L. Curtis P . Rey-Bellet M. C. G. Merlo INTRODUCTION La consommation de cannabi
L. Curtis P . Rey-Bellet M. C. G. Merlo INTRODUCTION La consommation de cannabis est une réalité de notre société. Il s’agit d’un toxique largement répandu, très utilisé et dont la consommation est croissante. L’évolution de son utilisation, sur- tout par les jeunes est particulièrement frappante. La Suisse se démarque depuis de nombreuses années, en Europe, comme l’un des pays avec la plus haute prévalence de consommation de cannabis. Selon l’étude ESPAD de 2003, 40% des écoliers suisses de seize ans ont déjà consommé du cannabis1 et comme dans de nombreux autres pays européens, cela représente une augmen- tation graduelle par rapport aux années précédentes. D’autres données suisses montrent également que l’âge de début de la consommation est de plus en plus précoce.2 Parallèlement, et peut-être plus que tout autre toxique psychotrope, le cannabis jouit d’une réputation de drogue «douce»,3 ce qui a tendance à ba- naliser son utilisation dans de nombreux esprits. En même temps, l’évolution de la plante commercialement disponible au consommateur semble s’orienter vers des produits de plus en plus concentrés au niveau de la substance active.4 Il s’agit donc d’une consommation de produits de plus en plus puissants par une proportion croissante de notre population, à des âges de plus en plus jeu- nes, cela avec une attitude de banalisation de cette drogue répandue. Cette évo- lution nous interpelle. Les conséquences potentielles sont nombreuses. On peut se poser la question, au niveau social, de son influence sur une nouvelle géné- ration par rapport à l’éducation ou le crime violent. Au niveau médical s’ajoutent les problématiques de la toxicodépendance ou de son impact sur la santé soma- tique (en particulier des ramifications pneumologiques ou oncologiques). Cet arti- cle se focalise sur une question d’ordre médical en tentant d’élucider la relation entre la consommation de cannabis et les troubles psychotiques. LA PHASE INITIALE DES TROUBLES PSYCHOTIQUES Les troubles psychotiques font partie des troubles psychiatriques les plus graves, entraînant une altération du lien à la réalité extérieure, de l’unité ainsi que de la continuité du moi. Cette grave crise de l’identité débute le plus sou- Cannabis and psychosis Cannabis is abused by a progressively larger and younger proportion of our population. For the clinician, this can raise the question of what the relationship between cannabis and psychosis is. For the patient who is already psychotic, this relationship is most certainly adverse; can- nabis worsens the symptoms and prognosis of a psychosis. What may be of even greater concern is the growing evidence that cannabis may cause psychosis in healthy individuals. Many studies now show a robust and consis- tent association between cannabis consump- tion and the ulterior development of psycho- sis. Furthermore, our better understanding of cannabis biology allows the proposal of a plausible hypothetical model, based notably on possible interactions between cannabis and dopaminergic neurotransmission. Rev Med Suisse 2006 ; 2 : 2099-103 Le cannabis est consommé par une proportion de plus en plus grande et jeune de la population. Pour le clinicien, cela remet au premier plan la question de la relation entre le cannabis et la psychose. Pour le patient déjà psychotique, cette relation est certainement néfaste; le cannabis aggrave la symptomatologie et le pro- nostic d’une psychose. Une évidence scientifique croissante montre une association robuste et cohérente entre la consom- mation de cannabis et le développement ultérieur des troubles psychotiques chez la personne saine. Par ailleurs, les progrès dans notre compréhension de la biologie du cannabis per- mettent de proposer un mécanisme hypothétique plausible, en se basant notamment sur les interactions possibles entre le cannabis et la neurotransmission dopaminergique. Cannabis et psychose mise au point 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 20 septembre 2006 Drs Logos Curtis et Philippe Rey-Bellet Dr Marco C. G. Merlo Département de psychiatrie, Programme JADE 67, rue de Lausanne, 1202 Genève marco.merlo@hcuge.ch Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 20 septembre 2006 2099 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 20 septembre 2006 0 vent durant l’adolescence et le jeune âge adulte. Dans cette phase initiale des troubles psychotiques, il n’est pas pos- sible de différencier le début d’un trouble schizophrénique d’un trouble de l’humeur ou d’autres troubles psychotiques sans cause organique. On parle alors plutôt de psychose débutante pour éviter soit de traumatiser le patient et son entourage par un lourd diagnostic, soit de banaliser un état psychique qui risque d’évoluer vers la chronicité.5 Les in- terventions thérapeutiques modernes ont intégré les ap- proches pharmacologiques et psychothérapeutiques, et permettent de renforcer les ressources psychiques et so- ciales des patients et de leur famille.6 