YVES DELAGE - Membre de l'Académie. DISCOURS PRONONCÉ A L'INAUGURATION DU MONUM
YVES DELAGE - Membre de l'Académie. DISCOURS PRONONCÉ A L'INAUGURATION DU MONUMENT ÉLEVÉ A SA MÉMOIRE A ROSCOFF, FINISTÈRE, le dimanche 10 août 1924, par M. Louis_Joubin , Membre de l'Académie. MADAME, MESSIEURS, L'Académie des Sciences, en choisissant pour la représenter dans cette cérémonie, deux de ses membres qui furent les élèves et les amis d'Yves Delage, a voulu montrer avec quelle cordialité elle s'associe à l'hommage que nous rendons au grand naturaliste qui fit partie pendant près de vingt ans de la section de zoologie. Et si je prends ici la parole en son nom, c'est que j'ai le très grand honneur d'être, à l'Académie, le successeur à la fois d'Yves Delage et d'Henri de Lacaze Duthiers. Tout le passé de la Station de Roscoff se résume dans ces deux grands noms qui ont tant contribué à répandre l'influence de l'esprit français sur les sciences biologiques. Ce laboratoire, sorti de leur volonté patiente et tenace, ne ressemble plus guère, à celui où je débarquai, tout jeune étudiant, il .y a quelque quarante-cinq ans, de la diligence de Morlaix; il se réduisait alors à une maison louée de l'autre côté de la place, d'où M. de Lacaze guettait le moment propice pour obtenir la cession d'une vieille école, point de départ du laboratoire actuel. Je n'ai pas à vous redire toutes les discussions, les luttes, les combinaisons de toutes sortes, auxquelles notre vieux maitre se livra pour agrandir peu à peu son domaine et préparer le terrain sur lequel Yves Delage, démolissant les vieilles masures, construisant de nouveaux bâtiments, a réalisé cette station modèle où n'apparaissent plus aujourd'hui que de rares vestiges du noyau primitif. Tous les naturalistes français et étrangers qui depuis plus d'un demi-siècle y sont venus travailler ont, chaque année, constaté, une amélioration ou un progrès nouveau. C'est grâce à l'inlassable énergie d'Yves Delage, à ses démarches, toujours si pénibles lorsqu'il s'agit d'obtenir des crédits, à l'influence que sa grande réputation lui donnait dans le monde savant et près des pouvoirs publics, qu'il a pu réaliser patiemment le plan qu'il avait conçu; la mort a malheureusement arrêté le couronnement qu'il méditait pour son œuvre. Se souvenant, en effet, des années très dures de sa jeunesse, il avait commencé à réunir des sommes importantes et obtenu un terrain destiné à construire une maison pour les étudiants sans fortune. C'est ainsi que vous, jeunes naturalistes qui êtes réunis ici, vous avez désormais à votre disposition un merveilleux instrument de recherche: vous le devez aux efforts que nos maîtres ont accomplis aux dépens de leur repos, de leurs travaux personnels et aussi de leur santé, dans le but unique de vous procurer, à vous qui pour eux représentiez l'avenir, les moyens de faire rayonner à votre tour tour l'éclat de la science française qu'ils ont illustrée. C'est une dette que vous avez contractée envers eux et que vous ne renierez pas. Le savant que nous honorons aujourd'hui fut un professeur incomparable; ses élèves, les auditeurs de ses cours et de ses conférences de la Sorbonne, se souviennent encore avec admiration de ses leçons si claires, si précises, si magnifiquement illustrées, dont chaque mot portait. Nous avions recueilli et autographié, avec les moyens défectueux dont on disposait alors, son cours sur les Vertébrés. Il est malheureusement devenu introuvable. Il n'est pas possible en ce moment de vous présenter une analyse complète, même succincte, de l'oeuvre scientifique d'Yves Delage; il faudrait, tant elle est considérable, y consacrer un temps dont je ne dispose pas. Mais elle est tellement liée à l'existence même de ce laboratoire qu'il est juste et nécessaire d'en mettre en relief les points essentiels, en ce jour où nous saluons dans ce bronze les nobles traits de son visage que notre confrère, le grand artiste Sicard, a si magnifiquement fait revivre, dans cette maison encore toute pleine de son souvenir, dans cette station qui est presque complètement sienne, où sa gloire scientifique est née, a grandi et rayonné. Delage, disciple et préparateur de Lacaze Duthiers, ne pouvait faire autrement, à ses débuts, que de suivre les traditions zoologiques de son maître; il le fit d'ailleurs, comme vous le savez, avec le plus éclatant succès; mais il s'affranchit plus tard de cette discipline pour suivre une autre voie plus personnelle, et au Delage zoologue du début succéda bientôt le Delage biologue, que vous avez connu. En évoquant mes plus lointains souvenirs roscovites, je le vois au temps de, sa jeunesse exécuter ses travaux sur la circulation des Edriophtalmes dans la modeste chambre qui lui servait de laboratoire; quelques-uns de ses camarades admiraient l'adresse merveilleuse qui lui faisait réussir sur ces minimes Crustacés des opérations qui nous