29/10/2020 Le statut épistémologique de l’expérience dans les nouvelles approch

29/10/2020 Le statut épistémologique de l’expérience dans les nouvelles approches préconisées pour l’enseignement des sciences https://journals.openedition.org/rdst/1132 1/24 RDST Recherches en didactique des sciences et des technologies 12 | 2015 L’expérimental en sciences, réel ou virtuel Le statut épistémologique de l’expérience dans les nouvelles approches préconisées pour l’enseignement des sciences The epistemological status of experience and the new approaches for science teaching Jʇʃʐ-Yʘʇʕ Cʃʔʋʑʗ p. 59-85 https://doi.org/10.4000/rdst.1132 Résumés Français English Les nouvelles préconisations dans l’enseignement des sciences en France relatives à la démarche d’investigation (DI) ainsi que celles concernant les tâches complexes (TC) posent la question du recours à l’expérience et de son statut épistémologique dans le cadre de ces approches. Ses rôles variés ont été discutés à différents moments de l’histoire des sciences : une analyse des propos de différents auteurs permet d’envisager une catégorisation en cinq types d’expériences dans le domaine de la recherche scientifique. Dans le champ de l’éducation, l’expérience qu’accomplit l’enseignant devant ses élèves ou qu’il leur fait réaliser introduit une sixième catégorie. Dewey, Piaget ou encore Bruner estiment que l’esprit expérimental ne se forme véritablement que lorsque l’élève conçoit par lui-même une expérience pour éprouver ses hypothèses. Des auteurs ultérieurs ont établi des typologies, qui se recouvrent en grande partie. La promulgation de la DI est accompagnée de recommandations officielles favorisant le recours à l’expérience au sens d’expérience de contrôle. Dans un état d’esprit proche, les TC sont fondées sur l’utilisation de ressources, dont peuvent faire partie différents types d’expériences. L’analyse des exemples officiels de DI et de TC comportant des expériences offre du point de vue du statut de l’expérience un paysage contrasté. Ils ne correspondent que très partiellement aux textes de cadrage de ces approches, ce qui interroge sur la manière dont divers prescripteurs envisagent le rôle de l’expérience dans la formation scientifique. The new recommendations in science education in France related to the investigative process and complex tasks raise the question of the use of experience and its epistemological status in such 29/10/2020 Le statut épistémologique de l’expérience dans les nouvelles approches préconisées pour l’enseignement des sciences https://journals.openedition.org/rdst/1132 2/24 approaches. Its varied roles have been discussed at various times in the history of science: an analysis of several authors make it possible to build a classification with five types of experiences in the field of scientific research. In the field of education, the experience accomplished by the teacher in front of his/her pupils or the experience carried out by the latter under his/her supervision introduced an extra category. Dewey, Piaget and Bruner considered that the experimental mind gets truly developed when a pupil designs his/her experiment on his/her own to test his/her hypothesis. Subsequent authors have developed typologies which overlap. With investigative process, experience in the sense of control is likely to play a major part. Similarly, complex tasks are based on the use of resources which may include different types of experiences. The analysis of official examples of the investigative process and complex tasks which include experiments provides varied viewpoints about the status of experiment. They correspond only partly to the official framing behind the new approaches, which creates difficulties for teachers and questions the way various prescribers consider the role of experience in scientific training. Entrées d’index Mots-clés: expérience, investigation, contrôle, méthodologie Keywords: scientific experiment, investigation, test, methodology Texte intégral Introduction 1. Différents types d’expériences Des formules fortes, dans les textes officiels les plus récents en France, attirent l’attention des enseignants de sciences physiques et chimiques (SPC) comme ceux de sciences de la vie et de la Terre (SVT) sur le caractère expérimental de leur discipline. En SPC, « Les activités expérimentales sont au cœur de la formation1 », tandis que l’enseignement des SVT nécessite, « pour être efficace », que lors de chaque séance l’élève soit amené à réaliser des activités d’expérimentation2. 1 Les instructions scolaires évoquent régulièrement les liens entre les pratiques de classe et la recherche scientifique, pratique sociale de référence où l’expérimental joue des rôles variés, par exemple lorsqu’elles rappellent que les activités expérimentales « constituent le fondement même de la physique et de la chimie3 ». Ces rôles divers ont été discutés à la fois dans le domaine scientifique et dans celui de l’éducation, et l’on peut aujourd’hui interroger leur intégration dans le cadre des nouvelles approches mises en avant dans l’enseignement des sciences : démarche d’investigation (DI), généralisée au collège et au lycée, et tâches complexes (TC) promues par le socle commun de connaissances et de compétences. 