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29/03/2018 11)52 Innovation, collaboration et droit Page 1 sur 15 https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/article_p.php?ID_ARTICLE=RFG_269_0183 183-198 Distribution électronique Cairn pour Lavoisier © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Innovation, collaboration et droit L’internormativité dans les « labs » Mathias Béjean Laurent Drai maître de conférences à l’université Paris Est Créteil Val de Marne et membre de l’Institut de recherche en gestion (EA 2354). Ses recherches portent sur le management de l’innovation, le design stratégique et les approches formelles des processus d’innovation collaborative et d’anticipation. Ces dernières années, ses recherches se sont orientées vers l’analyse des activités d’innovation rencontrant la question du « public », notamment dans les secteurs de la santé (« living labs » et santé numérique), du spatial (environnement et données spatiales) et des administrations publiques (« gouvernement ouvert » et transparence des algorithmes). UPEC, UPEM maître de conférences HDR à l’université de Lille et membre du Laboratoire de droit social de l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Il a rédigé une thèse sur le « droit du travail intellectuel ». Ses travaux s’orientent autour de deux axes principaux. D’une part, l’évolution du droit du travail et les nouvelles formes d’organisation du travail (télétravail, organisation du temps de travail, etc.). D’autre part, et dans le prolongement de sa thèse, il étudie les rapports entre le droit du travail et le droit de la propriété intellectuelle. Université de Lille 3 ; Lab. de droit social, Paris 2 1 Ces dernières décennies, l’innovation est devenue un enjeu central de la survie des organisations. Pour relever ce défi, la plupart d’entre elles explorent de nouvelles manières d’organiser le travail, en cherchant notamment à s’appuyer sur la créativité de leurs salariés. Ces explorations ont pour conséquence l’invention de nouvelles formes de coordination, de coopération et de compétition, que cela soit au sein des organisations elles-mêmes ou bien entre elles. Parce qu’elles créent des situations de collaboration inédites, ces évolutions interpellent autant les normes de gestion existantes, que celles formalisées par le droit, aboutissant souvent à des conflits en pratique. 2 La « création salariée » est un exemple de ces nouvelles situations d’inter- normativité et de crise. Elle confronte deux postures : celle de l’auteur, requise par les entreprises de salariés dits « créatifs », habituellement couverte par le droit d’auteur, avec celle du salarié, supposé sous contrôle hiérarchique, encadrée par le droit du travail, qui statue sur les droits de propriété entre les salariés et leur entreprise. Mais une contradiction naît du fait que la subordination supposée par le salariat est incompatible avec la liberté présumée de l’auteur. Si le problème a été abordé ailleurs (Drai, 2005, 2010), des questions demeurent en droit, comme en gestion (Béjean et al., 2014). En pratique, les acteurs sont toujours à la recherche de solutions pouvant limiter les conflits. 3 De telles situations ne sont pas des cas isolés, elles illustrent l’impact, sur le droit et la gestion, des mutations profondes du travail suscitées par la quête de créativité et d’innovation​ . À l’ère des « Labs » en tout genre (ex. : Fab Labs, Living Labs, Open labs, makerspaces), ces problèmes révèlent la difficulté à penser des modes appropriés d’intervention du droit face aux évolutions des activités créatives, de [1] 29/03/2018 11)52 Innovation, collaboration et droit Page 2 sur 15 https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/article_p.php?ID_ARTICLE=RFG_269_0183 I – MUTATION DU TRAVAIL ET NOUVEAUX ESPACES DE COLLABORATION 1. Innovation, risque majeur et formes d’organisation des activités créatives leur organisation et de leur valorisation. Si l’on s’en tenait à la logique juridique existante, la cession de droits devrait être prévue à l’avance​ . Au moment où née l’innovation, on devrait déjà savoir à qui ira la valeur créée. Mais l’on voit la difficulté à statuer de la sorte et l’impact qu’un tel cadrage risquerait de faire peser sur les dynamiques collaboratives s’explorant dans ces nouveaux « tiers-lieux ». [2] 4 À certains égards, ces situations exacerbent les difficultés rencontrées dans toute phase dite de « précontractualisation ». Durant cette phase, l’objet du contrat, autant que la nature des engagements à formaliser, demeurent encore à déterminer. C’est l’objet même des échanges précontractuels que de faire mûrir la compréhension du projet de collaboration. Or la temporalité de cette phase ne se trace pas comme une ligne droite, rythmée de jalons gestionnaires ou juridiques déterminés, mais s’entend davantage comme une durée, permettant un accroissement du potentiel d’innovation exploré. Les normativités juridique et gestionnaire retenues ne seront pas sans influer sur le déroulement de l’exploration de ce potentiel, ni de l’exploitation de l’œuvre future. 