RECHERCHES QUALITATIVES – Vol. 32(2), pp. 294-319. LA RECHERCHE QUALITATIVE DAN
RECHERCHES QUALITATIVES – Vol. 32(2), pp. 294-319. LA RECHERCHE QUALITATIVE DANS LES SCIENCES DE LA GESTION. DE LA TRADITION À L'ORIGINALITÉ ISSN 1715-8702 - http://www.recherche-qualitative.qc.ca/Revue.html © 2013 Association pour la recherche qualitative 294 Hors thème Le point de vue du chercheur-créateur sur la question méthodologique : une démarche allant de l’énonciation de ses représentations à sa compréhension1 Diane Laurier, Ph.D. Université du Québec à Chicoutimi Nathalie Lavoie, étudiante à la maîtrise en art Université du Québec à Chicoutimi Résumé Cet article porte sur la compréhension qu’ont les chercheurs-créateurs de la méthodologie de la recherche en création. Au Québec, la dernière décennie a été marquée par plusieurs débats portant sur la recherche en création afin de la définir et d’en circonscrire les paramètres. La question méthodologique, qui lui est intrinsèquement liée, a pour sa part connu un intérêt encore plus vif, car il semble exister chez les chercheurs-créateurs une résistance pouvant aller jusqu’à son omission au sein des thèses de doctorat ou des rapports de recherche. Nous avons voulu dresser une sorte de bilan de la situation en procédant à une vaste enquête qui a commencé par l’énonciation des représentations des chercheurs-créateurs pour se terminer par leur compréhension approfondie de la méthodologie de la recherche en création. Mots clés RECHERCHE EN CRÉATION, MÉTHODOLOGIE, CHERCHEUR-CRÉATEUR, REPRÉSENTATIONS, COMPRÉHENSION Contexte Cet article trace les grandes lignes d’une recherche entreprise depuis plus d’un an et dont l’objectif principal est la compréhension qu’ont les chercheurs- créateurs québécois de l’apport de la méthodologie dans le champ relativement récent de la recherche en création. LAURIER & LAVOIE / Le point de vue du chercheur-créateur… 295 Notre démarche s’est amorcée par l’énonciation des principales représentations que les chercheurs-créateurs se font de la méthodologie de la recherche en création. Elle s’appuie notamment sur la compilation de réponses fermées et ouvertes à un questionnaire expédié à tous les chercheurs-créateurs subventionnés depuis cinq ans par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et le Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) du Canada2. Notre démarche s’est terminée par l’analyse d’entretiens semi- dirigés que nous avons réalisés avec deux d’entre eux reconnus à titre d’experts par leurs pairs et subventionnés à maintes reprises par lesdits organismes. D’entrée de jeu, il importe de mentionner que cette investigation s’inscrit dans une plus vaste recherche destinée au développement de modes méthodologiques pour la recherche en création. Devant l’absence de méthodologies propres à celle-ci et devant le fait que de plus en plus de praticiens du domaine des arts s’inscrivent dans des démarches de recherche théorique dans le but de saisir et de donner forme à un savoir intimement lié à leur engagement dans la pratique artistique (Laurier & Gosselin, 2004), le développement de tels modes devient nécessaire. Pour ce faire, suivre la voie empruntée par ceux qui s’engagent dans cette forme de recherche devient incontournable. Si, ces dernières décennies, le sens de l’activité artistique s’est vu dirigé vers de nouvelles pistes de réflexion en ce qui concerne la question méthodologique, c’est en raison du désir des chercheurs-créateurs d’élucider par eux-mêmes le « comment » de l’œuvre en liant théorie et pratique; conceptuel et expérientiel. Ce désir s’est exprimé lorsque les disciplines artistiques se sont intégrées au milieu de la recherche universitaire. Désormais, il revient aux chercheurs de s’approprier le discours sur les pratiques artistiques afin d’articuler et de comprendre le sens du phénomène de la création3 plutôt que de laisser aux théoriciens (historiens de l’art, sémiologues ou philosophes) le soin de le faire (Cauquelin, 2007). Puisque la réflexion méthodologique est indissociable du champ de recherche auquel elle se rattache, il importe de situer d’abord le domaine que représente la recherche en création4 considérée, par certains chercheurs- créateurs, en tant que paradigme5. Les prochaines parties de cet article : situent le contexte favorable à la reconnaissance de la recherche en création au sein du milieu universitaire en énonçant les principales définitions selon différents auteurs; se terminent par la manière dont nous concevons et articulons la recherche en création. 