Économie de la santé 22 et âprement discuté et la place du marché va bien au-de

Économie de la santé 22 et âprement discuté et la place du marché va bien au-delà du jeu de l’offre et de la demande (Favereau, 2010). C’est pourquoi l’or- ganisation des chapitres suit un autre raisonnement. Nos chapitres empruntent une logique historique et thématique. On ne dira jamais assez l’importance de l’histoire pour la compréhension des phéno- mènes économiques. Dans cette perspective, nous proposons du pre- mier au dernier chapitre et à l’intérieur des chapitres de lire les faits et les théories à travers l’analyse d’une trajectoire historique. Notre logique est également thématique au sens où nous avons choisi de développer les chapitres autour de grands objets de santé : l’hôpital, les inégalités. Cette structure offre la possibilité de lire les chapitres indépendamment les uns des autres, des renvois réguliers permettant de situer où sont développés plus particulièrement tel ou tel point. Le premier chapitre propose une brève synthèse historique de la construction des systèmes de santé et de leur réforme. À l’échelle humaine, la prise en charge collective de la santé telle que nous la connaissons est très récente. Nous concentrant essentiellement sur ce qu’il se passe à partir de la fin du xixe siècle, nous montrons que l’histoire de la socialisation des systèmes de santé est avant tout le résultat de conflits sociaux. Les réformes que nous vivons depuis une trentaine d’années sont constitutives de cette histoire. Le deuxième chapitre est plus technique, mais pas moins poli- tique. Il s’agit de donner des éléments de connaissance sur la façon dont la statistique nationale et internationale compte les dépenses de santé. Les comparaisons entre pays constituent l’un des argu- ments massues pour justifier telle ou telle autre politique publique. On ne peut pas saisir les enjeux sans savoir précisément comment la dépense de santé est comptabilisée. Si les enjeux de quantification sont importants, nous développons aussi l’idée que la focalisation sur les dépenses de santé n’est pas neutre. Elle occulte, intentionnel- lement ou non, les contreparties de ces dépenses : la production de santé. Le troisième chapitre s’intéresse à l’un des acteurs majeurs du sys- tème de santé : l’hôpital. Celui-ci occupe une place centrale dans notre système de santé, mais aussi pour la population qui y est for- tement attachée. L’hôpital symbolise en effet le pacte républicain. international.scholarvox.com:None:889253867:88855458:160.176.184.25:1631801404 Introduction générale 23 Nous rappelons dans ce chapitre que cette place particulière est très récente et liée aux développements de la Sécurité sociale d’après- guerre. L’hôpital, qui était un mouroir ou un lieu de mise en quaran- taine, devient dans la deuxième moitié du xxe siècle le lieu du soin. C’est cette toute-puissance de l’hôpital que les réformes cherchent à remettre en cause à partir des années 1980. Au nom de l’efficience, l’organisation traditionnelle de l’hôpital est transformée pour res- sembler de plus en plus à une entreprise à la recherche de rentabilité, au péril des patients et des soignants. Le quatrième chapitre porte sur la régulation de la médecine non hospitalière, que l’on appelle médecine de ville. La particularité de cette médecine en France concerne sa dimension libérale. Comme dans les autres chapitres, nous proposons une lecture historique de la régulation de la médecine libérale. Nous montrons qu’après avoir été le socle de l’extension de l’accès aux soins, la raison budgétaire a sonné la fin de l’âge d’or libéral. Face aux difficultés financières et au nom de la qualité des soins, la puissance publique a préféré laisser de côté la régulation des prix (les honoraires) au profit d’une régulation des pratiques qui n’est peut-être pas sans danger. Si la population est très attachée à l’hôpital et, dans une moindre mesure, à la médecine libérale, le cinquième chapitre propose une analyse d’acteurs à la place plus ambiguë : les industries de la santé. La première des industries qui vient à l’esprit est l’industrie phar- maceutique. Son rôle crucial de producteur de médicaments la place dans une situation stratégique problématique pour les patients : il est difficile de remettre en cause cette industrie qui prospère trop souvent de façon jugée indécente. Ce chapitre se poursuit avec une analyse des assurances complémentaires santé qui profitent littérale- ment des désengagements de la Sécurité sociale et qui sont devenues incontournables dans le monde de la santé. Le sixième chapitre prend pour thème les inégalités dans le monde de la santé. Alors que l’on peut concevoir la santé comme un bien commun, la réalité de cet univers est l’inégalité. Comme nous l’avons déjà suggéré dans cette introduction, la maladie et la mort ne frappent pas de manière aveugle. Les plus pauvres sont les plus touchés, indépendamment de leur responsabilité