LE SUJET DE L'AGONIE Laurent Ottavi, Caroline Doucet, Jean-Luc Gaspard EDP Scie
LE SUJET DE L'AGONIE Laurent Ottavi, Caroline Doucet, Jean-Luc Gaspard EDP Sciences | « Psychologie Clinique » 2013/1 n° 35 | pages 162 à 172 ISSN 1145-1882 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-psychologie-clinique-2013-1-page-162.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour EDP Sciences. © EDP Sciences. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Si la culture occidentale conduit chacun à ce qu’il repousse toujours à plus tard l’examen de son éphémère destinée, dans une négation de la mort toujours irreprésentable, celle-ci n’en exerce pas moins une forte influence sur la vie au point qu’elle se révèle structuralement fondatrice. Le temps de l’agonie est à rapporter au temps originaire de l’articulation du sujet et de l’Etre. Face à la mort réelle qui s’approche, en ce moment de dénouage conclusif de l’être et du sujet, des affects – de l’affect maniaque à l’affect mélancolique – font retour selon les modalités initiales qui avaient marqué le sujet lors de sa prise dans le signifiant. C’est pourquoi il devient possible d’envisager une clinique différentielle de l’ago- nie, soutenant le pari du sujet, du sujet de l’agonie. Mots clés Agonie ; être ; mort réelle ; mort symbolique ; mort imaginaire ; psychanalyse ; sujet. Summary “The Subject of death throes”. What about the subject in this extreme moment of life that is death throes ? While western culture makes us always postponing the examination of our ephemeral des- tiny, in a negation of death that cannot be represented, death has nevertheless a strong influence on life to such an extent that it appears to be structurally fundamental. The moment of death throes is to relate to the original connection between the subject and the Being. Confronted by real death getting closer, at the moment of the concluding untying of the being and the subject, affects – from manic affect to melancholic affect – come back in accordance with the initial conditions that left their mark on the subject during his or her grip on the signifier. It is then consequently possible to consider a differential clinical approach of death throes, supporting the bet of the subject, of the subject of death throes. Keywords Affects ; death throes ; imaginary death ; psychoanalysis ; real death ; subject ; symbolic death ; the being. [1] Ce texte fait suite à la conférence de Laurent Ottavi « Le sujet de l’agonie », tenue dans le cadre d’une journée d’étude à l’Université Rennes 2 : « Fin de vie : quelle clinique du sujet ? », 2010, EA 4050. [2] Professeur de Psychopathologie, EA 4050, Université Rennes 2, Place du recteur Henri Le Moal, CS 24307, 35043 Rennes Cedex, France. [3] Maître de Conférences en Psychopathologie, EA 4050, Université Rennes 2, Place du recteur Henri Le Moal, CS 24307, 35043 Rennes Cedex, France. [4] Maître de Conférences en Psychopathologie, EA 4050, Université Rennes 2, Place de recteur Henri Le Moal, CS 24307, 35043 Rennes Cedex, France. Le sujet de l’agonie[1] Article disponible sur le site http://www.psycho-clinique.org ou http://dx.doi.org/10.1051/psyc/201335162 © EDP Sciences | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © EDP Sciences | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) 163 < varia > Le sujet de l’agonie « La mort ne vous concerne, ni mort, ni vif : vif parce que vous êtes, mort parce que vous n’êtes plus ». Cette citation extraite des Essais de Montaigne fait valoir une oppo- sition terme à terme, mais orientée : c’est le vif contre le mort, et l’avertissement de l’aphorisme est clair. Mais a-t-il raison, ou bien tort, d’affirmer qu’en stricte logique, la mort, ainsi retranchée dans l’accès qu’on en a, ne saurait nous concerner ? Ailleurs, Montaigne tient d’autres propos, différents, antagoniques mêmes, mais dans chacun des cas, ce n’est finalement pas de la chose – la mort – dont il parle, car ce qu’il vise c’est l’effort produit, toujours relancé dans la pensée occidentale d’ailleurs, pour arracher l’homme à sa finitude, le soustraire à sa