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D o s s i e r t h é m a t i q u e D o s s i e r t h é m a t i q u e 140 La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 5 - septembre-octobre 2008 L’addiction au travail Workaholism •• F. Limosin* SUMMARY ▶ ▶ Workaholism is considered a behavioral addiction or a “without substance” addiction. Workaholic subjects have a compulsive and unrelenting need to work. The incessant work-related acti­ vity often masks low self-esteem, with a compulsive drive to gain approval and success from work. Workaholism may also result from a combination of high job involvement with an obsessive- compulsive personality. And as with addictions to alcohol, drugs or gambling, workaholics’ denial and destructive behavior will persist despite feedback from loved ones or danger signs such as deteriorating relationships. There is frequently a negative impact on family and friends who eventually leave unfulfilling relationships. Cognitive-behavioral therapy has been effectively used to treat workaholic patients. Keywords: Workaholism – Job involvement – Psychology. “addictions sans drogues” , les conduites de dépendance à un comportement qui, par sa répétition, échappant au contrôle, peut être à l’origine de conséquences négatives, qu’elles soient psychologiques, financières ou relationnelles (1). Les principaux sous-types cliniques d’addictions comportementales sont : le jeu pathologique, les achats compulsifs, l’addiction sexuelle, les addictions au sport et au travail, que nous allons évoquer plus en détail. Ces comportements, impulsifs et compulsifs, ne sont néanmoins pas considérés par tous comme de nature purement addictive, certains jugeant qu’ils appartiennent davantage au spectre des troubles obsessionnels compulsifs, d’autres qu’ils relèvent d’un trouble du contrôle des impulsions. Les classifica­ tions diagnostiques internationales ont, par défaut plus que par choix idéologique, opté pour cette dernière hypothèse. Ainsi la Classification internationale des maladies, dixième version (CIM-10) de l’OMS (2) ne répertorie pas spécifiquement l’ad­ diction au travail, qui peut néanmoins être classée dans la catégorie “Troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte” , rubrique “Autres troubles des habitudes et des impulsions” , au même titre que le trouble explosif intermittent, le jeu pathologique, la pyromanie ou la trichotil­ lomanie. Il en est de même dans le DSM-IV-TR de l’American Psychiatric Association (3), la rubrique correspondante étant celle des “Troubles du contrôle des impulsions” . * Pôle de Psychiatrie des adultes, CHU Robert-Debré, Reims. Points forts ▶ ▶ L’addiction au travail, dénommée workaholism par les Anglo- Saxons, appartient au champ des addictions comportemen­ tales ou addictions “sans drogues”. Il s’agit d’un investissement excessif dans les activités pro­ fessionnelles, s’accompagnant d’une présence abusive sur le lieu de travail et/ou de la recherche frénétique de la perfor­ mance ou de la productivité, à l’origine d’une négligence ou d’un désintérêt pour les autres domaines de la vie (famille, repos, loisirs, etc.). Au stade d’épuisement professionnel, ou burnout, le reten­ tissement est global, social et individuel, avec des répercus­ sions psychologiques et physiques. Peuvent alors survenir d’authentiques symptômes dépressifs, un sentiment de déva­ lorisation, un émoussement des affects et une majoration des troubles du sommeil. Les facteurs de risque sont multiples, qu’ils soient liés au contexte professionnel en lui-même ou aux caractéristiques psychologiques du sujet. Les sujets souffrant d’addiction au travail présentent fréquem­ ment une faiblesse de l’estime de soi à l’origine d’une quête de reconnaissance, de succès, auxquels le travail peut faire accéder, ainsi que des dimensions de personnalité obsessionnelle. Le traitement de l’addiction au travail repose essentiellement sur une approche cognitivo-comportementale. Mots-clés : Addiction au travail – Investissement au travail – Facteurs psychologiques. D epuis une vingtaine d’années, le concept d’addiction s’est progressivement étendu, interrogeant les mécanismes étiopathogéniques communs sous-jacents, et confron­ tant le clinicien à la question de ses limites nosographiques. À côté des dépendances aux substances psychoactives, on regroupe sous le terme d’addictions comportementales, ou D o s s i e r t h é m a t i q u e D o s s i e r t h é m a t i q u e 141 La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 5 - septembre-octobre 2008 Émergence et dÉfinition du concept Le terme anglo-saxon workaholism a été introduit par W. Oates en 1971 (1). En France, même si certains auteurs utilisent le terme présentéisme, par opposition à “l’absentéisme profes­ sionnel” , la dénomination la plus usitée est celle d’“addiction au travail” . L’addiction au travail correspond à un investissement excessif dans les activités