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Tous droits réservés © Association pour la recherche qualitative (ARQ), 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 09/16/2022 6:15 a.m. Recherches qualitatives Projecteur sur l’imagination dans la découverte scientifique selon une perspective bachelardienne : le cas de deux recherches en gestion des ressources humaines Lidwine Maizeray and Anne Janand Volume 36, Number 1, Spring 2017 Visite dans l'arrière-scène de la recherche qualitative URI: https://id.erudit.org/iderudit/1084356ar See table of contents Publisher(s) Association pour la recherche qualitative (ARQ), Université du Québec à Trois-Rivières ISSN 1715-8702 (digital) Explore this journal Cite this article Maizeray, L. & Janand, A. (2017). Projecteur sur l’imagination dans la découverte scientifique selon une perspective bachelardienne : le cas de deux recherches en gestion des ressources humaines. Recherches qualitatives, 36(1), 45–66. Article abstract Cet article propose d’analyser, au travers de la philosophie poétique bachelardienne, les vertus de l’imagination et ses processus sous-jacents pour les chercheurs en sciences sociales ayant recours à des méthodologies qualitatives. Deux expériences de thèse en gestion des ressources humaines (GRH) sont relatées à l’aune de cette imagination dans une perspective où le chercheur est un chercheur-acteur réflexif rendant compte d’une expérience travaillée. L’article éclaire ainsi les coulisses d’une recherche qualitative et fait ressortir le rôle de l’imagination joué dans ce travail. La philosophie poétique bachelardienne permet de proposer une modélisation de l’analyse des données qualitatives intégrant à part entière le rôle de l’imagination. RECHERCHES QUALITATIVES – Vol. 36(1), pp. 45-66. VISITE DANS L’ARRIÈRE-SCÈNE DE LA RECHERCHE QUALITATIVE ISSN 1715-8702 - http://www.recherche-qualitative.qc.ca/revue/ © 2017 Association pour la recherche qualitative 45 Projecteur sur l’imagination dans la découverte scientifique selon une perspective bachelardienne : le cas de deux recherches en gestion des ressources humaines Lidwine Maizeray, Ph. D. Université de Lille, France Anne Janand, Ph. D. Université de Paris-Sud, France Résumé Cet article propose d’analyser, au travers de la philosophie poétique bachelardienne, les vertus de l’imagination et ses processus sous-jacents pour les chercheurs en sciences sociales ayant recours à des méthodologies qualitatives. Deux expériences de thèse en gestion des ressources humaines (GRH) sont relatées à l’aune de cette imagination dans une perspective où le chercheur est un chercheur-acteur réflexif rendant compte d’une expérience travaillée. L’article éclaire ainsi les coulisses d’une recherche qualitative et fait ressortir le rôle de l’imagination joué dans ce travail. La philosophie poétique bachelardienne permet de proposer une modélisation de l’analyse des données qualitatives intégrant à part entière le rôle de l’imagination. Mots clés BACHELARD, MÉTHODOLOGIE QUALITATIVE, IMAGINATION, IMAGE POÉTIQUE, CODAGE Introduction Tenir compte de l’imagination dans la recherche peut paraître au premier abord original, voire incongru, pour le chercheur en quête de causalité, de rationalité et de justification. Croiser l’imagination avec la recherche scientifique, ce serait rompre avec le rationalisme cartésien qui prévaut encore dans la tradition scientifique au travers d’une épistémologie positiviste souvent caricaturale. Cette approche provient d’une tradition philosophique qui a longtemps rejeté l’imagination, considérée comme la « folle du logis » au profit de la raison (Dross, 2013, p. 226). L’imagination serait comme un obstacle épistémologique à l’exercice de la raison, comme en atteste 46 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1) « l’obsession pathologique pour une “méthode scientifique” » qui demeure pourtant « chimérique » (Lamy, 2015, p. 35). Se tourner vers de nouvelles habitudes de recherche est pourtant ce en quoi nous invite la philosophie poétique de Gaston Bachelard. En effet, la pensée de Bachelard rend compte du déclin des absolus cartésiens, kantiens, fondés sur une unité qui pouvait rendre raison de tout. Il s’agit de se détourner de « l’axe du rationalisme croissant de la science contemporaine », d’abandonner « le long effort de liaisons et de constructions de pensées » (Bachelard, 1957, p. 7) jugé inefficace, pour au contraire rendre cohérentes des vérités plurielles. Comme il l’explicite dans Le nouvel esprit scientifique, il s’agit désormais d’être simultanément newtonien et einsteinien, euclidien et lobatchevskien. La philosophie de Gaston Bachelard nous montre une nouvelle voie : celle de l’imagination poétique. En effet, l’imagination n’est pas enfermée dans un passé, un courant de recherche, mais jaillit du présent : alors que la réflexion philosophique exerçant sur une pensée scientifique longuement travaillée doit demander que la nouvelle idée intègre