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consider that and measure, measure and receive the carmine alan bogana & laurent schmid one gee in fog 24.09.2015-22.10.2015 3 «You’re holding a tombstone in your hands. A bloody rock. Don’t drop it on your foot – throw it at something big and glassy. What do you have to lose?». Edward Abbey, Desert solitaire, a season in the Wilderness, 1968. le radeau et la fusee, ida soulard 5 le radeau et la fusee Le parlement, le laboratoire, le musée, trois institutions des Lumières qui incarnent la caté- gorisation du savoir moderne et séparent spatialement le politique, les sciences et les arts. Entre ces lieux se répartissent les qualités. À l’art la sensibilité, le mystère, l’émotion, le singulier. À la science la rigueur, la transparence, l’universel et la raison. Bien qu’il soit au- jourd’hui évident que ces définitions relèvent d’une caricature obsolète, Art et Science ont été communément associé à deux types d’images qui répondent de ces qualités. Ces deux images se présentent comme l’aboutissement parodique d’un partage plus complexe que Wilfrid Sellars nomme le ‘clash’ entre ‘l’image manifeste de l’homme-dans-le-monde’ et ‘l’image scientifique’1. Au cœur de l’image manifeste, phénoménale, locale, se trouvent les ‘personnes’ et les ‘objets’. C’est l’image que travaille la philosophie traditionnelle. Pour au- tant, elle n’est ni a-scientifique, ni anti-scientifique2, et elle possède une capacité de révision et de transformation. L’image scientifique émerge de l’image manifeste. Contrairement au perspectivisme central à l’image manifeste (du monde tel que nous le percevons), l’image scientifique a pour enjeu de produire une description complète du monde (tel qu’il est réelle- ment) à travers l’étude et la découverte d’entités imperceptibles (atome, particule, etc). Bien que les deux images se posent en rivales, ce que propose Wilfrid Sellars, c’est de les consi- dérer comme deux perspectives partiales, et d’ouvrir à «une vision stéréoscopique, où deux perspectives différentes sur un paysage fusionnent en une expérience cohérente »3. Bien que ces deux images paraissent irréconciliables, tout l’enjeu de la philosophie contemporaine consiste, selon Sellars, à les articuler. Ce mouvement synoptique que Sellars propose en philosophie suit la découverte en mathé- matiques et en physique, au 19e et 20e siècles, de l’existence de « vérités incompatibles » (phy- sique newtonienne vs physique quantique ; géométries euclidiennes vs non euclidiennes). Comment réconcilier l’image que l’on se fait du monde et sa réalité physique et mathéma- tique ? Comment penser à la fois depuis une expérience incarnée et locale des espaces abs- traits détachés de toute expérience individuelle ? L’art a souvent été positionné du côté de l’image manifeste (l’expérience de l’homme dans le monde), lieu de l’expression subjective singulière, ou lié à l’image scientifique comme lieu de son illustration ou de sa représentation. Pourtant, ce que nous dit tout un pan de l’art et de la philosophie moderne, c’est que l’art n’est pas condamné à ‘rendre sensible’ ce que la science nous révèle. Au contraire, l’art, en tant que générateur de connaissances, lieu d’une pensée plastique, peut être un terrain de complexification et d’articulation de ces deux échelles de réalité. Ici sont présentées deux images ou véhicules, situées aux deux pôles du spectre, et que tout semble opposer quant aux types d’espaces qu’elles adressent, aux modes d’orientation qu’elles proposent, et dont l’enjeu serait pourtant l’articulation : le radeau et la fusée. 1 Wilfrid Sellars (1912-1989). Philosophy and the Scientific Image of Man, 1962. 2 Voir « Wilfrid Sellars », 2011. Stanford Encyclopedia of Philosophy. En ligne. 3 Wilfrid Sellars. Philosophy and the Scientific Image of Man. In Frontiers of Science and Philosophy. Ed. R.G. Colodny. Uni- versity of Pittsburgh Press, p. 40 Fernand Deligny. Image de radeau, extrait du film Fernand Deligny, à propos d’un film à faire. Un film de Renaud Victor, 1989. 67mn, Noir et Blanc. Editions Montparnasse. 