296 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 32(2) Le domaine de la recherche en création L’entrée de la pratique artistique en recherche : un débat de l’heure Si l’urgence d’un problème est mesurable à la prolifération des débats et des enjeux qui l’entourent, alors la question de la pratique artistique comprise en tant que recherche est de toute première importance lorsque nous considérons la multiplication des colloques et des ouvrages tenus ou parus récemment sur le sujet, et ce, tant en Europe qu’en Amérique. Au Québec, l’essor considérable qu’a connu le champ de la recherche en création cette dernière décennie peut s’expliquer par un contexte favorable amenant les praticiens du domaine des arts à s’engager dans des démarches de recherche universitaires. Voici les principaux facteurs conjoncturels expliquant, à notre sens, cette situation : Au début des années 90, on assiste, à l’université, à une forme de reconnaissance du statut de la création considérée en tant qu’activité de recherche plus ou moins distincte des sciences humaines ou sociales (De La Noue, 2000). En même temps, des programmes de subventions destinés aux chercheurs-créateurs rattachés à une institution postsecondaire voient le jour. Ces programmes émanent des deux organismes – qui ont des exigences importantes en matière de méthodologie – de la recherche québécoise et canadienne. Ce contexte favorable à la recherche en création a probablement influé sur la venue, à la fin des années 90, du premier programme de doctorat en études et pratiques des arts (offert pour la première fois en 1997 par l’Université du Québec à Montréal) destiné notamment aux artistes. Ces nouveaux chercheurs, désormais détenteurs d’un doctorat, sont de plus en plus engagés par les universités, qui valorisent fortement la conduite d’activités de recherche. Selon Bruneau et Villeneuve (2007), si, au départ, la place des arts à l’université semblait s’inscrire dans une perspective d’adaptation à la recherche qualitative, elle est actuellement davantage considérée en tant que « quête d’identification territoriale, voire de souveraineté intellectuelle […] » (p. 9) tellement les objets et les questions de recherche, la manière de les conduire et les résultats divergent. Toutefois, les facteurs associés à l’essor de la recherche en création ne sont pas juste reliés au contexte universitaire. Dans une perspective postmoderne, on assiste au développement de la pratique de l’art comprise en LAURIER & LAVOIE / Le point de vue du chercheur-créateur… 297 tant que lieu de réflexion et de recherche. Les paramètres des champs disciplinaires sont poreux et s’ouvrent sur d’autres complexités. Ils rendent efficients les croisements interdisciplinaires au sein desquels la création se voit progressivement mise à contribution. De plus, le foisonnement de nouvelles théories faisant éclater les sciences cognitives ainsi que la montée du constructivisme sont également des motifs renouvelant la réflexion méthodologique de la recherche en création (Poissant, 2009). Pour une définition de la recherche en création En ce moment, plusieurs conceptions de la pratique artistique cohabitent. Les pratiques artistiques comprises comme mode d’expression, comme lieu de construction (Gosselin, 2009) ou comme processus de recherche sont parmi les plus courantes. Les chercheurs-créateurs s’entendent sur le fait qu’ils poursuivent des activités menant à une forme de connaissance ou à une nouvelle compréhension d’un élément inhérent à la pratique artistique. L’investigation rigoureuse de leur sujet d’étude les conduit à communiquer les résultats avec comme principal moyen (mais pas le seul) l’exposition de l’œuvre. Car, malgré le caractère foncièrement non discursif de la pratique artistique, ils ont de plus en plus recours aux théories soit pour inspirer et alimenter leur propos, soit pour expliciter et légitimer leur conduite créatrice. Il n’est pas rare que ces théories proviennent d’autres disciplines, ce qui les place bien souvent dans une position inconfortable : ils doivent s’approprier constamment des objets et des structures de pensées élaborées à partir de problématiques de recherche et comprenant des objectifs de contribution à l’avancement des connaissances différents des leurs. Dans une perspective provenant de l’intérieur du champ de l’art, Passeron (1989) propose trois types de regards scientifiques et philosophiques lorsqu’il définit les sciences de l’art : celui de l’esthétique faisant la promotion des sciences de l’art qui se consomme, celui des sciences des structures propres de l’œuvre en tant que telle (muséologie, scénographie, filmographie, etc.) et celui de la poïétique faisant la promotion des sciences de l’art qui se fait. Il est possible d’établir un rapprochement entre la recherche en création, définie de manière générale et dans un contexte canadien comme étant « toute activité ou démarche de recherche formant une composante essentielle d’un processus de création ou d’une discipline artistique et favorisant directement la création d’œuvres littéraires ou artistiques […] » (CRSH, 2008, p. 3), et les activités associées à la poïétique dont l’objet spécifique repose sur le rapport dynamique qui unit l’artiste à son œuvre. Pour sa part, Borgdorff (2006) fait appel à une définition tripartite établissant une distinction entre la recherche sur les arts, la recherche pour les 298 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 32(2) arts et la recherche dans l’art. La première définition est celle où l’art devient objet d’étude. uploads/Science et Technologie/ le-point-de-vue-du-chercheur-createur.pdf
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- Publié le Mai 10, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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