professionnelles, associé à une présence abusive sur son lieu de travail et/ou à la recherche frénétique de la performance ou de la productivité, à l’origine d’une négli­ gence ou d’un désintérêt pour les autres domaines de la vie (4). Le sujet accorde toujours plus de temps et d’énergie à son travail, négligeant sa famille et réduisant le temps consacré au repos et aux loisirs. Ce comportement est à l’origine de stress, de surmenage, voire de pression sur les collaborateurs ou de harcèlement professionnel à leur encontre (5). Les principales caractéristiques de l’addiction au travail sont les suivantes (6, 7) : hyperactivité ; ✓ ✓ esprit de compétition et de défi ; ✓ ✓ désir intense de satisfaction professionnelle ; ✓ ✓ culte de l’entreprise et du travail ; ✓ ✓ relation difficile avec les loisirs ; ✓ ✓  détente difficile pendant les vacances et les week-ends ✓ ✓ ­ (fréquemment associée au fait d’apporter du travail sur le lieu même des vacances) ; négligence de la vie familiale ; ✓ ✓ manifestations de stress liées au travail. ✓ ✓ Sur le plan évolutif, trois stades successifs sont décrits : dans un premier temps, on constate un allongement progres­ ✓ ✓ sif du temps consacré au travail, au-delà des horaires habituels, associé à une réticence à bénéficier de ses congés ; le deuxième stade correspond à la survenue d’un reten­ ✓ ✓ tissement significatif sur la vie familiale, avec évitement des moments de loisirs et apparition de fatigue et de troubles du sommeil ; enfin, au stade d’épuisement professionnel ou “ ✓ ✓ burnout” , le retentissement est global, social et individuel, avec des réper­ cussions psychologiques et physiques. C’est à ce stade, qui pourrait toucher jusqu’à 5 à 10 % des salariés, que peuvent survenir d’authentiques symptômes dépressifs, avec sentiment de dévalorisation, émoussement des affects, majoration des troubles du sommeil et de l’appétit (8). Les complications soma­ tiques, notamment cardiovasculaires, peuvent être illustrées par l’exemple du Karoshi au Japon (encadré 1). Des facteurs de risque multiples Certains types d’emplois, certains niveaux de responsabilité sont plus à risque d’exposer le sujet à une addiction au travail (9). Pour S.A. Hewlett et C.B. Luce (10), les principales carac­ téristiques d’un travail “à risque” sont : l’imprévisibilité de la charge de travail ; ✓ ✓ la nécessité de travailler dans l’urgence pour respecter des ✓ ✓ délais ; un champ de responsabilité très étendu, correspondant à ✓ ✓ plusieurs postes ; les impératifs professionnels en dehors des horaires classi­ ✓ ✓ ques de travail (soirs, week-ends, etc.) ; une disponibilité pour la clientèle 7 jours sur 7 ; ✓ ✓ une responsabilité engagée dans les profits et les pertes de ✓ ✓ l’entreprise ; une responsabilité dans le recrutement et le management ✓ ✓ de nouveaux employés ; des déplacements professionnels nombreux et/ou de lon­ ✓ ✓ gues durées ; la nécessité de rédiger et/ou de présenter fréquemment des ✓ ✓ rapports d’activité ; la présence physique sur le lieu de travail au moins 10 heu­ ✓ ✓ res par jour. Les principaux arguments mis en avant par les sujets pour justifier leur engagement volontaire dans ce type d’activité professionnelle sont : le caractère stimulant du travail et la notion de défi professionnel, la richesse des échanges entre collègues, un salaire élevé, la reconnaissance, le pouvoir et le statut social. Outre des caractéristiques propres aux conditions de travail, certains paramètres liés au sujet constituent d’autres facteurs de risque : être plus âgé, être au sein de l’entreprise depuis longtemps, avoir une famille. De fait, les jeunes travailleurs, célibataires et sans enfant, semblent naturellement “protégés” ou, plus exactement, moins exposés à une perturbation secon­ daire de leur vie relationnelle et familiale. En revanche, les femmes semblent elles aussi concernées par l’addiction au travail, même si elles sont moins nombreuses (2 à 3 fois moins de femmes occupent un poste correspondant à un emploi “à Le karoshi est un terme japonais signifiant “mort par excès de travail”. Il désigne la mort subite suite à une charge de travail trop importante et à un temps de sommeil insuffisant. Le terme a été introduit par trois médecins japonais (M. Hosokawa, S. Tajiri et T. Uehata) dans un ouvrage publié en 1982 pour désigner un ensemble de troubles cardiovas­ culaires associés à un temps de travail excessif (18). Plusieurs hypothèses ont été proposées pour rendre compte du lien entre l’excès de temps consacré au travail et ces conséquences cardiovasculaires : élévation chronique de la tension artérielle et du rythme cardiaque, privation de sommeil, fatigue chronique et mauvaise hygiène de vie (19). uploads/Sante/ dossier-la-lettre-du-psychiatre-2008.pdf

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  • Publié le Jul 30, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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