Palimpseste s c i e n c e s • h u m a n i t é s • s o c i é t é s numéro 3 hive

Palimpseste s c i e n c e s • h u m a n i t é s • s o c i é t é s numéro 3 hiver 2020 A r c h i v e s d e l a r e c h e r c h e à l ’ u n i v e r s i t é R e n n e s 2 dossier 4 Transhumanisme, posthumain, anti-humanisme : figures de l’humain Sylvie Bauer 9 Technès. Penser la transition numérique Gilles Mouëllic 13 Jean-Pierre Beauviala Jean-Baptiste Massuet 14 Le virage numérique en art : quelle promesse techno-démocratique ? Philippe Le Guern 18 De l’usage du numérique dans le spectacle vivant Monica Paredes 22 Gutenberg tout contre Uber. La poésie digitale ou le mariage de la méduse et du lapin Claudia Desblaches 27 Les humanités numériques Nicolas Thély 31 La science ouverte à l’époque du numérique Laurence Leroux & Cécile Sebban 35 L’écran du savant. Un temps de renouvellement de la recherche historique ? Caroline Muller 38 Numérique, démocratie et urbanisme : de la médiation urbaine à la smart city Hélène Bailleul 43 Le smartphone de l’enfant placé Gaël Henaff & Émilie Potin 47 Le dilemme de la technologie dans les amphis Nicolas Michinov varia 52 Une approche paysagère de la santé Clélia Gasquet-Blanchard, Christophe Demichelis, Vincent Delbruel, Victor Narat & Tamara Giles-Vernick 58 Sensibilité des méthodes d’analyse statistique et pertinence des interprétations Jacques Bénasséni 62 « Ce qui est central dans la fracture numérique, c’est la sociabilité. » Pascal Plantard en couverture : Paul Klee (1879-1940), Prospectus de comédiens (1938 ; gouache sur papier journal monté sur carton, 54,6 × 36,2 cm ; Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis). palimpseste : grec παλίμψηστος (palimpsèstos) « qu’on gratte pour écrire à nouveau » p a l i m p s e s t e n o3 • h i v e r 2 0 2 0 3 Ce que le numérique fait à la société Transition numérique, transformation numérique, révolution numérique, ère numérique… De quoi ces expressions sont-elles le nom ? La diversité dans les formulations traduit à la fois la convergence du constat et la polysémie des réalités qu’il recouvre. En effet, si personne ne conteste le fait qu’individuellement comme collectivement, nos vies per­ sonnelles comme professionnelles se déploient désormais en « contexte numérique », la question des changements sociaux induits par cette omni­ présence au quotidien reste un champ de recherche encore largement ouvert. C’est précisément l’objet de ce numéro de Palimpseste que d’in­ terroger ce qui est resté longtemps un impensé, à savoir : en quoi l’usage de nouveaux outils ou supports pèse-t-il sur nos pratiques de recherche ou d’enseignement ? Ou, pour le dire autrement, peut-on mesurer l’im­ pact de cette nouvelle mutation technologique à l’œuvre dans nos socié­ tés sur le cœur de nos métiers d’enseignant ou de chercheur en sciences humaines et sociales ? Au-delà d’une indéniable dimension matérielle, peut-on évaluer dans quelle mesure ces évolutions modifient nos cultures professionnelles d’enseignant-chercheur, y compris sous l’angle problé­ matique ou méthodologique ? Et ce, sans négliger les effets d’une poli­ tique de libre accès (open access), même raisonnée, sur la diffusion et le partage des connaissances que nous produisons. Peut-on y voir la mani­ festation de nouvelles respirations démocratiques dans les domaines de la production ou de la diffusion artistique comme scientifique ? C’est aussi la question de la profondeur de la mutation engagée qui est soulevée dans ce numéro, notamment sous l’angle de la rupture ou de la continuité. Une évolution permanente dont témoigne bien l’histoire des services informatiques de Rennes 2, longtemps centrés sur les infrastruc­ tures ou les équipements et qui s’orientent aujourd’hui de plus en plus vers les usages et les services aux usagers. Un changement de paradigme qui éclaire les noms successifs du service : centre des ressources informatiques (CRI) hier, direction du système d’information (DSI) aujourd’hui, direc­ tion des usages du numérique demain ? Autant de questions qui donnent un peu le vertige, non sans une sourde inquiétude parfois, notamment autour du risque que « tout ce qui n’est pas en ligne n’existe pas ou plus » ou sur le mode « faut-il avoir peur de la science ? » Pour autant, au cœur d’un rapport sciences et techniques ancien, et un peu comme le suggère Sylvie Bauer dans son article, le numérique n’est-il pas seulement un nouveau miroir tantôt rassurant, tan­ tôt inquiétant, dans lequel se reflète un nouvel imaginaire scientifique ? Marc Bergère, vice-président en charge de la documentation et de la transition numérique éditorial 4 Par Sylvie Bauer   Professeure de littérature américaine, directrice de l’unité de recherche Anglophonie : communautés, écritures (ACE, EA 1796). Dossier Le titre du dernier ouvrage de Jacques Testart, coécrit avec Agnès Rousseaux 1, déploie dès la couverture ce que les auteurs appréhendent comme les « risques des technosciences », dont l’essor spectaculaire a été rendu possible par les progrès récents des technologies numériques. Au péril de l’humain condense les craintes que les auteurs éprouvent à voir se développer des expérimen­ tations susceptibles de « mener notre espèce à sa perte ». Programme qui ne va pas sans nous interroger, car l’ima­ ginaire de la fin de l’humain et du suicide programmé de l’espèce n’est pas seulement une provocation vouée à assu­ rer les ventes en librairie. Selon les auteurs, l’humain serait en péril du fait que les transhumanistes et des « tech­ noprophètes » prônent le franchissement des frontières entre le mécanique et l’organique, l’humain et le non-hu­ main, la vie et la mort. Bref, il s’agit d’un récit de science- fiction dans lequel la réalité l’emporterait sur l’imagina­ tion, un scénario catastrophe en passe de se réaliser. Le parti pris de ce livre est clair de bout en bout : il y aurait urgence à alerter sur les dangers d’une science présentée ici comme vouée à mécaniser l’humain, à le fabriquer, puis à l’anéantir, dans un geste de volonté de puissance promé­ théenne. L’ouvrage appelle à entrer en résistance contre les machinations de transhumanistes dont l’idéologie serait à la solde d’intérêts financiers considérables. De quoi faire peur de la science, d’autant que les auteurs, navigant sur une actualité monstrueuse, n’hésitent pas à comparer pied à pied le terrorisme djihadiste et l’hégémonie des nou­ velles technologies. Une montre ou une laisse ? Ces craintes et ce projet de voir repousser les limites de l’humain s’incarnent dans un récit eschatologique qui mêle des données scientifiques et financières avec des considérations idéologiques et politiques, et une vision catastrophiste du présent. Que le présent ait de quoi inquiéter n’est pas étonnant dans un environnement où les technologies, en particulier numériques, sont parado­ xalement source d’une déprise du contrôle des individus sur leur environnement. Les formidables outils que pro­ posent les technologies digitales et la miniaturisation des composantes électroniques ont peu ou prou imposé une connectivité permanente (sous la forme de téléphones dits intelligents, d’ordinateurs désormais presque exclu­ sivement portables, d’objets connectés dans le commerce ou d’outils domotiques qui permettent le contrôle à dis­ tance des lieux de vie intimes). Le corollaire de cette omniprésence est non seulement une forme de dépen­ dance (la place des écrans d’ordinateur dès l’enfance en témoigne, de même que le monopole des GAFAM 2), mais aussi une collecte de données personnelles per­ manente, susceptibles d’être piratées, utilisées à des fins commerciales ou politiques. Le « village global », utopie théorisée en 1967 par Marshall McLuhan (1911-1980) dans The Medium Is the Massage 3, loin de tenir les promesses de favoriser une culture partagée à l’échelle de la planète grâce aux réseaux de communication instantanés, se solde en définitive par des relations virtuelles, un façonnage commercial, culturel et idéologique par le truchement d’algorithmes. L’impression qui domine est que l’autre face de la cir­ culation instantanée et ininterrompue de l’information n’est pas tant une ouverture au monde et une liberté plus grande, mais – pour reprendre les termes de Solange Ghernaouti, professeure à l’université de Lausanne et experte en cybersécurité et cyberdéfense –, la possibilité de « ten[ir] en laisse électronique 4 » l’usager, et ce à dif­ férentes échelles : les montres connectées, par exemple, contribuent à insérer le corps physique des utilisateurs 1 Jacques Testart & Agnès Rousseaux, Au péril de l’humain. Les pro­ messes suicidaires des transhumanistes, Paris, Éditions du Seuil, 2018. 2 Acronyme désignant les cinq grandes firmes américaines qui dominent actuellement le marché du numérique : Google, Amazon, Face­ book, Apple, Microsoft. 3 Marshall McLuhan, Quentin Fiore, The Medium Is the Massage : An Inventory of Effects, co-ordinated by Jerome Agel, New York, Random House, 1967 ; Message et massage, mis en scène par Jérôme Agel, trad. franç., Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968. 4 Voir l’article de Solange Ghernaouti, « Comment penser la cybersé­ curité à l’heure de l’esclavage numérique ? » (24 juin 2019), accessible sur le blog de l’auteure : blogs.letemps.ch/solange-ghernaouti. Transhumanisme, posthumain, anti-humanisme : figures de l’humain 5 p a l i m uploads/Science et Technologie/ ville-palimpseste.pdf

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