14 | Migros Magazine 18, 2 mai 2011 Et les jumeaux envahirent En une quarantain

14 | Migros Magazine 18, 2 mai 2011 Et les jumeaux envahirent En une quarantaine d’années, le nombre de naissances multiples a explosé. Les raisons? L’âge plus avancé des mères ainsi que la procréation médicalement assistée. Des spécialistes du CHUV expliquent le phénomène et trois familles romandes racontent. R ien que dans notre immeu- ble, il y a trois paires de ju- meaux, s’exclament les Gene- vois Céline Forney et Swen Kan- duth. En août dernier, ils ont eux- mêmesdonnélejouràdeuxpetites filles, Zoé et Naomi (lire encadré). Parmi leurs proches, plusieurs couples ont connu la même expé- rience. Et dans la rue, ils ne peu- vent s’empêcher de remarquer une présence très nette de poussettes doubles. Les statistiques sont catégori- ques:depuisunequarantained’an- nées, le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter. Alors qu’en 1970 on ne comptait que 898 nais- sances gémellaires, 2009 a vu ce chiffre grimper jusqu’à 1415 (lire statistiques). A noter que le phéno- mène s’observe dans la plupart des paysdéveloppés,ainsiquelerelève Gilles Pison, directeur de recher- ches à l’Institut national d’études démographiquesenFrance.Lesrai- sons de ce boom? L’évolution de l’âgedelamère.«Ellesonttendance à mettre au monde leurs bébés de plus en plus tard», explique le pro- fesseur Patrick Hohlfeld, chef du Département de gynécologie-obs- tétrique-génétique du CHUV, qui rappelle que le nombre de femmes qui deviennent mères après 35 ans a triplé depuis 1970. Or, des études ont clairement établi que les 30-39 mettaient au monde davantage de faux jumeaux – ou jumeaux dizygotes, issus de deux ovules différents, par opposi- tion aux vrais jumeaux ou mono- zygotes – que les 20-29 ans. La faute à l’hormone folliculo-stimu- lante, «qui permet chaque mois la maturation de l’ovule et dont la sé- crétion subit des irrégulari- téslorsqu’onavanceenâge», En 2009, 1415 jumeaux sont nés en Suisse contre seulement 898 en 1970. Les naissances de jumeaux en chiffres Accouchements doubles selon l’âge de la mère, de 1970 à 2008 Pour 1000 accouchements au total 7,0 6,0 5,0 4,0 3,0 2,0 1,0 0,0 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 moins de 20 ans 25-29 35-39 20-24 30-34 40-44 Source: BEVNAT, Office fédéral de la statistique RÉCITSOCIÉTÉ | 15 la planète... «Quand je voyais des mamans avec un seul bébé, il me semblait qu’il leur manquait quelque chose...» ➔Les parents: Céline Forney, 32 ans, inspectrice du travail à l’Etat de Genève, et Swen Kanduth, 33 ans, délégué de vente chez Qatar Airways. ➔Les enfants: Naomi et Zoé, nées le 15 août 2010, fausses jumelles. «Des amis venaient d’avoir des jumelles, mais on croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres!» Et pourtant, sur l’écran de la première échographie, pas de doute, ce sont bien deux bébés que Céline Forney et Swen Kanduth aperçoivent. «Au début, bien sûr, nous étions sous le choc, raconte Céline. Nous n’avions eu recours à aucun traitement. En revanche, nous avons réalisé après coup qu’il y avait plusieurs paires de jumeaux dans nos familles...» Une fois le premier effet de surprise passé, le jeune couple commence à s’organiser.» Il apparaît bien vite évident que leur trois pièces genevois ne sera pas suffisant pour accueillir deux nourris- sons. Idem pour la voiture: leur trois portes ne fera plus l’affaire après la naissance des petites, il faut la remplacer... Question budget, voilà qui change beaucoup la donne. La situation se complique encore dix semaines avant l’accouchement: Céline doit rester alitée, Swen assure donc seul l’aménagement dans le nouvel appartement. Un mois avec le terme prévu, Naomi et Zoé font leur arrivée, par césarien- ne. «Mes petits bouts de chou, sourit Céline. Je me suis très vite habituée à en avoir deux. A la mater- nité, quand je voyais des mamans avec qu’un seul bébé, il me semblait qu’il leur manquait quelque chose.» Le retour à la maison se passe sans trop d’encombres, même si les jeunes parents reconnaissent avoir été très stressés. Et épuisés. «La nuit, elles se réveillaient l’une après l’autre», raconte Swen. Même son de cloche chez Céline: «J’avais l’impression que je passais mes journées à allaiter!» Heureusement, la famille de Céline est là pour lui prêter main- forte lorsque Swen reprend le travail: «Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans eux! Imaginez l’organisation, ne serait-ce que pour sortir de la maison en hiver: l’une des jumelles passait facilement 10 minutes tout habillée dans la poussette avant que j’aie fini de préparer l’autre!» Quant au jeune papa, à peine le seuil de la porte passée au retour de boulot, il se retrouve avec un bébé dans les bras. «Nous nous sommes souvent demandé comment les parents de triplés faisaient...» Plus les mois passent, plus la situation