Actes. Société française d'histoire de l'art dentaire, 2006, 11 10 Résumé L'étu
Actes. Société française d'histoire de l'art dentaire, 2006, 11 10 Résumé L'étude du squelette et de la denture d'un nain de notre laboratoire d’anthropologie du Musée de l'Homme (Paris) a été très fructueuse. Son histoire étonnante nous a apporté suffisamment d'éléments pour nous permettre de proposer d'autres hypothèses explicatives à ses spécificités. Elles complètent l’explication principale généralement évoquée pour le nanisme harmonieux, un hypofonctionnement de l’hypophyse. Mots-clés : Bébé, Buffon, Boruwlaski, nain, nanisme hypophysaire, Nicolas Ferry, NMOSR, Lunéville Bébé, le nain de la cour de Stanislas Leczinski à Lunéville (XVIIIe siècle) Son histoire et celle de ses dents Abstract Bébé, Stanislas Leczinski’s dwarf in Lunéville (18th cen- tury). His history and teeth The study of the skeleton and the teeth of a dwarf held by our labo- ratory of anthropology located at the Musée de l'Homme (Paris) was very profitable. His astonishing story brought enough argu- ments to enable us to propose other explanatory assumptions with its specificities. They supplement the main explanation generally evoked that is an hypofunctional disease of the pituitary gland as the cause of the harmonious dwarfism. Keywords : Bébé, Buffon, Boruwlaski, dwarf, hypophysis dwarf- ism, Nicolas Ferry, NMOSR, Lunéville Jean GRANAT *, Évelyne PEYRE ** * Docteur en sciences odontologiques, membre associé Acadé- mie nationale de chirurgie dentaire, chercheur associé MNHN CNRS UMR 5198 et 5145 Histoire naturelle de l'Homme préhisto- rique (jgranat@noos.fr), Musée de l'Homme, Paris ** Docteur en paléontologie des vertébrés et paléontologie hu- maine, chargée de recherche CNRS, MNHN CNRS UMR 5145 Eco-anthropologie et ethnobiologie (peyre@mnhn.fr), Musée de l'Homme, Paris Bébé, un petit nain harmonieux Nous avons entrepris la première étude, à notre connais- sance, d’un nain dit « hypophysaire » de notre laboratoire au Musée de l’Homme (MNHN). Son squelette est re- constitué en position debout. Dans le registre des collec- tions, il est écrit qu'il avait vécu à Lunéville à la cour de Stanislas Leczinski (Leszczynski) et qu'on le surnommait « Bébé ». Étant harmonieux, ce nanisme ne pouvait être que d'origine hypophysaire. Nous avons trouvé de nombreux récits le concernant mais avec des contradictions fréquentes. Nicolas Ferry est né le 11 novembre 1741 à Champenay dans les Vosges (France). Ses parents, des paysans montagnards, sont très étonnés d'avoir un fils si petit (19 cm) et si léger (612 g). Alors qu'il avait 6 ans, Stanislas Leczinski, Roi de Polo- gne déchu, Duc de Lorraine et de Bar, demanda à le gar- der dans son château à Lunéville. Il lui porta une grande affection sans faille, et jusqu'à son dernier jour le couvrit de bontés. Il l’appelle Bébé créant ce nom pour la pre- mière fois dans la langue française, l'habille comme un prince, lui construit une calèche et une maison à sa taille. Nicolas devint très célèbre. J. Girardet, peintre attitré du roi de Pologne, a représenté Bébé avec un pourpoint et une culotte de couleur rouge (fig. 1A). Ce tableau fut détruit lors de l'incendie du mu- sée de Lunéville, le 2 janvier 2003. Stanislas, lui-même, avait réalisé un pastel (Musée Lorrain de Nancy, fig. 1B) d'après ce tableau en modifiant la couleur des habits en bleu. Nicolas était remarquablement proportionné, vif, gentil, gracieux et farceur, et aussi paresseux, jaloux, têtu et gourmand. Il est parfois décrit comme fruste, sans édu- cation, ne sachant ni lire ni écrire, mais en ce XVIIIe siè- cle, rares étaient ceux qui savaient lire. De nombreuses statuettes l’ont représenté; certaines sont au Musée Lor- rain de Nancy, mais beaucoup ont disparu. L’une des plus célèbres, en faïence, et le représentant grandeur nature en tenue de hussard polonais (fig. 2A), fut détruite dans l'in- cendie de 2003; les photographies du Studio Gabriel (Lunéville) en sont le témoignage. Une autre, en cire, grandeur nature (fig. 2B), était exposée au Musée Orfila (Paris) avec cette explication : Ferry, nain recueilli et élevé sous le nom de Bébé à la cour du roi Stanislas, qui en fit un de ses amusements. Ce nain est ici représenté avec ses habillements, qu'il a lui-même portés et usés peu de temps avant sa mort. Il pesait douze onces à sa naissance et acquit la taille de 70 centimètres. 