paraissaient impossibles même à tenter. Et par quels superbes dessins il reproduisait ensuite ses préparations. Ce mémoire, de tout premier ordre, lui valut à l'Académie, en 188l, le grand prix des sciences physiques. Quelle patience et quelle ingéniosité n'a-t-il pas déployées pendant plusieurs années pour aboutir à ses célèbres découvertes sur la Sacculine, auxquelles, depuis lors, on n'a rien eu à retoucher et très peu à ajouter. Quel modèle pour les jeunes naturalistes que cette impeccable méthode de travail où tout était médité et prévu, où rien ne fut jamais dû au hasard, où le moindre fait nouveau était surabondamment répété et contrôlé. Il faut l'avoir vu dans ses pérégrinations avec Marty, autour du laboratoire, en toutes saisons, par n'importe. quel temps, couché la loupe à la main sur la grève mouillée, à la recherche des petits animaux propres à ses expériences, pour comprendre toute l'énergie qu'il dépensa. Quelle joie le jour où il nous montra la fixation réalisée à volonté, après tant d'insuccès, de la larve de Sacculine sur le Crabe; ce fut une date mémorable pour la zoologie et la parasitologie. Il faudrait pour être complet parler ici de ses recherches sur les Schizopodes, sur le système nerveux du Peltogaster; mais il n'y attachait lui-même, à tort d'ailleurs, qu'une faible importance. Ne voulant pas se cantonner dans l'étude d'un seul groupe d'animaux. il abandonna les Crustacés pour entreprendre d'autres investigations. C'est ainsi que la science lui est redevable de la découverte du système nerveux des Convoluta dont on niait l'existence. C'est lui qui le premier a constaté expérimentalement dans un des bacs de cet aquarium, l'évolution du Leptocéphale en Congre, découverte fondamentale qui passa tout d'abord inaperçue, mais qui cependant a donné la clef des métamorphoses extraordinaires des poissons de la famille des Anguillidés. Passant d'un extrême à l'autre il publia une étude anatomique de première importance du Baleinoptère. Pour être agréable à M. de Lacaze Duthiers, il avait consenti à faire en collaboration avec lui, une monographie des Ascidies de la famille des Cintiadés ; il avait d'autant plus de mérite qu'il exécuta presque seul et avec le plus grand soin ce long travail de systématique qui était réellement en dehors de ses goûts et de ses recherches habituelles. Ses travaux sur l'embryogénie des Éponges ont complètement renouvelé les notions imprécises, inexactes et insuffisantes que l'on avait jusqu'alors sur cette importante question. C'est à lui que l'on doit la connaissance de cette inversion étonnante, si nouvelle en zoologie, de l'endoderme qui devient cutané et de l'ectoderme qui tapisse la cavité digestive au moment où la larve va se fixer. Toutes ces longues et minutieuses investigations auraient nécessité de fréquentes interruptions et de longues heures de repos complet. Delage le savait bien, mais trop confiant dans sa magnifique santé, il ne voulut jamais s'arrêter. Son esprit ne pouvait se passer d'un travail incessant et son délassement consistait à varier le champ de ses recherches. C'est ainsi qu'à titre de diversion il entreprit ses expériences sur les fonctions des otocystes de divers animaux invertébrés et des canaux semi-circulaires de l'oreille humaine. Ceux d'entre vous qui ne sont plus jeunes se souviennent de ces étranges appareils, installés au bout de l'ancien aquarium, qui donnaient à cette partie du laboratoire une pittoresque ressemblance avec une salle de torture: le torturé volontaire était Yves Delage qui expérimentait sur lui-même et analysait l'effet des mouvements les plus violents et les plus inconfortables sur son oreille interne, travail qui ne fut pas sans nuire gravement à sa santé. Mais il ne s'arrêtait pas à cette considération, car il était doué d'une force musculaire extraordinaire qui lui valait, pour d'autres raisons aussi, l'admiration et l'amitié des marins du port. Ces pénibles expériences le conduisirent à une conception toute nouvelle de la physiologie de l'oreille interne. Il conclut que les canaux semi-circulaires ne sont pas le siège de l'orientation, mais du sens des mouvements rotatoires du corps; ils fournissent la possibilité de l'équilibre. Ces travaux de physiologie expérimentale nous amènent à la seconde phase de la carrière scientifique d'Yves Delage. Délaissant la zoologie et l'anatomie proprement dites, il se tourna vers des recherches complètement différentes de biologie générale et de biomécanique. Delage, tout en terminant les travaux de zoologie pure qu'il avait entrepris, accumulait depuis longtemps des observations et des notes critiques sur les grandes théories de l'évolution et de uploads/Science et Technologie/delage-yves-1924-discours.pdf
Documents similaires










-
59
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 04, 2022
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2591MB