Ecole Doctorale EOS (ED 396) « Economie, organisations et société » Sophiapol (

Ecole Doctorale EOS (ED 396) « Economie, organisations et société » Sophiapol (EA 3932) « Sociologie, philosophie et anthropologie politiques » Equipe Lasco « Laboratoire d’analyses socio-anthropologiques du contemporain » LA SEXUALITE EN PRISON DE FEMMES Myriam JOËL-LAUF Thèse pour l’obtention du doctorat nouveau régime en Sciences Humaines et Sociales, mention Sociologie Préparée sous la direction de Philippe COMBESSIE Soutenue publiquement le 12 novembre 2012 Membres du jury BOZON Michel, Directeur de recherche à l’INED, rapporteur CARDI Coline, Maître de conférences à l’Université Paris 8, examinatrice CHAUVENET Antoinette, Directrice de recherche émérite au CNRS, rapporteure COMBESSIE Philippe, Professeur à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, directeur MOSSUZ-LAVAU Janine, Directrice de recherche émérite au CNRS, examinatrice ROSTAING Corinne, Maître de conférences (HDR) à l’Université Lyon II, examinatrice SCHWARTZ Olivier, Professeur à l’Université Paris 5, examinateur 1 A ma mère, dont la soif de connaissances ne sera jamais étanchée. 2 SOMMAIRE ______________________________________________________________________________ INTRODUCTION 7 1. Un objet d’étude marqué par une triple illégitimité 7 2. Une investigation empirique fondée sur la déshomogénéisation des dimensions spatiale et temporelle 12 3. Quelques précisions sur les postures de recherche adoptées 28 ______________________________________________________________________________ PARTIE 1 : UNE SEXUALITE CLANDESTINE 35 I. Au parloir, une activité sexuelle prohibée 36 1. Parloirs individuels - parloirs collectifs : une exploitation différenciée de la zone d’incertitude 38 2. Transgression, respect et application du règlement 44 II. L’angoisse de la proximité physique entre femmes et hommes détenus 56 1. Des rencontres sous haute surveillance dans les failles organisationnelles 61 2. Les activités mixtes, un dispositif qui suscite bien des réticences 84 III. L’inceste carcéral : quand la relation professionnelle se double d’une relation intime 98 1. Une réalité difficilement identifiable 100 2. La « bonne distance » pour ne pas éveiller les soupçons 104 Conclusion sur la sexualité clandestine 113 ______________________________________________________________________________ PARTIE 2 : UNE SEXUALITE INVISIBLE 116 I. Des changements dans la continuité de la situation précarcérale 118 1. L'activité sexuelle au parloir au prisme des orientations intimes et de la pudeur 120 2. Le courrier, un moyen privilégié de faire évoluer les rapports sociaux de sexe entre conjoints 138 3. La dimension sexuelle des UVF invisibilisée par les dimensions conjugale et familiale 158 4. Renouer avec le désir sexuel hors des murs 177 3 II. S'engager dans une nouvelle relation intime au cours de l'incarcération 191 1. Avec une personne extérieure au milieu carcéral : un choix prudent ? 193 2. Avec un homme détenu : une décision irréfléchie ? 198 3. Avec une autre femme détenue : un évènement biographique marquant? 206 Conclusion sur la sexualité invisible 233 ______________________________________________________________________________ PARTIE 3 : UNE SEXUALITE OSTENSIBLE 236 I. Un vent de scandale : la régulation de la sexualité à découvert dans l’entre-soi féminin237 1. Parler publiquement de sexe : le poids des règles derrière l’apparente liberté 239 2. Le rejet des conduites homosexuelles ostensibles 253 II. La détention féminine, une enclave dans la « maison-des-hommes » 264 1. Un espace d’exercice professionnel préservé du rappel du pouvoir des hommes sur le sol pénitentiaire 265 2. Un espace d’inversion des rapports de pouvoir entre les sexes défendu par les détenues 281 Conclusion sur la sexualité ostensible 296 ______________________________________________________________________________ PARTIE 4 : UNE SEXUALITE RATIONALISEE 299 I. Une sexualité instrumentalisée 301 1. Le vagin au cœur des processus de contrôle de la situation d’addiction aux substances psychoactives 302 2. Une rationalisation instrumentale de la sexualité conjugale ayant de fortes répercussions sur l’économie relationnelle en détention 315 3. Le caractère utilitaire des échanges entre les professionnels de l’écoute et les détenues accusées d’agression sexuelle sur mineur ou de complicité 348 II. Normaliser la sexualité au moyen de dispositifs de prévention 362 1. La prévention des comportements sexuels à risque des femmes détenues 364 2. La prévention des pressions sexuelles entre femmes détenues 381 Conclusion sur la sexualité rationalisée 391 _________________________________________________________________________ 4 CONCLUSION GENERALE 394 I. La prison de femmes, un puissant relai du modèle contemporain légitime de sexualité féminine 395 1. Confortation et remise en question des modèles de conduites traditionnellement assignés aux femmes 395 2. Importation et exportation des normes restreignant l’exercice de l’activité sexuelle 399 3. Discipline et autocontrôle exercés sur les conduites sexuelles 403 II. Quelques remarques pour clore l’étude et ouvrir sur de nouvelles perspectives de recherche 406 ______________________________________________________________________________ BIBLIOGRAPHIE 412 ______________________________________________________________________________ REMERCIEMENTS 436 5 Liste des sigles et des abréviations ACSF : Analyse des comportements sexuels en France AP : Administration pénitentiaire CAF : Caisse d’allocations familiales CAP : Commission d’application des peines CAP : Contrat d’apprentissage professionnel CAT : Centre d’aide par le travail CD : Centre de détention CHU : Centre hospitalier universitaire CIP : Conseiller d’insertion et de probation COTOREP : Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel CP : Centre pénitentiaire CPP : Code de procédure pénale DAP : Direction de l’administration pénitentiaire DDASS : Direction des affaires sanitaires et sociales DISP : Direction interrégionale des services pénitentiaires DRASS : Direction régionale des affaires sanitaires et sociales ENAP : Ecole nationale de l’administration pénitentiaire GENEPI : Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées ILS : Infraction à la législation des stupéfiants IST : Infections sexuellement transmissibles JAP : Juge d’application des peines JI : Juge d’instruction JLD : Juge des libertés et de la détention MA : Maison d’arrêt 6 MAF : Maison d’arrêt des femmes PEP : Projet d’exécution de peine PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse PMI : Protection maternelle et infantile PS : Permission de sortir QF : Quartier femmes QH : Quartier hommes RMI : Revenu minimum d’insertion SMPR : Service médico-psychologique régional SPIP : Service pénitentiaire d’insertion et de probation TIG : Travail d’intérêt général TS : Tentative de suicide UCSA : Unité de consultation et de soins ambulatoires UVF : Unité de vie familiale 7 INTRODUCTION 1. Un objet d’étude marqué par une triple illégitimité En 1911, Emile Durkheim soulignait le caractère mystérieux de l’acte sexuel qui trouble, déconcerte et éveille des sentiments contradictoires exprimant la répulsion et l’offense aussi bien que l’attraction [Durkheim, 19751]. Un siècle plus tard, et en dépit des nombreuses recherches s’étant depuis lors attachées à en démontrer le caractère objectivable, la sexualité ne semble toujours pas s’être complètement déprise de son mystère. Quiconque s’intéresse à la prison ne peut manquer de dresser le même constat, les sentiments à propos de ce qui se passe derrière les murs renvoyant tout autant à de la fascination qu’à de l’aversion. La force avec laquelle le sens commun impose spontanément des représentations a priori vis-à-vis de ces deux objets, et surtout les réticences manifestes de tout-un-chacun à s’en départir, mettent ainsi en lumière la survivance de domaines illégitimes sur la carte de l’investigation sociologique. En leur cœur, la sexualité en prison de femmes est marquée par une triple illégitimité. Une première illégitimité renvoie au fait que les frontières de l’objet sexualité sont floues, car elles se sont historiquement partagées entre les domaines de la morale, de la psychologie, de la biologie et de la médecine : « fondamentalement, la sexualité en tant que telle constitue encore un champ à délimiter, un objet en plein processus de construction » [Loyola, 1999 : 12]. Il convient d’abord de rappeler que depuis l’Antiquité2 l’activité sexuelle a été construite comme un domaine moral [Foucault, 1984a] et que la morale sexuelle judéo-chrétienne a durablement imprégné les esprits d’une conception intime3 et privée de la sexualité, la seule forme d’expression autorisée étant limitée à la pratique confessionnelle. Fondé sur une entreprise d’objectivation, l’intérêt minutieux que porte le sociologue aux pratiques sexuelles et aux 1 Pour chaque référence bibliographique citée dans le texte, la date indiquée se rapporte à l’édition consultée. 2 Michel Foucault souligne que la morale sexuelle n’est pas à attribuer à la morale judéo-chrétienne, puisqu’elle a été précocement recommandée par la philosophie grecque. Il invite ainsi à corriger l’opposition couramment admise entre une pensée païenne tolérante et les morales tristes et restrictives qui lui feront suite : « Il faut bien voir en effet que le principe d’une tempérance sexuelle rigoureuse et soigneusement pratiquée est un précepte qui ne date ni du christianisme, ni de l’Antiquité tardive » [Foucault, 1984a : 274]. 3 Celle-ci tend presque à une certaine sacralisation. J’en mesurai d’ailleurs la puissance inhibitrice à l’aune de la réaction scandalisée d’un magistrat lorsque je le questionnai sur sa position vis-à-vis d’une éventuelle « réforme de la sexualité » en prison : il lui était proprement intolérable que je puisse employer cette expression à l’endroit de l’expérience intime et sacrée que représentait selon lui l’activité sexuelle humaine : « C’est étonnant votre expression : une réforme de la sexualité ! Non mais vous vous rendez compte là ce que vous venez de dire ! Enfin ça m’est difficilement audible cette expression. (Pourquoi ça vous gêne ?) Alors là c’est toute la définition de la sexualité ! Non parce que ça voudrait dire qu’il serait possible de l’extérieur, qu’on peut réformer ce qu’il y a de plus intime …(Mais ça viendrait ‘d’en haut’. Il m’interrompt pour couper court à la uploads/Science et Technologie/ sexualite-en-prison.pdf

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