s’améliore. «Aujourd’hui, elles font leurs nuits, elles sont plus synchrones. Et depuis qu’elles se tiennent assises, ma vie a changé», s’amuse Céline. Voilà quelques semaines qu’elle a repris le travail, à 60%, sa famille assurant la garde des jumelles. Si Céline et Swen semblent comblés de la présence de Naomi et Zoé, ils hésitent encore à avoir un troisième enfant: «On verra bien. Et puis, on redoute quand même un peu d’avoir une deuxième paire de jumeaux!» Swen Kanduth, Céline Forney et leurs deux jumelles Naomi et Zoé. 16 | Migros Magazine 18, 2 mai 2011 Nombre total de naissances en Suisse «Nous avons pris avec beaucoup de philosophie le fait d’attendre des jumeaux» ➔Les parents: Nathalie Lauter, 41 ans, employée de commerce, et Michel Lauter, 56 ans, employé administratif à la Ville de Genève. ➔Les enfants: Jennifer et Kevin, nés le 12 novembre 2009, faux jumeaux. C’est à l’issue d’une insémination artificielle que Nathalie s’est retrouvée enceinte de jumeaux. «C’était notre quatrième tentative, raconte-t-elle. Sans vraiment en parler, nous en étions arrivés à la même conclusion: c’était la dernière fois que nous es- sayions...» Tous deux divorcés, ils se sont rencontrés sur le tard, alors que Michel avait déjà des enfants. «En plus, je m’étais fait stériliser, explique-t-il. J’ai dû passer deux fois sur le billard pour qu’ils récupèrent suffisamment de spermatozoïdes.» Pour avoir un bébé, leur seule solution restait donc la procréation assistée. Le choc en apprenant qu’il s’agissait de jumeaux? «Pas vraiment, assure Michel. Avec ce genre de traitement, c’est assez courant. Et puis, j’avais un pressentiment...» Et Nathalie de renchérir: «Nous avions tellement désiré un enfant! Nous étions simplement heureux que ça ait fonctionné.» Le médecin les met pourtant tout de suite en garde: il est bien possible que le deuxième bébé n’arrive pas à terme. Là encore, ils prennent les choses avec philosophie: «J’ai dit au médecin: si nous n’en avons qu’un, c’est très bien, s’ils sont deux, c’est encore mieux», se souvient Nathalie. La grossesse se déroule finale- ment à merveille, l’accouchement également. Idem pour le retour à la maison. «Nous sommes restés très zen. Il faut dire que c’était des bébés faciles, ils dormaient bien, mangeaient bien.» Après une semaine de congé, Michel reprend le travail et retrouve avec joie sa famille les soirs et les week-ends. «Bien sûr, c’était fatigant, mais pas vraiment plus qu’avec un seul enfant. Il faut juste tout faire à double.» Lorsque Nathalie retrouve à son tour le chemin du travail - à 50% – elle peut compter sur sa maman, «encore suffisamment en forme!» pour s’occuper des jumeaux. souligne le Dr Dorothea Wunder, chef de l’Unité de médecine de la reproduction au CHUV. Deuxième explication: le re- cours de plus en plus fréquent à la procréation médicalement assistée (6281femmesen2009contre3467 en 2002). «Lors d’une fécondation in vitro, on réimplante en principe deux embryons, le maximum légal en Suisse s’élevant à trois, explique Patrick Hohlfeld. On augmente ainsi les chances de succès, mais égalementlesrisquesdegrossesses multiples.» Suite aux traitements Ainsi, en 2009, près d’un tiers des enfants nés à l’issue d’un traite- ment étaient des jumeaux. «On ne tient en revanche aucun registre des résultats obtenus par la stimu- lation ovarienne», relève Doro- thea Wunder. Il s’agit d’un traite- ment hormonal qui permet d’ac- croître le nombre d’ovules pouvant être fécondés par des spermatozoï- des.» Et son collègue d’ajouter: «Il est donc important que la patiente soit suivie de près: si on remarque une grande quantité d’ovules, on lui recommandera d’éviter les rap- ports.» Impossible toutefois de contrôler à 100% le dénouement. Doit-on alors s’attendre à être bientôt envahis par les jumeaux? Le critère de l’hérédité entrant en ligne de compte – «On compte souvent plusieurs paires de ju- meaux dizygotes au sein d’une même famille», confirme Patrick Hohlfeld – le phénomène des naissances multiples va-t-il pren- dre encore davantage d’ampleur au cours des prochaines années? «Il est impossible de prédire l’ave- nir, temporise le professeur du CHUV. Mais effectivement, en re- gard de la courbe de l’âge des mè- res depuis quarante ans, il y a de fortes chances que la tendance se poursuive.» Et du côté des parents, com- ment se débrouille-t-on? Pas trop dépassés par l’arrivage pluriel d’en- fantsdanslequotidien?Aencroire les témoignages recueillis, ce qui prime avant tout, bien au-delà des soucis logistiques, c’est le bonheur d’accueillir ces nouveaux petits bouts de chou à la maison… Tania Araman Photos Julien Gregorio et Isabelle uploads/Sante/ et-les-jumeaux-envahirent.pdf

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  • Publié le Oct 06, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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