5 Cet article participe à une réflexion naissante sur ces questions. Convoquant le double regard de la gestion et du droit, il explore les limites des régimes juridiques existants pour les nouvelles formes de collaboration évoquées et propose des pistes en vue de mieux articuler les normativités gestionnaire et juridique en fonction des différentes phases de genèse, développement et exploitation d’une innovation. L’article est organisé comme suit : une première partie revient sur les formes contemporaines d’organisation de l’innovation. Une deuxième montre les limites des régimes juridiques existants faces à ces évolutions, conduisant à recourir à des régimes plus « ouverts » en pratique ; modalités détaillées dans une troisième partie. Une quatrième partie propose un modèle « phasé » d’intervention du droit, dont la portée est discutée en conclusion. 6 Depuis Schumpeter (1942), l’ambivalence de l’innovation n’a eu de cesse d’être soulignée. Pour la qualifier, l’économiste viennois utilisait, dans son ouvrage séminal, l’expression de « creative destruction », pouvant être traduit en français par « destruction créatrice ». Cette notion disait tout autant la valeur que peut générer une innovation pour une organisation donnée, que la menace qu’elle fait peser sur elle, lorsqu’elle la subit. L’innovateur se trouve devant un dilemme (Christensen, 1997) : en cherchant à consolider sa place, il se rend vulnérable à la « disruption », c’est-à-dire à l’arrivée brutale d’une innovation de substitution. Possédant le caractère d’un « risque majeur » (Laufer, 1993), la disruption menace, à tout moment, la survie d’une organisation établie. 7 En management, répondre à ce dilemme revient à se confronter à un problème d’allocation stratégique entre les ressources dédiées à l’exploitation des expertises existantes et celles qui doivent être consacrées à l’exploration de nouveaux possibles (Andriopoulos et Lewis, 2009 ; March, 1991). Trois modes d’organisation du travail, combinables entre eux, en ont découlé : le mode « projet », visant le développement de produits et services nouveaux en dehors des « silos » métiers existants ; l’innovation participative, visant la mobilisation de la créativité individuelle des salariés ; et l’« outsourcing », visant le développement de stratégies 29/03/2018 11)52 Innovation, collaboration et droit Page 3 sur 15 https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/article_p.php?ID_ARTICLE=RFG_269_0183 2. Les mutations des relations de travail à l’ère des « Labs » d’alliances ou de sous-traitance pour des efforts de recherche et d’innovation, qu’il n’est soit pas stratégique de faire en propre, soit difficile de développer seul. 8 Dans la littérature, ces trois formes d’organisation ont été largement discutées, il ne s’agit donc pas d’en faire une revue ici. En revanche, il est utile de s’intéresser aux nouvelles questions se posant à leur égard, en particulier celles issues du courant de l’« innovation radicale » (Leifer et al., 2000 ; McDermott et O’Connor, 2002). Ainsi, par sa linéarité, son niveau élevé de contrôle sur la qualité, les coûts et les délais, ainsi que par sa temporalité normalement restreinte, le mode projet paraît mieux adapté à l’innovation incrémentale, qu’à l’innovation radicale. De leur côté, les dispositifs d’innovation participative sont souvent insuffisamment systémiques, c’est-à-dire insuffisamment reliés aux activités courantes de l’exploitation. De ce fait, les innovateurs se sentent parfois esseulés et se heurtent souvent, au sein de leur organisation, à une bureaucratie qui ne sait, ou ne veut pas savoir, comment valoriser leurs idées. Dans l’outsourcing, le risque est d’affaiblir la capacité stratégique de l’organisation concernée lors de l’alternative « make or buy ». En situation normale, le critère qui permet de distinguer les activités qui doivent être faites en propre (make) de celles qui peuvent être sous-traitées (buy), dépend de la valeur stratégique de ces activités. Ce choix, toujours difficile à conduire, s’avère particulièrement complexe en situation d’innovation : lorsqu’on explore de nouvelles voies, comment distinguer à l’avance ce qui sera, à terme, stratégique (make) de ce qu’il ne le sera pas (buy) ? 9 Face à ces critiques, le courant de l’innovation radicale estime nécessaire de réinstaller un temps long, donnant une cohérence à la maturation des concepts nouveaux (O’Connor, 2008 ; O’Connor et DeMartino, 2006). Ceci nécessite d’« incuber » des capacités stratégiques nouvelles pour préparer le futur. Elle conduit beaucoup d’organisations à se doter de fonctions dédiées à l’innovation (Le Masson et al., 2006). Pour fonctionner concrètement, de telles capacités d’innovation radicale doivent s’incarner dans des dispositifs organisationnels nouveaux visant uploads/Science et Technologie/be-jean-et-drai-innovation-collaboration-et-droit.pdf

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