individuelle. Or, international.scholarvox.com:None:889253867:88855458:160.176.184.25:1631801404 Économie de la santé 24 ces inégalités sociales de santé se doublent d’inégalités d’accès aux soins liées aux déserts médicaux, à l’inflation des prix des services et produits de santé et aux difficultés d’accès à une complémentaire santé bien couvrante. Le septième et dernier chapitre offre une forme de retour sur la perspective historique en proposant une clé de lecture des systèmes de santé à partir de l’analyse de l’évolution du capitalisme. D’un côté nous montrons que le secteur de la santé peut être considéré comme un nouveau marché pour les acteurs capitalistes, ce qui explique que la dynamique de privatisation ne soit pas contradictoire avec l’existence d’un État fort. D’un autre côté, nous soulignons l’impact néfaste du mode de production capitaliste sur la santé, notamment lorsqu’il justifie des politiques d’austérité ou lorsqu’il conduit à la hausse des inégalités. La conclusion de l’ouvrage revient sur les grands enjeux du sys- tème de santé et envisage d’autres façons de penser la réforme. Il est articulé autour de grands thèmes fondamentaux : la métamor- phose du travail médical et l’inhospitalité croissante de l’hôpital, la démocratie sanitaire et l’éviction du patient de la prise de décision, la révision de l’architecture du financement et la place à étoffer de la Sécurité sociale. international.scholarvox.com:None:889253867:88855458:160.176.184.25:1631801404 Chapitre 1 De la construction des systèmes de santé à leur réforme Ce premier chapitre a pour objectif de comprendre la logique qui a pré- sidé à la construction du système de santé français, mais également de le situer par rapport aux systèmes étrangers. Nous organiserons notre propos en trois temps. D’abord, nous verrons que la construction du système de soins est le résultat d’une histoire conflictuelle entre libéra- lisme et socialisation de la santé (1). Nous tenterons ensuite d’établir une typologie des systèmes de santé et de protection sociale, puis nous montrerons la spécificité du système français (2). Nous présenterons enfin, dans une perspective de politiques publiques, les deux phases qui divisent le xxe siècle : les années 1945-1980, marquées par l’émer- gence d’un discours favorable au développement du système de pro- tection sociale, et sa remise en cause des années 1980 à nos jours (3). 1. L’émergence d’un système de santé socialisé : une histoire conflictuelle La construction des systèmes de protection sociale et de santé est très largement conflictuelle et a opposé les partisans d’un État minimal international.scholarvox.com:None:889253867:88855458:160.176.184.25:1631801404 Économie de la santé 26 contre les interventionnistes ou bien les propriétaires des moyens de production contre la classe ouvrière. L’histoire des systèmes de santé est aussi celle de ces rapports de force, auxquels s’ajoute un acteur essentiel : les médecins. Il faut donc voir la construction du système de santé français comme le résultat d’une opposition dialectique entre les partisans de deux formes de systèmes de santé. Le premier serait laissé à la libre appréciation des individus, le second serait quant à lui plus ou moins socialisé, en particulier pour la prise en charge de la dépense de santé. Si la plus grande partie du XIXe siècle est carac- térisée par un système libéral et par le refus de toute aide de l’État (1.1), un premier tournant s’amorce autour des années 1890 avec la mise en œuvre de deux dispositifs d’assistance et d’assurance (1.2). La mise en place de la Sécurité sociale au sortir de la Seconde Guerre mondiale va favoriser le développement du système de santé (1.3). 1.1 Refus de la socialisation et développement d’un marché des soins (xixe siècle) Le XIXe siècle est marqué à la fois par le refus de l’État d’intervenir en matière sociale et une organisation fortement concurrentielle du secteur de la santé où les besoins des patients ne sont pas pris en compte. La philosophie libérale du XIXe siècle s’est principalement construite sur le refus du droit aux secours, élaboré sous la Révolution française. Elle prend appui sur le concept de droit naturel et prône une responsabilité des individus, assise sur la seule prévoyance indi- viduelle. Le refus d’une intervention de l’État en matière de justice sociale est justifié par exemple par Charles Duchâtel1. Il constate d’abord que le fossé entre les riches et les pauvres s’accroît, mais refuse toute forme d’aide légale et pense que seule la charité est en mesure de les rassembler. Charles Duchâtel (1829, p. 170) poursuit son dévelop- pement en tentant d’établir une théorie de la charité tenant « à la fois de la morale et de l’économie politique ». L’assistance uploads/Sante/ cour-de 1 .pdf

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  • Publié le Nov 21, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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