Parallèlement, un grand effort est mis sur la réduction des facteurs de risque biologiques et psychosociaux. Sur la base du concept de la vulnérabilité au stress, on peut constater que la psychose est le résultat combiné de res- sources affaiblies et d’une prépondérance de facteurs de risque. Dans cette perspective, la psychose résulte de la perte d’équilibre entre facteurs de risque et facteurs de protection; elle se situe à la fin d’une évolution de longue durée avec une phase prémorbide, une phase prodromique et une phase psychotique. Cette dernière peut évoluer vers une psychose chronique, aboutir à une rémission partielle ou à une rémis- sion complète. On parle de troubles schizophréniques si la phase psychotique est prolongée (1 mois). ASSOCIA TION CANNABIS-PSYCHOSE Il y a une association indéniable entre la prise de can- nabis et la psychose. Pour l’instant, la nature de cette rela- tion reste à déterminer précisément et les données les plus probantes reposent sur les observations épidémiologiques. En même temps, notre compréhension de plus en plus fine de la biologie de la psychose et du système cannabi- noïde donne un meilleur contexte à ces études. Au niveau épidémiologique, on peut déjà différencier deux questions: 1) quel est l’effet du cannabis chez l’individu ayant déjà manifesté des symptômes psychotiques? et 2) quel rôle le cannabis pris avant une symptomatologie psychotique peut-il avoir sur le développement d’une psychose? Question 1:Quelle est l’influence du cannabis chez le patient psychotique? Cette question semble en ce moment avoir la réponse la plus claire. Nombre d’études confirment qu’en cas de psychose existante, une consommation même minime de cannabis a des effets néfastes.7,8 Dans la phase aiguë, elle aggrave les symptômes psychotiques, à savoir les idées délirantes, les hallucinations et la désorganisation de la pensée. Elle augmente le risque d’actes hétéro-agressifs et auto-agressifs et réduit, voire fait disparaître l’effet théra- peutique des médicaments antipsychotiques. Le cannabis a aussi un effet sur l’évolution à long terme de la psychose, avec des rechutes plus fréquentes et précoces.8 Pour le pronostic à long terme, un abus de cannabis augmente le risque d’évolution vers la chronicité et les troubles de com- portement avec des actes délictueux. La réinsertion sociale est plus difficile et l’entourage a plus de difficultés à soute- nir le malade. Pour éviter de revivre des expériences psy- chotiques angoissantes, certains jeunes patients parvien- nent à l’abstinence de cannabis, mais nombre de patients ne sont pas capables d’arrêter leur consommation; ils res- tent dans un état d’intoxication chronique et tombent simul- tanément dans la psychose et la toxicodépendance. Question 2:Quel est le rôle du cannabis dans le développement de la psychose? Une association entre la consommation de cannabis et le développement d’une psychose est encore un sujet débattu dans la littérature. Nombre d’auteurs suggèrent un lien causal: le cannabis précipiterait la psychose aussi chez le sujet sain. Les détracteurs de cette hypothèse arguent soit que cette association apparente résulte d’au- tres facteurs confondants, soit que le cannabis est utilisé comme automédication dans la phase prémorbide ou pro- dromique d’une psychose. Pour donner une idée de l’ap- préciation internationale actuelle de cette question, à la suite d’un débat à ce sujet à un congrès international sur la schizophrénie (XIIIth Biennal Winter Workshop on Schi- zophrenia Research, 2006), une large majorité des partici- pants ont indiqué par vote leur conviction qu’un lien causal existe. Cette association causale avait déjà été fortement sug- gérée par une très grande étude prospective sur quinze ans évaluant plus de 50000 recrues suédoises.9 Cette étude a montré un risque de développer une psychose en rela- tion dose dépendante avec la consommation de cannabis avant l’âge de dix-huit ans. Ce risque est statistiquement significatif même après correction pour plusieurs variables confondantes. Cette association a été mise en évidence par d’autres études par la suite, y compris après correction de différents facteurs. Une analyse groupée de plusieurs de ces études par Henquet et coll.10 conclut à un risque relatif de 2,1 (1,7-3,1, IC 95%) pour un consommateur de déve- lopper une psychose par rapport à un non-consommateur, ceci sur la base d’un total de plus de 100000 individus pris en compte. Au vu du grand nombre d’études et de l’am- pleur de l’effet, la plausibilité d’une association par facteurs confondants uniquement semble nettement diminuée. On peut aussi noter que plusieurs études confirment que l’âge de début d’une psychose est généralement plus précoce en cas de prise de cannabis.11,12 La thèse de l’utilisation de cannabis comme automédi- cation semble aussi moins probable selon uploads/Sante/ cannabis-et-psychose.pdf
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- Publié le Jul 09, 2022
- Catégorie Health / Santé
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