13 biologie Chapitre 10 Épidémiologie évolutive des maladies infectieuses F . D
13 biologie Chapitre 10 Épidémiologie évolutive des maladies infectieuses F . Débarre (a) et S. Gandon (a) 1. Introduction 00 2. Quelques exemples 00 3. Modélisation de l’épidémie 00 4. Modélisation de l’évolution du parasite 00 5. Modélisation de la coévolution hôte-parasite 00 6. Perspectives 00 a Centre d’Écologie Fonctionelle et Évolutive, UMR 5175, Équipe ECOGEV, 1919 route de Mende, 34293 Montpellier cedex 5, France biologie épidémiologie intégrative 14 1. Introduction Chaque hiver, la grippe fait son apparition en France. La vaccination contre le virus est recommandée pour les personnes « sensibles », pour limiter le nombre de malades et réduire l’intensité des infections (cf. Chapitre 11). Chaque année cependant, le vaccin contre la grippe doit être réactualisé selon les recommanda- tions de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Le virus de la grippe évolue en effet, et le vaccin de l’année précédente peut ne plus être efficace. Ceci est dû à la dérive antigénique (drift, en anglais) du virus, provoquée par des petits chan- gements génétiques, mineurs mais fréquents. Parfois, des modifications antigéni- ques plus importantes ont lieu, dues à des réarrangements (shifts, en anglais) entre différentes souches infectant un même hôte. Ces réarrangements sont à l’origine des grandes pandémies de grippe (Doherty et coll. 2006). L’exemple de la grippe illustre particulièrement bien les risques et les craintes asso- ciés à la dynamique des maladies infectieuses. Il est important de distinguer deux composantes dans cette dynamique. La dynamique épidémiologique caractérise la démographie de la maladie (le nombre de cas, la durée de l’épidémie, etc.). La dyna- mique évolutive se concentre elle sur les changements de la maladie, suite à l’appa- rition de nouvelles souches qui ont des propriétés différentes (virulence, transmis- sion, résistances aux médicaments ou aux vaccins, etc.). L’épidémiologie s’intéresse donc plutôt aux conséquences à court terme de l’épidémie, alors que l’évolution tente de comprendre et de prévoir les changements à plus long terme. Cette dicho- tomie est pourtant assez artificielle puisque ces deux processus interagissent l’un avec l’autre. L’exemple de la grippe illustre bien ce chevauchement entre dynamique écologique et dynamique évolutive. Pour comprendre l’épidémiologie, il est néces- saire de prendre en compte la dérive antigénique du virus et sa capacité à contour- ner les défenses immunitaires de l’hôte (cf. Chapitre 11 sur la phylodynamique de la grippe). Réciproquement, les recherches en écologie évolutive ont montré que les processus démographiques ont un impact majeur sur l’évolution (Roughgarden 1979). L’épidémiologie évolutive (ou l’écologie évolutive des maladies infectieuses) (cf. Encadré 1) tente de faire le lien entre ces deux disciplines et s’intéresse à la dynamique à court et long terme de la maladie. Ce Chapitre est une introduction à l’épidémiologie évolutive théorique. La théo- rie permet de formaliser les problèmes et les questions à l’aide de modèles mathé- matiques. Ces modèles ont deux intérêts principaux : (1) l’analyse mathématique permet de clarifier l’influence de multiples facteurs sur la dynamique de ces systè- mes à l’aide de concepts rigoureusement définis ; (2) les modèles permettent de générer des prédictions quantitatives potentiellement utiles pour la gestion des épidémies (Kao 2002). La modélisation est parfois la seule approche possible Chapitre 10 Épidémiologie évolutive des maladies infectieuses 15 pour explorer différents scénarios. Par exemple, seuls les modèles permettent d’évaluer l’impact de différentes politiques de santé publique sur la propagation de la grippe aviaire (Ferguson et coll. 2005, Ferguson et coll. 2006). Encadré 1 Émergence de l’épidémiologie évolutive Bien que l’essentiel de la théorie en épidémiologie ait été développé au début du XXe siècle, la notion d’évolution n’y a été introduite que tardivement. L ’un des pre- miers modèles d’épidémie a été formulé dès 1908 par Ross – aussi connu pour avoir mis en évidence le rôle de vecteur des moustiques dans la transmission du paludisme. En 1927 , Kermack et McKendrick publient ce qui va devenir un modèle de base en épidémiologie, le modèle SIR (cf. Chapitre 1). En revanche, ces modè- les, et ceux qui les suivent, ont une approche médicale, ciblée vers les populations humaines et sur la dynamique démographique : l’évolution du parasite (et a for- tiori de son hôte) n’est pas prise en compte. L ’évolution a commencé à être prise en compte en épidémiologie théorique au début des années 1980. C’est le concept de sélection de groupe qui a en particulier amené Levin et Pimentel (1981) à s’inté- resser à des modèles d’évolution de la virulence ; les travaux d’Anderson et May (1982) ont permis de clarifier la notion de dépendance entre la virulence (comprise en termes de pathogénicité) du parasite et sa transmission. Par