Sciences Sociales et Santé, Vol. 23, n° 2, juin 2005 Diagnostic prénatal de la
Sciences Sociales et Santé, Vol. 23, n° 2, juin 2005 Diagnostic prénatal de la drépanocytose et interruption médicale de grossesse chez les migrantes africaines Doris Bonnet* Résumé. Les médecins français recommandent aux femmes enceintes, ori- ginaires d’Afrique, le dépistage prénatal de la drépanocytose, maladie génétique à forte prévalence. Lorsqu’elles sont porteuses d’un enfant atteint d’une forme sévère de la maladie, une interruption médicale de grossesse (IMG) leur est proposée. La pratique de l’IMG, alors que les patientes vien- nent de pays dans lesquels l’avortement est interdit, et l’idée de mettre au monde un enfant handicapé, alors que leurs représentations de la maladie ne sont pas associées à un handicap, les confrontent à un autre modèle de santé. Dans ce contexte, la femme africaine expérimente les mesures nor- matives mais aussi émancipatrices de l’institution médicale. Mots-clés : diagnostic prénatal, drépanocytose, interruption médicale de grossesse, immigration, système de santé, Afrique. * Doris Bonnet, anthropologue IRD, Centre d’Études Africaines, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris, France ; e-mail : dorisbonnet@noos.fr Je remercie le Dr Mariane de Montalembert pour avoir favorisé mon introduction auprès des familles, pour avoir suivi avec intérêt l’évolution de mon travail, et pour ses lectures toujours attentives. Je remercie aussi les familles de la confiance qu’elles m’ont accordée au cours des entretiens à leur domicile. Je remercie également Laurent Vidal, anthropologue à l'IRD, et Agnès Guillaume, démographe à l’IRD, pour leurs commen- taires sur une première version de ce texte ainsi que les lecteurs anonymes de la revue. 50 DORIS BONNET En France, certaines maladies génétiques découvertes à l’occasion d’un diagnostic prénatal (DPN) conduisent les médecins à proposer aux femmes une interruption médicale de grossesse (IMG). Ces pratiques sont devenues courantes (Dumoulin, 2000 ; Haussaire-Niquet, 1998 ; Le Grand-Sébille, 2000 ; Memmi, 2003 ; Mirlesse, 2002 ; Vamos, 1999). Elles se justifient, selon les médecins et les associations de malades, par la qualité insuffisante de la prise en charge du handicap dans notre société. Même si, dans les faits, on observe de nombreuses tensions et négocia- tions entre les médecins et les familles (Bitouze, 2001), les uns et les autres s’accordent néanmoins sur le seuil de tolérance au handicap dans notre société, en dépit de l’épreuve qu’une interruption médicale de gros- sesse représente pour les femmes (Delaisi de Parseval, 1997). Une enquête réalisée auprès de familles immigrées africaines atteintes de drépanocytose, maladie génétique dont le dépistage est recom- mandé à toute femme enceinte, révèle certaines incompréhensions entre soignants et familles lorsque le dépistage fait apparaître une forme grave de la maladie et qu’il s’assortit d’une proposition d’IMG. Ces incompréhensions sont en grande partie attribuables à la confrontation des migrantes africaines à un nouveau modèle de santé, voire de société. D’une part, venant de pays dans lesquels le diagnostic est rarement réalisé et où les biotechnologies comme l’amniocentèse (1) n’existent pas, la plupart d’entre elles n’ont jamais été informées, en Afrique, de la possibilité d’un dépistage de cette maladie, ou même n’ont jamais entendu parlé de cette pathologie (Akinyanju et al., 1999). D’autre part, les familles ne perçoivent pas le fœtus (atteint d’une forme grave de la drépanocytose) dans le registre du handicap. L’avortement ne se justi- fie donc pas. L’IMG est alors vécue comme un fœticide à l’égard d’un enfant qui n’a, dans l’esprit des parents, aucune anomalie à éliminer (2). Il est même, bien souvent, un enfant désiré. Enfin, venant de pays dans lesquels l’IVG est une pratique illégale (d’un point de vue politique et d’un point de vue religieux) — même si elle est courante dans la clandestinité (Guillaume, 2003) —, la plupart des migrantes africaines appréhendent l’IMG comme une pratique sociale- ment interdite ou répréhensible. (1) Le diagnostic prénatal de la drépanocytose s’effectue par le recours à l’amniocen- tèse et non pas par l’échographie. (2) Les médecins utilisent, soit le terme d’« anomalie », soit bien celui de « déficit » lorsque le premier peut générer une confusion dans l’esprit des parents, au niveau des représentations de l’anormalité physique (ou organique). MIGRANTES, DRÉPANOCYTOSE ET IMG 51 L’enquête anthropologique réalisée à l’hôpital Necker-Enfants- Malades (3) a donc visé à explorer les représentations des femmes afri- caines à propos du DPN, et, en particulier, les causes de refus souvent imputées par le corps médial à des raisons religieuses. L’enquête a permis de faire valoir que la fréquentation de l’hôpital conduisait la femme à une autre façon de « penser » le corps (Marzano-Parisoli, 2002) : représenta- tion médicale de l’organisme, droit à l’IVG, accès aux biotechnologies (amniocentèse, greffe par le sang du cordon ombilical du dernier-né ou par la moelle osseuse d’un membre