R E C H E R C H E / C A N C E R NEXUS 96 40 janvier-février 2015 Mirko Beljansk
R E C H E R C H E / C A N C E R NEXUS 96 40 janvier-février 2015 Mirko Beljanski dans son laboratoire à Châtenay-Malabry en 1982. C A N C E R / R E C H E R C H E 41 NEXUS 96 janvier-février 2015 T raitement du cancer : quatre études récentes menées aux États-Unis ont confirmé les résultats obtenus par Mirko Beljanski. Il est resté vingt-huit ans à l’Institut Pasteur, mais a été entravé, persécuté, et l’on a tout fait pour détruire ses années de recherches et les produits qu’il avait mis au point. Focus sur ses découvertes et un scandale à la française. réhabiliter BELJANSKI ? Qui OSERA © The Beljanski Foundation, Inc. R E C H E R C H E / C A N C E R NEXUS 96 42 janvier-février 2015 L e 9 octobre 1996, à 6 heures du matin, une vaste opération poli- cière dont le nom de code est ISA 2 commence. Quatre-vingts gendarmes et policiers, dont des membres du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), sont mobilisés près du village de Saint-Prim (Isère). En quelques minutes, le lieu cible, le laboratoire du docteur en biochimie Mirko Beljanski, est investi. Dans les locaux, les dossiers, la cor- respondance, les cahiers d’expérience ainsi que le matériel – matières pre- mières, échantillons pour analyse, ordinateurs, etc. – sont emportés (aucun procès-verbal des objets et des documents saisis ne sera jamais remis aux intéressés). Comme une lettre anonyme dénonçait des caches secrètes, les murs sont auscultés et les caves sondées. Des scellés sont posés partout, seule une partie du laboratoire reste accessible. Au fur et à mesure de leur arrivée, les membres du personnel sont arrêtés et interrogés. Certains sont conduits au dépôt de Vienne pour être interrogés et quelques-uns mis en garde à vue. Mirko Beljanski, 73 ans, est arrêté, menotté et conduit à Paris pour être mis au dépôt. Le même jour et à la même heure, Monique Beljanski, qui se trouve dans la capitale, reçoit la visite de quatre policiers qui fouillent tout, sai- sissent des papiers, des documents, du matériel informatique et des gélules. Haro sur le savant hérétique ! M irko Beljanski est né le 27 mars 1923 à Turija (Yougoslavie) d’un père mécanicien et d’une mère couturière. Il obtient une bourse de l’OMS pour poursuivre ses études, et choisit pour ce faire la France (il s’y installe en 1945 et obtiendra la nationalité française en 1966). En 1948, il entre à l’Institut Pasteur dans le service de chimie biologique du professeur Michel Macheboeuf. Il y prépare sa thèse de doctorat d’État : Étude de souches bactériennes résistantes à des antibiotiques ; comparaison avec des souches sensibles de même espèce. En 1951, il devient docteur ès sciences et est engagé comme biologiste et chercheur au CNRS pour travailler à l’Institut Pasteur. Au CNRS, il sera successivement : attaché, maître, directeur de recherche, puis directeur de recherche honoraire (à sa retraite en 1988). Toujours en 1951, il épouse Monique, fille du professeur René Lucas. Elle passe un diplôme de technicienne de laboratoire pour travailler avec son mari. Août 1952, décès du professeur Macheboeuf, qui est remplacé par Jacques Monod, ce qui marquera le début des difficultés pour les époux Beljanski. De 1956 à 1958, Beljanski travaille à l’université de New York comme chercheur associé du professeur Severo Ochoa, Prix Nobel de médecine (1959) pour ses découvertes sur la synthèse des acides ribonucléique et désoxyribonucléique. En 1960, il reçoit avec Roger Monier le prix Charles-Léopold-Mayer de l’Académie des sciences de l’Institut de France pour leur travail sur le rôle de l’ARN dans le processus de synthèse des protéines. 1971, Jacques Monod devient directeur de l’Institut Pasteur et le restera jusqu’à Dates clés de la vie de Beljanski U n matin d’octobre 1996, une opération policière d’envergure nationale est lancée contre Mirko Beljanski… Le point d’orgue d’une carrière marquée par un véritable harcèlement institutionnel. C A N C E R / R E C H E R C H E 43 NEXUS 96 janvier-février 2015 Le soir, elle est conduite à Fontai- nebleau dans une petite maison de campagne, celle de ses parents. Une lettre anonyme affirmait qu’il s’y trouvait une unité de fabrication cachée dans la cave, mais « il n’y avait que des araignées », commente Monique Beljanski1, qui fut interro- gée toute la nuit, toute la journée du lendemain et gardée au dépôt de Créteil la nuit suivante. Même les malades… Toujours ce 9 octobre, une soixan- taine de perquisitions et de saisies sont effectuées simultanément dans toute la France. La police fait irrup- tion au domicile de malades pour saisir