la suite, de nom- breux auteurs issus de la biologie évolutive, de l’écologie et de l’épidémiologie se sont intéressé à la dynamique évolutive des maladies infectieuses (van Baalen & Sabelis 1995, Frank 1996, Dieckmann et coll. 1999). La Figure 10.1 illustre l’émer- gence récente mais spectaculaire de l’épidémiologie évolutive. Figure 10.1. Nombre d’articles référencés dans la base de données World of Knowledge et contenant les mots clés « epidemiology » AND « evolution » AND (model* OR theor*), en fonction de leur date de publication. Publications en épidémiologie évolutive théorique référencées dans World of Knowledge Après avoir présenté quelques exemples concrets d’évolution des parasites et de leurs hôtes, nous décrirons quelques modèles permettant de formaliser l’épidémio- logie, l’évolution et la coévolution des interactions entre les parasites et leurs hôtes. biologie épidémiologie intégrative 16 2. Quelques exemples 2.1 Évolution de la résistance aux traitements Le XXe siècle a vu une diminution importante du taux de mortalité dans le monde : l’utilisation massive d’antimicrobiens, et en particulier des antibiotiques, en est l’une des causes majeures. Cependant, l’émergence et la transmission de parasites résis- tants (i.e. des parasites pour lesquels le traitement n’est plus aussi efficace) est en train d’éroder les bénéfices associés à la plupart des traitements antimicrobiens (cf. Chapitre 9). En particulier, les résistances aux antibiotiques sont un problème de santé publique majeur. Il existe non seulement des bactéries multirésistantes – des bactéries résistant à plusieurs traitements à la fois – mais on découvre en paral- lèle de moins en moins rapidement de nouveaux antibiotiques (Heymann 2006). Le problème de l’évolution de pharmacorésistance se pose aussi dans le cas des virus, notamment pour le virus du Sida (Larder et Kemp 1989). À quoi ceci est-il dû ? L’administration d’un traitement provoque un changement des pressions de sélection. Le traitement est efficace contre les parasites sauvages. Si des parasites mutants, résistants au traitement, sont présents dans l’hôte, ils ont un avantage sélectif par rapport aux sensibles quand le traitement est administré. Le traitement sélectionne donc les parasites résistants. Mais si la capacité à résis- ter est coûteuse (i.e. en l’absence d’antibiotiques les parasites résistants se repro- duisent moins vite que les sensibles), l’issue de la compétition entre souches résis- tantes et sensibles est moins claire. Les modèles mathématiques peuvent être utilisés pour montrer comment les coûts sur les taux de reproduction du parasite ou sur la durée de l’infection peuvent affecter le succès de souches résistantes (Nowak et May 2000, Andersson, 2006, Débarre 2007). 2.2 Évolution de la virulence Un parasite, par définition, vit aux dépens de son hôte : il lui nuit mais a besoin de lui pour survivre. Plaçons-nous du point de vue du parasite : que vaut-il mieux faire ? Utiliser au maximum les ressources de l’hôte, devenir très virulent et le tuer rapidement, ou bien, au contraire, évoluer vers l’avirulence et maintenir son hôte plus longtemps en vie ? On comprend avec ce modèle verbal qu’un parasite qui tue trop vite tous ses hôtes est voué, à terme, à l’extinction. Suivant cette logique, tous les parasites devraient donc évoluer vers l’avirulence (Ewald 1994). Dans un système hôte-parasite, l’hôte aussi peut évoluer et influencer en retour l’évolution du parasite. Un exemple récent de lutte biologique a permis d’observer Chapitre 10 Épidémiologie évolutive des maladies infectieuses 17 FIG. 10.2 Évolution de la virulence des virus de la myxomatose en Australie, au cours du temps Les différents histogrammes indiquent la proportion de virus différents grades à différentes saisons (le grade I est le plus virulent). Données de Fenner et Fantini (1999). I II III IV V Proportion des virus testés Virulence (Grade) 1950-1951 1953-1954 1955-1956 1960-1961 1965-1966 1984-1985 I II III IV V I II III IV V I II III IV V Proportion des virus testés Virulence (Grade) 1950-1951 1953-1954 1955-1956 1960-1961 1965-1966 1984-1985 Avirulent Très virulent – à échelle de temps humaine – une coévolution entre hôte et parasite : il s’agit de l’introduction de la myxomatose en Australie, à partir des années 1950, pour lutter contre la prolifération des lapins. Les lapins avaient été introduits en Aus- tralie au milieu du XIXe siècle ; ils se répandirent rapidement dans tout le pays et furent bientôt considérés comme des nuisibles. Différentes mesures de contrôle de la population (incluant la chasse, l’empoisonnement, la destruction des terriers ou l’érection de clôtures) ayant échoué, une forme très virulente du virus de la myxomatose fut introduite au début des années 1950. Des souches de référence de uploads/Sante/ debarre-gandon-2008.pdf
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- Publié le Mai 04, 2021
- Catégorie Health / Santé
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