un accord d’idées éprouvées, même si ce corps d’idées et de train, l’humanité, un remaniement profond, comme c’est le cas dans toutes les révolutions de la science contemporaine, la philosophie de la poésie doit reconnaître que l’acte poétique n’a pas de passé, du moins pas de passé proche duquel on pourrait suivre sa préparation et son avènement (1934, p. 1). Reconnaître le rôle de l’imagination, c’est donc intégrer la dynamique de la découverte, son jaillissement, ses débordements, dans la réflexion scientifique. C’est une invitation à essayer de lever le voile sur le rôle de l’imagination et la spontanéité de l’image chez le chercheur : « Il faut être présent, présent à l’image dans la minute de l’image » (Bachelard, 1957, p. 1). Dans cette perspective, cet article interroge le rôle de l’imagination et de l’image poétique, ainsi que le processus selon lequel elles opèrent pour le chercheur en sciences de gestion utilisant une méthodologie qualitative. En quoi l’imagination poétique bachelardienne permet-elle de mieux rendre compte de l’expérience du chercheur qualitatif en gestion? Le chercheur en gestion a pour objectif de saisir les phénomènes en adoptant une raison ouverte et plurielle. Il s’agit notamment, pour le chercheur qualitatif adoptant un raisonnement abductif, de confronter des effets, prédits par une théorie, et des faits observés dans un matériau empirique. À cet égard, le chercheur marche sur un fil ténu « entre rigueur et bricolage » (Dumez, 2015, p. 203), qui sont les deux dimensions constitutives du travail d’abstraction. C’est en ce sens que Latour (2012) écrivait : « le travail d’abstraction est un métier concret » (p. 118). Pour autant, le recours au MAIZERAY & JANAND / Projecteur sur l’imagination de la découverte scientifique… 47 bricolage peut choquer et il est nécessaire d’en expliciter les tenants et aboutissants avec la plus grande rigueur. Bien que souvent reléguée dans les « coulisses » de la recherche, l’imagination est constitutive de la production de connaissances à partir du traitement d’un matériau qualitatif de recherche. Elle fait pourtant partie du travail d’analyse et le fait de ne pas l’évoquer peut donner l’impression d’une opération bricolée et d’un manque de transparence propice à susciter des critiques (Mukamurera, Lacourse, & Couturier, 2006). Le but de cet article est donc de replacer l’imagination sous les projecteurs. La première partie de l’article présente la conception bachelardienne de l’imagination comme la capacité à appréhender la richesse du réel, au travers notamment de l’image poétique. La deuxième partie illustre la façon dont l’imagination a été utilisée dans deux recherches doctorales déployant une méthodologie qualitative. Le présent article met en évidence, dans une troisième partie, l’imagination poétique comme source renouvelée d’inspiration pour les chercheurs menant des recherches qualitatives en sciences de gestion et met le projecteur sur le rôle que joue, en coulisse, l’imagination dans la recherche qualitative. L’imagination sur la scène de la recherche qualitative : vertus et processus Parler d’imagination et de rêverie poétique dans le cadre de recherches scientifiques présente un certain risque d’incompréhension et de rejet chez les scientifiques. Pourtant, c’est, selon Bachelard, une approche permettant la création d’un esprit scientifique nouveau, car la rêverie « permet un détachement de l’épistémologie et marque l’autonomie de l’imaginaire humain, dépouillant l’image de toute forme de déterminisme » (Roger, 2015a, p. 150). Tenir compte de l’imagination pour le chercheur en gestion : une approche permettant « l’invention d’un esprit nouveau »? La recherche en sciences de gestion occupe une place centrale et traite de nombreux sujets au cœur de la société, tels que la compétitivité économique, l’emploi, la responsabilité sociale, l’innovation... Le développement des recherches qualitatives dans ce champ disciplinaire qui a pris son essor dans les années 1970, notamment au travers de la recherche-intervention, s’applique ainsi à « décrire, expliquer et transformer » (Krief & Zardet, 2013, p. 213) l’objet qu’est l’organisation dans une perspective d’appropriation par les praticiens des données ainsi coconstruites avec les chercheurs. En effet, un des objectifs de la recherche en sciences de gestion, et notamment en gestion des ressources humaines, vise, selon Jardat (2011, p. 322), à « enrichir la représentation du manager ». Afin d’atteindre cet objectif, le chercheur en gestion s’appuie sur différentes méthodes, entendues comme, « conformément à l’étymologie du terme, le chemin par lequel on arrive à un certain résultat (ici la production de connaissances) » (Jardat, 2011, p. 327). 48 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1) C’est précisément par rapport au chemin emprunté que la philosophie bachelardienne nous intéresse. Dans Le nouvel esprit scientifique, Gaston uploads/Science et Technologie/ar 3 .pdf