contingence. C’est cette pression permanente qui nous amène – et avec quelle vigueur – à soupeser notre participation à l’éternel ou à l’infini – ainsi le fameux roseau pensant de Pascal, ou encore le Pari. Parier sur l’éternel et l’infini donc, pour dessiner en retour une orientation de notre vie, qui se tend entre modes de sagesse et éthique. C’est en ce sens qu’il y a, dans notre civilisation occidentale, comme une négation de la mort, qui est seconde, produite par la pensée construite : c’est plus précisément une négation de la contingence et de la finitude, dont se soutiennent nos modes d’être. « Vaincre la mort » : c’est le véritable slogan que Françoise d’Astur[5] densifie comme noyau de la métaphysique et celui de la religion, mais aussi de la science moderne. À l’orée de la médecine moderne, Bichat définit la vie comme « l’ensemble des forces qui s’opposent à la mort ». Il optait pour un paradigme vitaliste, et situait, pour la science elle-même, son point de limite extérieur, à partir duquel elle pouvait se déployer. Mais c’est une limite qu’il est bien malaisé de définir, dont les critères sont changeants, comme ce paradigme d’ailleurs, bientôt épistémologiquement contredit[6] par la logique de l’homéostasie. En chacun de ces trois registres de pensée donc, il y a une opposition en acte : non que personne, ni aucun auteur ni aucune école n’ait traité de la mort, la mort comme telle – qui pourrait soutenir cela en effet – mais plutôt qu’à la mort, cette mort irre- présentable de Freud, avec l’effroi qu’elle génère, s’ajoute un interdit, culturellement occidental, toujours relancé comme une injonction prégnante, pour « remettre à plus loin, plus tard, ailleurs, qui sait, jamais peut-être » le surgissement de toute finitude. Négation donc, mais négation bizarre en fait, assez contradictoire semble-t-il, et au fond très ambiguë. Et c’est ce qui nous est apparu à la réflexion, comme point de tension à approcher, en pariant pour une logique du sujet en ce temps d’agonie, en mesurant que c’est sur l’agonie en sa particularité, comme cristallisation à chaque [5] Astur F. 2007. La mort, Essai sur la finitude, Paris, PUF. [6] « Nous en trouvons chez un Cannon dans la notion de l’homéostase, comme fonction d’un système entretenant son propre équilibre – sont là pour nous rappeler que vie et mort se composent en une relation polaire au sein même de phénomènes qu’on rapporte à la vie. Lacan J., 1953, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 317. © EDP Sciences | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © EDP Sciences | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) 164 [ psychologie clinique n°35 2013/1 fois singulière de la contingence et de la finitude, que porte justement cette néga- tion : est-elle purement extérieure ou bien aussi interne ? La mort : une nécessité C’est en effet aussi celle qui veut n’en rien savoir de cela, sauf peut-être à certaines conditions. De nombreux auteurs ont d’ailleurs traité la mort, qu’il est impossible de détailler ici. Citons tout de même Brel et sa chanson sublime : À mon dernier repas[7]. Dans cette chanson, il parie d’abord sur le festin et l’amitié comme entrées, et contre la mort qui s’avance, « les paillardes romances, qui fait peur aux nonnettes ». Ensuite ? Il faut « que l’on m’emmène en haut de ma colline, voir le soir qui chemine » et là, « debout encore, j’insulterai les bourgeois, sans crainte et sans remords ». Mais c’est alors un autre temps qui advient : « Dans ma pipe, je brûlerai mes souvenirs d’enfance, mes rêves inachevés, mes restes d’espérance, et je ne garderai, pour habil- ler mon âme, que l’idée d’un rosier et qu’un prénom de femme ». Et « je regarderai le haut de la colline qui danse, qui se devine, qui finit par sombrer » alors « et dans l’odeur des fleurs, qui bientôt s’éteindra, je sais que j’aurai peur, uploads/Science et Technologie/ le-sujet-de-l-x27-agonie.pdf
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- Publié le Dec 24, 2022
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
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