2 Nous considérerons tout d’abord le statut de différents types d’expériences à partir de distinctions historiques et actuelles opérées dans le domaine de la recherche scientifique. Plusieurs catégorisations historiques peuvent être comparées à celles d’épistémologues contemporains analysant la science actuelle. Un tel aperçu permet de vérifier que les mêmes catégories générales se retrouvent à travers les âges, ce qui renvoie au lien établi entre expériences historiques et DI par des textes officiels. Nous aborderons ensuite les discours et les analyses portant, dans le domaine de l’enseignement scientifique, sur ces diverses fonctions. Ces éléments nous permettront d’analyser de ce point de vue un corpus d’exemples de mise en œuvre de ces nouvelles approches (DI et TC) proposés aux enseignants dans des documents officiels, afin de déterminer dans quelle mesure ces exemples se trouvent en adéquation avec les préconisations qui les concernent et les ambitions qui y sont affichées. 3 29/10/2020 Le statut épistémologique de l’expérience dans les nouvelles approches préconisées pour l’enseignement des sciences https://journals.openedition.org/rdst/1132 3/24 1.1. Distinctions historiques et actuelles dans le champ de la recherche scientifique Dans l’histoire des sciences dites aujourd’hui expérimentales, le statut de l’expérience a été discuté à plusieurs reprises et son emploi a fait l’objet d’orientations différentes. Plusieurs catégories ont été distinguées, qui se retrouvent dans la recherche scientifique actuelle, à des degrés qui peuvent varier selon les disciplines, certaines d’entre elles comme la simulation étant plus fortement présentes dans certains domaines de recherche, tandis qu’elles le sont beaucoup moins dans d’autres. 4 La première « expérience » historiquement documentée est celle décrite par Empédocle (vers - 450)4 et concerne les rapports entre les entrées et les sorties d’eau et d’air dans une clepsydre suivant que, comme dans une pipette actuelle, on en bouche ou non l’orifice supérieur : l’objectif est de décrire, par comparaison, ce qui se passe dans la respiration. Analogie traîtresse, qui caractérise également son jeune contemporain Hippocrate qui, tout en déclarant prudemment « l’expérience trompeuse, le jugement difficile », explique l’équilibre des humeurs dans le corps à l’aide d’une expérience de vases communicants. Les limites de ce type d’approche demeurent encore parfois floues dans les classes actuelles, quand des investigations sur des éruptions volcaniques s’appuient sur de la bougie fondue ou quand des volutes d’encens miment la dynamique atmosphérique. 5 Les pièges de l’analogie sont dénoncés dès l’Antiquité par les médecins qui se nomment empiriques, à tel point qu’ils qualifient ceux qui ne se réfèrent pas suffisamment à l’expérience de dogmatiques (Galien, 1998, p. 65-114). Pour eux, ce n’est « pas vraiment une partie de l’expérimentation » que l’expérience incidente (constat fortuit), improvisée (tentative hasardeuse), ou imitative (reproduite). Ce qui mérite d’être nommé expérience savante est celle dont, par sa répétition, le médecin quantifie le succès, ainsi que celle qui « donne comme vraie » une analogie. 6 D’autres distinctions sont introduites en 1620 par Francis Bacon, qui sépare la « simple expérience » qui « se présente d’elle-même », le tâtonnement « tel celui d’un homme dans la nuit », les expériences fructueuses, qui visent une production, un effet ou résultat fixé d’avance, et les expériences lumineuses qui éclairent l’entendement (1620/1986, p. 69, 142-143 et 158-159). Dans l’instance cruciale, des expériences, que Descartes, puis Hooke et Newton nommeront expériences cruciales, tranchent entre deux ou plusieurs hypothèses (ibid., p. 255). 7 Pour le cartésien Rohault (1671, préface), il y a trois sortes d’expériences. La première est un simple usage des sens, fait « par hasard et sans dessein ». La seconde apparaît « lorsque de propos délibéré, mais sans savoir ni prévoir ce qui pourra arriver, l’on fait épreuve de quelque chose », faisant « toutes les tentatives dont l’on se peut aviser ». Et « les expériences de la troisième sorte sont celles que le raisonnement [prévoit] et qui servent à justifier ensuite s’il est faux, ou s’il est juste », très utile parce qu’elle « peut faire découvrir la vérité ou la fausseté des opinions ». Il ne parle pas d’analogie mais sépare l’expérience commune, l’expérience de tâtonnement et l’expérience de mise à l’épreuve. 8 Ces deux dernières sortes sont celles qu’expose deux siècles plus tard Claude Bernard (1865/1966, p. 49-50). Il y a pour lui les expériences dont le but est de faire naître une idée ou expériences pour voir, et, plus couramment, les expériences dont le but est un contrôle des hypothèses. Il utilise également le terme expérience pour qualifier une mesure ou un dosage de l’action de substances (1865/1966, p. 192) : ce type d’expériences reçoit chez Duhem le nom d’expériences d’application, comme la uploads/Science et Technologie/ le-statut-epistemologique-de-l-x27-experience-dans-les-nouvelles-approches-preconisees-pour-l-x27-enseignement-des-sciences.pdf

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