1 Version pré-print : pour citer cet article E. Vergès, « Ethique et déontologi

1 Version pré-print : pour citer cet article E. Vergès, « Ethique et déontologie de la recherche scientifique, un système normatif communautaire », in « Qu’en est-il du droit de la recherche ? », dir. J. Larrieu, éd. LGDJ 2009, p. 131. E t h i q u e e t d é o n t o l o g i e d e l a r e c h e r c h e s c i e n t i f i q u e U N S Y S T E M E N O R M A T I F C O M M U N A U T A I R E Etienne Vergès, Professeur à l’Université de Grenoble1 L’éthique prend une place particulière dans les relations entre le droit et la science. En France, le débat se concentre sur les questions relatives à la bioéthique. Il est vrai que le clonage, la recherche sur l’embryon ou sur la personne humaine soulèvent de nombreuses questions en rapport avec l’éthique et donnant lieu à des interventions législatives régulières. Pour autant, ces problématiques effacent quelque peu un champ de recherche bien plus vaste que l’on pourrait désigner sous l’expression d’« éthique et de déontologie du chercheur »2. Il s’agit d’un corpus de règles contenu dans des chartes, des guides, des codes, d’éthique, de déontologie, de bonnes pratiques ou de bonnes conduites, et qui s’adresse spécifiquement aux membres de la communauté scientifique. Ce corpus forme une normativité parallèle que l’on pourrait assimiler à de la softlaw, en ce sens que les règles éthiques détiennent rarement tous les caractères de la norme juridique et qu’elles possèdent une valeur contraignante toute relative. Il convient néanmoins de parler de normes dans la mesure où les chartes et codes précités contiennent de véritables propositions pouvant s’analyser comme des « devoir être » au sens Kelsenien du terme3. Cette forme normative particulière, que constitue l’éthique ou la déontologie du chercheur, prend toute sa signification au sein d’une communauté scientifique relativement cloisonnée par son activité et par le partage d’objectifs et de valeurs communes. L’éthique et la déontologie forment un ensemble normatif secondaire et complémentaire face à un droit de la recherche très largement lacunaire. En effet, si la recherche scientifique est appréhendée par le droit dans ses activités les plus sensibles (recherche clinique, expérimentation sur l’animal, sur les OGM), il faut constater dans 1 Directeur du Groupe de recherche « Droit et Sciences » (CRJ-EA 1965). Directeur du Réseau Droit, Sciences et Techniques (GDR – CNRS 3178). 2 Nous choisissons ici volontairement de ne pas entrer dans le débat sur la distinction entre éthique et déontologie pour deux raisons. D’une part, cette distinction est peu pertinente dans le champ de l’observation et il fréquent les chartes ou les codes étudiés, contiennent indistinctement les deux notions. On trouve d’ailleurs dans ces textes des expressions proches comme celles de « bonnes pratiques » ou « bonnes conduites ». D’autre part, la distinction entre éthique et déontologie ne fait pas consensus, de sorte que seule une étude approfondie et détaillée de ces deux notions prendrait réellement son sens. Cette étude n’entre pas dans le champ de cette contribution qui relève plutôt d’une analyse empirique des normes éthiques et déontologiques. 3 H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenman, dalloz, Paris, 1962. le même temps que la plupart des activités de recherche ne font l’objet d’aucune régulation juridique particulière et adaptée. Par ailleurs, si l’on trouve dans le Code de la recherche certains principes communs à toutes les activités scientifiques4, les principes qui gouvernent l’activité scientifique dans sa globalité5 sont largement absents du Code. Ainsi, le comportement d’intégrité scientifique que l’on attend du chercheur ou de l’évaluateur est en grande partie ignoré par le législateur6. Face aux lacunes du droit dans le domaine de la recherche scientifique, les normes éthiques et déontologiques apparaissent comme des substituts utiles qui permettent, d’abord d’exprimer les valeurs partagées au sein de la communauté scientifique, ensuite d’édicter un référentiel de conduite pour les acteurs de cette communauté et enfin, de servir de maître-étalon lorsque des instances éthiques ou disciplinaires doivent se prononcer sur un protocole ou un comportement problématique et rendre des avis, voire prononcer des sanctions. En ce sens, l’utilité des normes éthiques et déontologiques n’est pas négligeable. Plus encore, on peut considérer que les caractéristiques propres de ces normes sont particulièrement adaptées à la spécificité de la communauté scientifique. D’une part, il s’agit de normes souples qui permettent d’évaluer les actes des chercheurs ou les protocoles de recherche au cas par cas. D’autre part, ces normes sont issues de la communauté scientifique elle-même. Elles sont issues d'un processus de création bottom up. Les chartes sont rédigées par les chercheurs et les comités