367 g est une erreur, la plupart des textes notant une livre et quart à la naissance (612 g). La taille et le poids mentionnés avec cette statue sont erronés. Alors que Bébé coulait des jours heureux à Lunéville, le 2 décembre 1759, la comtesse Humiecska, parente de Sta- nislas, vient à la cour accompagnée d'un gentilhomme polonais, le nain Joseph Boruwlaski (Grzeskowiak A., 2004) qui a occupé des postes importants en Pologne et a vécu jusqu’à 98 ans. Intellectuellement, la différence Actes. Société française d'histoire de l'art dentaire, 2006, 11 11 Fig. 1. A. Bébé, peinture par Girardet (Musée Lunéville) B. Bébé pastel par Stanislas (Musée Lorrain Nancy) Fig. 2. A. Bébé, faïence (cliché studio Gabriel, Lunéville) B. Bébé, cire (Musée Orfila, photo J. Granat) A B A B Actes. Société française d'histoire de l'art dentaire, 2006, 11 12 avec Bébé était écrasante : le Polonais savait lire, écrire, compter et parlait trois langues dont la nôtre, son sens de la répartie et son intelligence sont légendaires. Boruwlas- ki, bien proportionné, rayonnait de vitalité. Âgé de 22 ans et haut de 75,6 cm, il était donc plus petit que Bébé qui avec ses 18 ans mesurait à cette époque 89 cm : Bébé, battu de près de 14 cm, ne le supportait pas et, dit-on, entrait dans des rages folles. G. Marchal relate dans ses Pages (2001-2005) que Stani- slas, en 1762, avait fiancé Bébé à une naine vosgienne, Thérèse Souvray. De son côté, A.-S. Guerrier (1818, 2003) rapporte que Bébé a voulu se marier deux fois, mais à chaque fois il fut éconduit. La seconde préten- dante, Barbe Sauvay, mesurait 90 cm. En fait, il s’agit de la même personne, Thérèse Souvray, qui vivait encore à 75 ans et se faisait appeler Madame Bébé. Pourtant, ils ne se sont pas épousés car Bébé meurt dans sa 23e année. Quelque temps auparavant, Bébé perd sa gaîté, devient irascible, violent et méchant et son allure est celle d'un vieillard voûté. Hors du château de Lunéville, on le sur- nomme « Le Nain Jaune », personnage cruel d'un des contes de fées de la Baronne d’Aulnoy (XVIIe siècle). Vers 1760, un nouveau jeu apparaît en Lorraine, le « Jeu du nain Bébé », qui deviendra le jeu du Nain jaune, jeu de cartes et de hasard, mêlé de stratégie (Theimer F., 2006). Trois articles méritent une attention particulière malgré quelques désaccords. A. Benoît (1884) produit une somme de documents concernant Bébé, notamment un inventaire des représentations graphiques et statuaires, qui mentionne les pièces disparues dans le premier incen- die du Château de Lunéville en 1871. Liégeais (1889), d’origine lorraine, s’intéressa à Bébé lors de ses études de médecine à Paris et de ses visites au Muséum national d’Histoire naturelle et au Musée d’Anatomie Orfila. Ses descriptions et ses remarques pertinentes nous ont beau- coup aidés dans nos recherches. Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1767), relate la réception des os de Bébé au Cabinet du Roy et décrit aussi les documents remis. Ainsi, le très célèbre Comte de Tressan, gouver- neur de Lorraine et Grand maréchal des Logis du Roy, fondateur de la Société royale des sciences, arts et belles- lettres de Nancy, courtisan assidu de Louis XV et de Sta- nislas (beau-père du roi) à Lunéville, a raconté la vie de Bébé. Celui-ci a contracté la variole à six mois, parlé à 18 mois, marché à 2 ans et a reçu jusqu’à 6 ans « éducation rustique et nourriture grossière », composée uniquement de légumes, lard et pommes de terre. Durant son pic pu- bertaire, il grandit de 11 cm, son caractère change forte- ment et la puberté produisit sur les organes de la généra- tion un trop grand effet qui causa le dépérissement du reste du corps […] Les forces commencèrent bientôt à s’épuiser, l’épine du dos se courba, les jambes s'affaibli- rent, une omoplate se déjeta, Bébé perdit la gaîté. Il prend l’allure d’un vieillard et meurt d’un rhume (grippe) à 22 ans. Sa Majesté Polonaise attentive au progrès de la science ordonna l'autopsie et de garder son squelette qui sera remis au Cabinet du Roy. […] M. Ronnow, Premier médecin du roi de Pologne, fit décharner les os et les mit dans une eau courante pour faire macérer les chairs puis les envoya par ordre de sa Majesté Polonaise au Cabinet du Roy. Le duché de Lorraine ne faisant pas partie de la France, c’est le Comte de Saint-Florentin, ministre de la Maison du Roy chargé des Affaires étrangères, qui en assura le transport, et Stanislas fit édifier un mausolée dans l'église des Minimes de Lunéville pour conserver ses viscères. Liégeais, à la recherche des praticiens de la dissection du corps de Bébé, identifie, dans les Mélanges de chirurgie, Constant Saucerotte assisté d'un autre chirurgien du Roy. Mais, Les Mélanges sont, en fait, de Nicolas Saucerotte (1801) et non uploads/Sante/ bebe-le-nain-de-la-cour-de-stanislas-leczinski-a-luneville-xviiie-siecle-son-histoire-et-celle-de-ses-dents.pdf
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- Publié le Dec 28, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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