de la fratrie), accès à une carte de séjour par la déclaration d’une invalidité physique, etc. Dans ce contexte, l’accès à l’institution médicale est perçu à la fois comme un espoir libérateur (accès aux soins, à la guérison, à la parole individuelle, à la carte de séjour) et comme un lieu de contraintes (obliga- tion d’une observance aux traitements, soumission aux injonctions médi- cales de consultations régulières, nécessité de révéler ses projets de reproduction, de justifier ses refus de DPN, etc.). L’article se compose de trois parties. La première a pour objectif de définir rapidement la drépanocytose d’un point de vue médical car, bien qu’affectant en France plus d’enfants que la mucoviscidose, elle reste inconnue de nombreuses personnes et même de médecins français. Une deuxième partie présente l’explication médicale du diagnostic prénatal communiquée aux familles dans le cadre d’un conseil génétique d’un ser- vice de pédiatrie. Les exemples sont extraits des consultations médicales hospitalières. Enfin, une troisième partie se consacre à l’analyse des motifs de refus de ces normes médicales de la part des Africaines. Les données de cette dernière partie proviennent d’entretiens individuels ou familiaux au domicile des malades. (3) D’un point de vue méthodologique, notre recueil d’informations s’est effectué en deux temps, et s’est réparti sur deux lieux : d’une part, au cours de la consultation médicale en milieu hospitalier et, d’autre part, au domicile des familles dans la région parisienne. Du mois de septembre 1997 au mois de mai 1998, j'ai assisté à cent qua- rante-six consultations pour drépanocytose au service de pédiatrie de l'hôpital Necker- Enfants-Malades. La plupart des personnes s'exprimaient en français, exception faite pour une épouse sarakole dont les propos nous ont été traduits par son époux. Je me suis déplacée au domicile de vingt et une familles drépanocytaires originaires, pour neuf d'entre elles, d'Afrique centrale (deux familles camerounaises, six ex-zaïroises et une congolaise) et douze d'Afrique de l'Ouest (quatre ivoiriennes, trois maliennes, trois béninoises, une togolaise, une cap-verdienne). Le choix s'est fait selon la disponibilité des familles à me recevoir. II est, au demeurant, relativement représentatif de l'en- semble des consultations du service. 52 DORIS BONNET Qu’est-ce que la drépanocytose ? La drépanocytose est une maladie génétique à transmission autoso- mique récessive, qui atteint, en France, en majorité, les populations origi- naires des Antilles et d’Afrique subsaharienne (4). Il s’agit d’une anomalie d’un gène de l’hémoglobine (5) (molécule du sang transportant l’oxygène) pouvant provoquer des crises vaso-occlusives au niveau des globules rouges, crises quelquefois extrêmement douloureuses avec une enflure des pieds et des mains, en particulier chez l’enfant. Des infections bactériennes à répétition peuvent conduire à une aggravation de l’anémie accompagnée, dans certains cas, de nombreuses transfusions sanguines (susceptibles, en Afrique, de transmettre le VIH lorsque les banques de sang ne sont pas sécurisées). Les infections bactériennes représentent la première cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans (Triadou, 2004 : 99). Les crises peuvent aussi provoquer des ulcères, une déformation des os et divers infarctus, voire des accidents vasculaires cérébraux et neurosensoriels. Chez l’enfant, on observe aussi des douleurs abdominales, des atteintes pulmonaires, des priapismes et autres compli- cations. « La multiplicité des manifestations de la maladie et le décès pré- coce en l’absence de soins préventifs et curatifs appropriés, expliquent qu’elle fut tardivement identifiée par la médecine clinique (1910) et que, en Afrique même, elle n’apparaisse pas comme une entité définie dans la nosographie des tradithérapeutes jusqu’à une date récente » (Lainé, 2004 : 9). La compréhension de l’anomalie génétique, les nombreux essais pour agir sur la forme de la molécule dans les années soixante, n’ont pas permis pour autant la découverte d’une thérapie de la drépanocytose (Triadou, 2004 : 97). La prévention des crises par une prise en charge quo- tidienne du corps (bonne hygiène de vie, hydratation régulière, vaccina- (4) Même si la drépanocytose se rencontre également en Inde et au Moyen-Orient, seuls les enfants des femmes antillaises et originaires d’Afrique subsaharienne résidant en France sont dépistés à la naissance depuis 1990. (5) Selon le mode de transmission génétique autosomique récessif, il faut que les deux parents soient porteurs du gène et que l’enfant hérite des gènes de chacun de ses parents. Lorsque le sujet a deux gènes normaux, on parle d’hémoglobine « AA » ; le transmetteur (trice) de la maladie est classiquement drépanocytaire hétérozygote « AS » et porteur sain, le sujet atteint est appelé homozygote « SS ». D’autres gènes uploads/Sante/ diagnostic-prenatal-de-la-drepanocytose.pdf
Documents similaires










-
42
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 03, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
- Taille du fichier 0.2321MB