7 Qu’est-ce qu’un radeau ? « Un radeau, vous savez comment c’est fait : il y a des troncs de bois reliés entre eux de ma- nière assez lâche, si bien que lorsque s’abattent les montagnes d’eau, l’eau passe à travers les troncs écartés […] Quand les questions s’abattent, nous ne serrons pas les rangs – nous ne joignons pas les troncs – pour constituer une plate-forme concertée. Bien au contraire. Nous ne maintenons du projet que ce qui du projet nous relie. Vous voyez par là l’importance primordiale des liens et du mode d’attache, et de la distance même que les troncs peuvent prendre entre eux. Il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu’il ne lâche pas. »4 Embarcation précaire, plateforme constituée d’objets flottant qui doivent permettre la na- vigation, un radeau se construit sans modèle, sans plan, sans archétype. Lorsqu’il s’édifie dans une situation panique, sans gouvernail et dépourvu de moteur, il constitue pourtant le dernier espoir d’atteindre la terre ferme et de rejoindre la communauté des humains. Au cœur des Cévennes, dans le village de Monoblet, débute en 1967 la « tentative » de Fer- nand Deligny : la création d’un lieu de vie pour enfants autistes. Ces enfants qui viennent séjourner à Monoblet ont pour point commun de ne pas parler. Suivant les dynamiques de l’antipsychiatrie, et suite à son expérience de la ‘Grand Cordée’5 « riche en sympathie hu- maine et en occasion d’‘être’ qu’il s’agit d’offrir aux exclus provisoires »6, Deligny ne consi- dère pas l’autisme comme une maladie (à réprimer ou rééduquer), mais comme un mode de vie (à observer et saisir au vol). Les rapports soignants-soignés y sont horizontalisés, et l’unique enjeu tient dans la possibilité d’un vivre ensemble. Le terrain qu’explore Deligny est celui des « aires de séjours » de ces enfants autistes. Depuis ce lieu d’expérimentations pédagogiques et institutionnelles, Deligny pose une ques- tion à la portée philosophique majeure : si l’on dit que le langage et la conscience réflexive définissent ce qu’est l’humain, et si l’humain voit dans le ‘projet’, le ‘vouloir’ et la ‘réflexivi- té’ les conditions de son autonomie alors qu’en est-il des enfants autistes, sans voix et sans projet ? L’œuvre de Deligny, inspiré par l’éthologie et la psychothérapie institutionnelle, et à travers l’expérience quotidienne du rapport au monde de ces enfants autistes, consiste à s’in- téresser au langage à partir de la situation d’enfants mutiques et dans un mouvement retour à réfléchir aux outils et modalités d’une existence qui se situerait hors langage. À travers sa tentative institutionnelle (Monoblet), l’étude d’architectures animales (l’arai- gnée et sa toile), une pratique du dessin diagrammatique (les cartes et « lignes d’erre »), et l’association d’une réflexion théorique littéraire et d’une pratique du cinéma, il propose la construction d’une ‘image comme radeau’ et de ce qu’on pourrait appeler une raison éten- due à l’image. Face au désarroi d’un personnel non-spécialisé, ceux que Deligny nomme « les présences proches », confronté à la violence que peut représenter le comportement d’enfants murés dans le silence, il suggère ainsi de commencer par observer et noter le comportement des enfants et leurs déplacements dans ‘l’aire de séjour’. Il s’agit de prendre l’empreinte, par le 4 Fernand Deligny. Le Croire et le Craindre, 1978. Cité dans Cartes et Lignes d’erre, traces du réseau de Fernand Deligny, 1969- 1979. Editions l’Arachnéen, 2013. p. 11. 5 Deligny crée en 1948 l’association ‘la Grande Cordée’ dont le président est Henri Wallon et qui a pour enjeu la constitution d’un réseau national d’accueil pour enfants et adolescents délinquants et psychotiques. Voir Fernand Deligny. « La grande cor- dée ». Enfance, tome 2, n°1, 1949. pp. 72-76. 6 Fernand Deligny. « La grande cordée ». Enfance, tome 2, n°1, 1949. p.72. le radeau et la fusee 8 dessin, et des séries de calques superposés, de leurs déplacements quotidiens. C’est un pre- mier geste d’orientation dans une situation panique. Ce qu’il nomme les « lignes d’erre », ces lignes d’errances qui ne peuvent coïncider avec nos registres classiques de signification, cor- respond au dessin de ces trajets. Si ces trajets ont un sens, il n’est pas à chercher dans ce qui relève du ‘projet’, de la finalité. L’analogie qu’emploie Deligny pour décrire la constitution et le fonctionnement de ces lignes d’erre est celle de l’arachnéen, l’ère de ‘l’aragne’. L’araignée a pour particularité de construire un réseau tramé et complexe, piège très efficace, et autant de variétés de toiles qu’il y a de variétés d’aragnes. La toile, c’est la rencontre du « recoin de mur et de l’araignée »7, la rencontre d’un espace et du déploiement d’une action. « Mais peut-on dire que l’araignée a le projet de tisser sa toile ? Je n’en crois rien. Autant dire que la toile a le projet d’être tissée »8. Le cœur conceptuel du réseau arachnéen est l’absence de projet, et c’est cette absence qu’il faut préserver et exprimer, sans la replier sur une finalité qui lui serait étrangère. « Le projet pensé, écrit-il, absorbe tout et ce qu’il ne peut absorber, il le détruit comme inopportun »9. Un point majeur dans l’œuvre de Deligny est le lien qu’il fait entre langage et projet. Il reconnaît l’échec du langage et des valeurs propositionnelles qui le constituent. Si certains uploads/Science et Technologie/ le-radeau-et-la-fusee.pdf
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- Publié le Mar 03, 2021
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