LA PLACE DES FEMMES DANS LA RECHERCHE : APPRENTISSAGE, PRODUCTION ET VALORISATI
LA PLACE DES FEMMES DANS LA RECHERCHE : APPRENTISSAGE, PRODUCTION ET VALORISATION DES CONNAISSANCES Sophie Boutillier, Blandine Laperche L'Harmattan | « Marché et organisations » 2007/3 N° 5 | pages 61 à 77 ISSN 1953-6119 ISBN 9782296041257 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2007-3-page-61.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Bien que les femmes aient un meilleur parcours scolaire que les hommes, elles sont non seulement beaucoup moins nombreuses que les hommes à poursuivre des études en doctorat, puis elles sont beaucoup moins nombreuses à faire une carrière universitaire. Plus on monte dans la hiérarchie plus elles sont rares. Ce constat est le produit de trois phénomènes bien connus des sociologues : « l’effet ciseau », le « tuyau percé » et le « plafond de verre ». Un vocable imagé pour décrire une situation complexe. Quelques pas dans l’histoire mettent à nu des destins féminins hors du commun qui aujour- d’hui peuvent prêter à sourire : faut-il vraiment s’habiller comme un homme pour suivre des cours à La Sorbonne ou à Oxford pour manipuler des éprouvettes ? Nous présenterons dans le cadre de ce texte quelques portraits typiques de femmes scientifiques à différentes périodes de l’histoire. Depuis la fin du XIXe siècle, les femmes ont conquis le droit de suivre des cours à l’université (d’abord sous surveillance) puis d’occuper une part majeure dans l’enseignement univer- sitaire et la recherche. Mais, aujourd’hui, en dépit de la dispari- tion des barrières institutionnelles, la participation des femmes à la production scientifique reste marginale. L’attribution du Prix Nobel l’illustre clairement : 784 prix Nobel ont été attribués depuis © L'Harmattan | Téléchargé le 14/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.172) © L'Harmattan | Téléchargé le 14/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.172) 62 1901 (jusqu’en 2006 inclus) dont 34 à des femmes : 2 en physique, 3 en chimie, 7 en médecine, 10 en littérature et 12 pour la paix35. Aucune femme n’a, à ce jour, obtenu le prix Nobel d’Économie (partie 1). Depuis la fin des années 1990, les institutions du savoir se transforment dans le contexte plus général de l’économie de la connaissance : loi sur l’innovation de 1999, loi de programma- tion de la recherche de 2006 au niveau français, Sommet de Lisbonne en 2000 au niveau de l’Union européenne. L’accent est mis sur la production de savoirs commercialisables, soit une mission additionnelle qui se surajoute à la recherche fondamen- tale et à l’enseignement. D’un autre côté, l’université est confron- tée à des problèmes budgétaires et doit trouver d’autres sources de financement, mais également placer ses diplômés en dehors de l’institution universitaire, c’est-à-dire dans les entreprises. La valorisation de la recherche passe notamment par la création d’une entreprise innovante ou par le dépôt d’un brevet. Cette mission nouvelle de l’université peut-elle être un tremplin qui facilitera aux femmes l’accès à la recherche ou bien un obstacle supplémentaire (partie 2) ? 1 La place marginale des femmes dans la recherche 1.1 Bref historique Les femmes ne sont entrées dans l’université qu’au cours du XXe siècle au prix d’une longue lutte qui s’intensifia à la fin du XIXe siècle, période marquée par l’accélération de la production industrielle qui contribue à transformer les comportements so- ciaux. Ce constat vaut pour la plupart des États, en grande partie en raison de l’influence des grands industriels. La première université a été fondée au XIIIe siècle36. Parado- xalement, la création de l’institution universitaire a été pour la femme l’institutionnalisation de son exclusion du savoir. Et rares sont les ouvrages traitant de l’histoire des universités qui consa- crent un chapitre, voire un simple paragraphe, à ce sujet. Depuis la fin des années 1990, cependant quelques ouvrages spécialisés ont été rédigés sur les femmes scientifiques depuis l’Antiquité. Avant la fondation de l’institution universitaire, on recense des femmes exerçant une activité scientifique qui se caractérise à la fois en termes de production de savoir (théories, ouvrages, etc.) et de reconnaissance par leurs pairs. Dans les couvents, par 35 http://www.nobel.se 36 C. Charle, J. Verger, 1994, Histoire des universités, PUF. © L'Harmattan | Téléchargé le 14/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.172) © L'Harmattan | Téléchargé le 14/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.172) 63 exemple, les femmes exerçaient une activité intellectuelle ; cer- taines ont rédigé des traités de botanique ou de pédagogie qui sont parvenus jusqu’à notre ère37. Entre la fin du Moyen Age et les années 1860, ce ne fut qu’un interminable tunnel, sauf la parenthèse des salons scientifiques du siècle des Lumières, où les hommes, comme les femmes de la haute société, se passion- naient pour les mathématiques, la physique ou l’électricité38. Si les femmes scientifiques semblent passionner depuis quel- que temps les historiens, les sociologues s’interrogent depuis plusieurs décennies, non sans ironie, sur ce qui fait la spécificité d’un métier féminin39. Les métiers de femme ou reconnus comme tels s’inscrivent dans le prolongement des fonctions dites naturelles et ménagères des femmes : institutrice, infirmière, assistante sociale, secrétaire de direction, etc. Ce sont aussi parfois des circonstances historiques extraordinaires, comme la Première Guerre mondiale, qui ont donné aux femmes le moyen de con- quérir leur émancipation. Certains métiers leur sont réservés par leurs qualités « innées », physiques et orales : souplesse des doigts de la dactylographe, répétition des gestes monotones et réguliers de la chaîne de montage. Pourtant, la notion de métier féminin est relativement récente et semble prendre forme au XXe siècle. Au Moyen Age, les femmes pouvaient exercer la profession de « barbière », métier surprenant sachant que la barbière (ou le barbier) était aussi chirurgien et pratiquait les saignées, médication courante à l’époque. Mais, le métier de barbier-chirurgien était alors considéré comme un métier manuel, exclu de l’université. L’acquisition de connaissances par un petit nombre de femmes s’est généralement opérée dans le cadre familial (le rôle du père, de la mère, mais aussi de l’époux est souvent fonda- mental en la matière). Ces siècles perdus expliquent la faible production scientifique des femmes à ce jour40. Cette place 37 E. Sartori, 2006, Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle, Plon ; J.-P. Poirier, 2002, Histoire des femmes de science en France, du Moyen Age à la Révolution, Paris, Editions Pygmalion-Gérard Walelet ; N. Witkowski, 2005, Trop belles pour le Nobel. Les femmes et la science, Seuil ; J. Dall’Ava- Santucci, 2004, Des sorcières aux mandarines, Calmann-Levy. 38 E. Badinter, 2002, Les passions intellectuelles, Fayard, tome 2. 39 M. Perrot, 2001, Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion-Champs ; R. Pernoud, 1978, La femme au temps des cathédrales, Le Livre de Poche ; D. Gardey, 2001, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau. 1890-1930, Belin ; J. Rennes, 2007, Le mérite et la nature, une contro- verse républicaine. L’accès des femmes aux professions de prestige, Fayard. 40 S. Boutillier, B. Laperche, 2005, Production des savoirs scientifiques et valo- risation de la recherche, dans Genre, science, recherche. Regards et propositions en sciences sociales, M. Cacouault, D. Gardey (2006dir), Document de travail n°9, MAGE-CNRS ; S. Boutillier, B. Laperche, Savoir et recherche, La place des femmes, le Cas de l’Université du Littoral (Nord/Pas-de-Calais), Cahiers de © L'Harmattan | Téléchargé le 14/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.172) © L'Harmattan | Téléchargé le 14/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.172) 64 marginale se mesure notamment à partir des publications traitant de l’histoire des sciences41. Nombreux sont les cas où la femme a acquis des connais- sances, voire une notoriété, grâce à son conjoint. Certaines ont ainsi écrit des traités à deux mains. Martine de Bertereau (1578- 1642) travailla avec son mari à l’élaboration d’une méthode scientifique en géologie et minéralogie. D’autres encore durent user de stratagèmes pour acquérir la connaissance. Marie-Sophie Germain (1776-1831) acquiert une vaste culture scientifique grâce à la bibliothèque paternelle, mais très rapidement elle ne lui suffit plus. L’École polytechnique, créée en 1794, est inter- dite aux femmes. Pour correspondre avec les professeurs dont elle s’est procurée les cours, elle se fait passer pour un garçon uploads/Science et Technologie/ ma-la-place-des-femmes-dans-la-recherche-apprentissage 1 .pdf
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- Publié le Jan 31, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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