livres, cassettes, documents, gélules… Certains patients sont in- terrogés au commissariat une bonne partie de la nuit, tel ce malade âgé de 75 ans, souffrant d’un cancer (dix-huit ans de recul pour ce pre- mier cas traité par Mirko Beljanski), et à qui l’on confisque ses gélules et qu’on relâche en pleine nuit. De même pour le président de l’asso- ciation CCS (Collectif cancer sida), Marc Crouzier, qui, bien que grave- ment malade du sida, sera détenu dix heures. Ce type d’expérience est déjà éprouvant pour des personnes en bonne santé, que dire pour des malades ! Quant à Mirko Beljanski, après 48 heures de garde à vue, il est placé sous contrôle judiciaire, son pas- seport est confisqué, et il lui est interdit de parler de ses produits, de publier des articles scientifiques, de rencontrer des journalistes, d’as- sister à des colloques scientifiques, etc. On demande au couple Beljanski une caution de 350 000 francs. Mirko vend ses brevets à sa fille, avocate aux États-Unis, via Natural Source, pour payer sa caution. Il assura éga- lement ainsi la survivance de ses brevets. Parcours d’un combattant L’opération ISA 2, même si elle est un épisode déterminant dans la vie de Beljanski, parce qu’à sa suite le cher- cheur a déclaré une leucémie myé- loïde aiguë dont il décédera deux ans plus tard, n’a pas été le seul de ses obstacles. Elle a été précédée de sa mort en 1976. François Gros lui succédera jusqu’en 1981. En 1972, Mirko Beljanski et Pierre Manigault publient leur découverte sur la transcriptase inverse de l’ADN. En 1975-1976, Beljanski met au point l’Oncotest, qu’il présente en 1979. En mars 1978, Monique Beljanski (alors aide-chimiste et bactériologiste au CNRS), écœurée par la façon dont son mari est traité (on lui interdit l’accès à divers services), a une altercation avec Michel Goldberg, conseiller scientifique de l’Institut Pasteur. Le lendemain, l’accès à l’Institut Pasteur lui est interdit et Mirko Beljanski est sommé de quitter son laboratoire à la fin du mois. De 1978 à sa retraite professionnelle en 1988, Mirko Beljanski travaille au sein de la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, qu’il a rejointe avec une équipe de quatre personnes, dont son épouse. On met à leur disposition deux grandes salles, mais aucun crédit, si ce n’est les 3 000 francs annuels alloués par le CNRS. En 1980, Beljanski met au point un anticancéreux, le PB-100, issu du pao pereira. À partir de la fin de 1986, Beljanski poursuit ses travaux comme directeur scientifique du Centre de recherche biologique (CERBIOL), et il est président du Centre d’innovations, de recherches et d’informations scientifiques (CIRIS) à Saint-Prim dans l’Isère, des laboratoires privés créés pour son activité. Mirko Beljanski décède le 27 octobre 1998. Il laisse une œuvre importante recensée dans 133 publications scientifiques, la plupart dans des revues à comité de lecture. © The Beljanski Foundation, Inc. Mirko Beljanski à Châtenay-Malabry en 1982. R E C H E R C H E / C A N C E R NEXUS 96 44 janvier-février 2015 décennies de freins et d’empêche- ments qui ont commencé en 1953, à l’Institut Pasteur, quand Jacques Monod devint le supérieur direct de Beljanski. Que ce soit avec Monod ou avec François Gros, qui lui succédera en 1976, et qui est tristement célèbre pour son rôle actif dans l’affaire du sang contaminé2, Beljanski a affronté des restrictions de toutes sortes (en collaborateurs, en espace, en équipe- ment, en budget, etc.), mais aussi des intimidations, du chantage, des cam- pagnes de dénigrement, des mises en accusation, et ainsi de suite. Freiner sa recherche ne suffisait pas, il fal- lait aussi étouffer ses résultats ; pire, les faire disparaître. Le 7 août 1997, dans la conclusion de son procès-ver- bal de synthèse3, l’officier de police judiciaire Kentzinger écrit : « Il serait souhaitable que les dossiers médicaux saisis ainsi que les documents relatifs à ces essais, les courriers des malades, les fichiers (adhérents-malades) soient détruits pour éviter une réitération des faits, mais surtout pour garantir le secret médical et ainsi respecter la confidentia- lité de ces renseignements. » Alors que, comme le fait remarquer Monique Beljanski4, la fonction de cet officier de police est de veiller à la conserva- tion des preuves, lesquelles étaient constituées de documents fournis par les malades eux-mêmes, qui ne sont nullement tenus au secret médical. uploads/Science et Technologie/beljanski-nexus-96.pdf
Documents similaires










-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 23, 2021
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
- Taille du fichier 1.9615MB