'action. A l'époque, nulle académie ne protesta contre ce rapprochement symbolique du nom du père officiel du positivisme (lequel s'était félicité du coup d'état renversant la deuxième République au profit de "Napoléon le Petit"), et de ces nouvelles sciences qu'annonçaient les sciences de l'action. (On comprit vite qu'il allait s'agir de la science du ma­ nagement, puis, plus tard, de la science des systèmes) : positi­ visme et science de gestion, en 1977, semblaient donc aller aisé­ ment de concert. Les rares protestations politiques qui accompa­ gnèrent la naissance de cet Institut de la République ne visèrent pas l'idéologie positiviste qu'il prônait ostensiblement. Lorsque, alternance politique aidant, cet Institut fut remplacé, dans les mêmes locaux6 par un Centre d'Etude des Systèmes et des 1. Le sous-titre de l'ouvrage de N. Wiener introduisant "La Cybemétique", publié à Paris (Hermann) en 1948 est: "La Communication et la Commande chez l'animal et dans la machine". 2. L'expression "Science de la Décision" est proposée par H.A. Simon en 1960, dans un ouvrage intitulé: The new science of management decision. Mais on doit faire remonter la naissance de la discipline à la thèse de H. Simon (1943, publiée en 1947: "Administrative Behaviour") et à la publication en 1945 de Games Theory de J. Von Neuman et O. Morgenstern. 3. La science de la cognition apparaît en 1976, prolongeant la science de l'intelligence (artificielle) qui apparaît en 1956. On a présenté la genèse de cette nouvelle science dans J.L. Le Moigne, Intelligence des Mécanismes et Mécanismes de l'lntelligence (1986). 4. La conceptualisation de l'architecturologie, science de l'architecture est remarquablement argumentée depuis 1971 par Ph. Boudon. 5. Le Traité de P. Cazamian (1987) présente une histoire fort bien documentée de cette nouvelle discipline. 6. n s'agissait des locaux de l'Ecole Polytechnique de Paris, Rue Descartes. ·-·I,;tt1.\42iJtJ!11J),: ; ~ EplnlmM' '~,,,,,, ,cl,rac".,'or«tmisatlora Technologies Avancées, ce changement ne fut en aucune façon justifié par des considérations épistémologiques, ni d'ailleurs par aucune autre, au moins publiquementl ; pas plus d'ailleurs que la suppression dudit Centre en 1987, alternance aidant toujours Ge présume qu'on dût alors évoquer les "sévères contraintes budgé­ taires"). Cette introduction historique visait à mettre en valeur l'apparente pauvreté des réflexions épistémologiques originales ayant accompagné l'émergence institutionnelle des sciences de gestion. Tout s'est passé comme si, ayant trouvé dans le positi­ visme chaussure à son pied, la jeune discipline avait soigneuse­ ment veillé à faire apparaître son désir de conformité: elle voulait être une discipline scientifique comme les autres, demandant mo­ destement aux grandes de se serrer un peu pour lui accorder une petite place sur la tribune de la respectabilité académique. Je me propose, on l'a pressenti, d'argumenter la perversité de cette stratégie, autrement dit de montrer qu'il n'est pas de scienti­ ficité sérieuse pour une science de gestion (comme d'ailleurs pour nombre des nouvelles sciences) qui se voudrait délibérément fon­ ; dée sur une épistémologie positiviste; ceci uploads/Science et Technologie/ le-moigne-1990-81-140.pdf

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