d’éthiques sont essentiellement composés de chercheurs. Les normes ainsi édictées ne sont pas imposées aveuglément par une autorité hiérarchique. Bien au contraire, elles reposent sur une adhésion plus ou moins forte de la communauté scientifique elle-même. Cet élément est essentiel pour favoriser l’acceptabilité des normes éthiques au sein d’un groupe qui revendique avant tout de bénéficier d’une liberté de la recherche. Définies par les chercheurs, les normes éthiques et déontologiques deviennent acceptables, car, d’une certaine manière, consenties par ceux qui y sont soumis. Cette acceptabilité participe à assurer le respect de ces normes. On pourrait alors s’interroger sur l’intérêt d’introduire, au sein de l’activité de recherche, une régulation des comportements. L’idée même de restreindre, voire d’interdire, un acte d’expérimentation semble contradictoire avec la recherche de la vérité scientifique. Il est entendu que la qualité du résultat scientifique dépendra précisément de la liberté d’agir, de penser et de s’exprimer du chercheur. Deux arguments militent pourtant en faveur de l’encadrement éthique de l’activité scientifique. Le premier résulte de l’acceptabilité sociale de la science. La question de l’éthique de la recherche se situe au cœur de la relation entre science et société. Le respect des normes éthiques et déontologiques donne ainsi une certaine conscience à la science. L’acte d’expérimentation sur un être humain ou sur un animal sera d’autant plus acceptable qu’il sera soumis à un ensemble de règles qui garantisse le respect de l’intégrité physique, qui limite la souffrance… Le second argument réside dans le fait que les règles éthiques favorisent la qualité des résultats scientifiques. La prohibition 4 Art. L. 112-1 et suivants regroupés dans un chapitre intitulé « Objectifs et moyens institutionnels de la recherche publique ». 5 Expérimentation, publications, valorisation, recrutement et évaluation des chercheurs. 6 Même s’il est vrai que l’évaluation a donné lieu, avec la création de l’AERES, à l’introduction dans le Code de dispositions qui pourraient constituer la base d’un droit de l’évaluation de la recherche (art. L. 114-1 et suivants C. Rech.). 3 de la fraude scientifique7 ou les règles d’éthique en matière d’évaluation et d’expertise participent à la fiabilité des résultats de la recherche et, d’une certaine manière, poursuivent le même objectif que le principe de la liberté de la recherche. L’opposition brutale entre la liberté et l'encadrement de l’activité scientifique perd ainsi une grande partie de son sens. L’étude du système normatif éthique et déontologique est malaisée dans la mesure où ce système n’est pas homogène. Chaque communauté, chaque institution est libre de créer son code ou sa charte. Certaines normes éthiques ont été posées dans des publications scientifiques8 ; d’autres sont édictées par des comités d’éthiques institutionnels, mais qui ne possèdent pas de légitimité particulière9 ; d’autres enfin suivent une voie plus officielle. Tel est le cas de la charte nationale portant sur l’éthique de l’expérimentation animale qui a été édictée par un comité national en raison d’une compétence définie par un règlement10. Plus encore, certaines normes éthiques ou déontologiques peuvent être partagées au sein de la communauté alors qu’elles ne sont posées par aucune charte. Ainsi en est-il, par exemple, en France, des règles relatives à la fraude scientifique. Au-delà de cette diversité de sources, les normes éthiques et déontologiques peuvent être étudiées à travers le filtre d’une opposition entre « inconduite » et « intégrité scientifique ». Il est possible de qualifier d’intègre scientifiquement l’action du chercheur qui se conforme aux normes générales de l’éthique et de la déontologie du chercheur, ainsi qu’aux normes éthiques particulières, applicables dans son champ disciplinaire. L’intégrité scientifique peut ainsi se définir comme une conduite scientifique conforme aux normes éthiques et déontologiques générales ou spéciales. A l’inverse, l’inconduite scientifique peut être décrite comme le manquement du scientifique aux normes éthiques et déontologiques générales ou spéciales de la recherche. En ce sens, le système éthique et déontologique est normatif, car il définit des normes de comportement et corrélativement suggère que certains comportements contraires à ces normes ne sont pas admis au sein de la communauté. La frontière entre le permis et l’interdit est ainsi posée. Sur cette base, on peut distinguer la normativité éthique de la simple réflexion éthique. Si la réflexion éthique conduit à définir des valeurs ou susciter la réflexion sur un sujet scientifique sensible11, la normativité éthique définit un devoir-être uploads/Science et Technologie/1-ethique-et-deontologie-de-la-recherche-scientifique-une-normativite-communautaire-2008-pdf.pdf

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