Il y a cinquante ans naissait la streptomycine* par Jacques GONZALES ** Il y a

Il y a cinquante ans naissait la streptomycine* par Jacques GONZALES ** Il y a cinquante ans, tout sujet atteint d'une méningite tuberculeuse était condamné à mourir en quinze jours à trois semaines. Cette maladie terrorisait d'autant plus l es familles qu'elle touchait bien souvent de jeunes enfants. En janvier 1944 Selman Abraham Waksman et ses assistants Albert Schatz et Elizabeth Bugie publiaient le s premiers résultats de leurs travaux sur une substance naturelle qui inhibait la vi e des bactéries, un "antibiotique" comme l'appelait Waksman (1). Cet antibiotique, la streptomycine, semblait actif sur les bactéries gram positif mais aussi sur les gram négatif, eux qui résistaient à la pénicilline. Cette substance allait rapidement apparaître efficace aussi sur le bacille de la tuberculose, cette "peste blanche" comme l'a écrit René Dubos (2), qui constituait un des fléaux de l'humanité depuis des millénaires et avait surtout sévi au XIXe siècle dans les milieux ouvriers, avec l'ess or de l'industrie. Durant l'été 1941, deux Anglais, H.W. Florey et D. Heatley débarquaient aux Etats- Unis avec dans leurs bagages des échantillons d'une moisissure, le Pénicillium nota- tum, source de la fameuse pénicilline découverte par Alexander Fleming en 1928 mais purifiée seulement en 1940, par Boris Chain (3). L'Angleterre alors en pleine guer re était anéantie économiquement sous les bombardements incessants et ne pouvait pas assurer l'industrialisation de la pénicilline, un médicament qui, dès le début de son ut ilisation clinique, avait fait preuve de vertus extraordinaires dans la lutte contre l'inf ection. Le 1er juin 1943, dans l'Hôtel Pennsylvania de New York, un petit groupe était réuni autour de William C. White, le président de l'Association américaine contre la tuberculose pour discuter des nouvelles chimiothérapies anti-infectieuses, à la suit e en particulier des succès retentissants de la pénicilline ; en même temps il était fait, av ec amertume, le constat que la pénicilline était sans effet sur le BK. Un groupe de che rcheurs de Washington dont D.W. Nicolson avançait l'idée que certains vers de terre possédaient des enzymes dans leur tube digestif capables d'attaquer le BK. Waksman invité pour cette séance de travail récusait fermement cette voie de recherche en ajou tant (4) : "The antibiotics will do it. Just give us time". * Communication présentée à la séance du 23 octobre 1993 de la Société française d'Histoire d la Médecine. ** Biologie de la reproduction, Hôpital Pitié-Salpêtrière, 83 bd de l'Hôpital, 75651 Paris cedex 13. HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - TOME XXVIII - .3 - 1994 239 Waksman né en Ukraine, avait émigré aux Etats-Unis à la fin de son adolescence pour y poursuivre ses études. Le docteur Jacob Lipman, un immigrant russe lui auss i, lui avait conseillé alors de ne pas entreprendre des études de médecine et de suivre p lutôt un programme d'études agricoles. C'est ainsi que Waksman devenait un chercheur dont la notoriété dans la connaissance des moisissures contenues dans le sol allait rapidement devenir incontestée. Il travaillait comme responsable du département microbiologique à la station expérimen tale d'agriculture de New Jersey au sein de l'université de Rutgers, dans le New Brunswick. Vers 1940, comme René Dubos qui avait isolé, lui, la tyrothricine. Waksman avait la conviction que le sol contenait des substances capables de dégrad er toutes les substances organiques et en particulier les micro-organismes pathogènes . Waksman poursuivait inlassablement son analyse microbiologique des sols avec l'aide de M. Welsch, Boyd Woodruff, H. Robinson, Elizabeth S. Horning, Doris Jon es, H. Christine Reilly, D.B. Johnstone, O.E. Graessle, Dorothy R. Smith, puis de Sc hatz et Bugie. Le 20 août 1943, était isolé du gosier d'un poulet malade un nouvel Actinomyces, YActinomyces griseus qui sera retrouvé plus tard dans des prélèvements de sols. A part ir de ces cultures un antibiotique assez stable était finalement obtenu, une substanc e qui contrecarrait le développement de germes gram négatifs comme les bacilles typhiques, les entérobactéries, les bacilles coli, qui résistaient tous à la pénicilline. Hasard ou non, ces deux souches se révéleront identiques à celle d'une culture isolée par Waksman et R. Curtis, dès 1916 et conservée jusqu'alors à la station de New Jersey (5). Streptomyces était le terme proposé par Waksman et A.T. Henrici en 1943 pour désigner l'ensemble des actinomycètes aérobies ; de là allait naître le nom de streptomycine (6). Ce qui devait faire de Waksman un Prix Nobel en 1952, ce fut la découverte que la streptomycine constituait une arme efficace contre la tuberculose, en particulie r la méningite, ce qui n'était pas prévisible même si dans l'article publié en janvier 1944 il était fait état de son effet inhibant la croissance de Mycobacterium tuberculosis ce qu'allait confirmer Waksman, quelques mois plus tard, dans un deuxième article. Au cours d'essais cliniques bien conduits, il avait été remarqué par Feldman et Hinshaw, en traitant un malade par la streptomycine administrée pour une infection urinaire à E. coli, que sa tuberculose pulmonaire associée avait été étonnamment améliorée. Au cours de l'été 1944, Feldman et Hinshaw entreprenaient des essais sur 49 cobayes tuberculisés expérimentalement en utilisant des échantillons de streptomycine fournis par Waksman et par la société Merck. Ces deux médecins américains qui travaillai ent à Rochester dans le Minnesota faisaient état de cette étude remarquable qu'ils intitulaient encore préliminaire, lors d'une conférence à la Mayo Clinic, le 27 décembre 1944 (7). Ils venaient de démontrer que la streptomycine était active sur la tuberculose expérim entale chez le cobaye. Encouragés par ces résultats et la bonne tolérance du médicament par les animaux, poussés par l'envie d'arracher à leur destin fatal des tuberculeux, ils allaient oser utiliser quelques échantillons de streptomycine fournis par Waks man 240 pour traiter des humains. Waksman avait annoncé dans une publication parue en novembre (8), c'est-à-dire un mois plus tôt, que cet antibiotique s'était avéré bactéricide vis-à-vis d'une souche de Mycobacterium tuberculosis d'origine humaine dans une de ses expériences. Le 20 novembre 1944 était administrée pour la première fois, selon Waksman, de la streptomycine pour une tuberculose pulmonaire très évoluée chez une jeune femme de 21 ans. La dose journalière avait été fixée à 0,1 g par jour, répartie en huit injections intra-musculaires espacées de trois heures (9). Ainsi débutaient les premiers essais cliniques. En décembre 1945, un an plus tard, Feldman et Hinshaw avaient traité avec Karl Pfuetze du sanatorium de Cannon Falls soixante-trois patients (10). Même si leurs trois cas traités pour méningite étaient décédés, même si le recul par rapport au début du traitement était trop court pour affirmer une amélioration franche dans les autres formes de tuberculose qu'ils avaient soum is au nouvel antibiotique, les conclusions de l'article paru dans les annales de l'Aca démie des Sciences de New York indiquait que la streptomycine manifestait un effet ant i-bactérien dans la tuberculose humaine à condition d'être administrée au moins pendant deux mois. 1946 : L'amplification des essais cliniques de la streptomycine. Et en janvier 1946 pour la première fois une méningite tuberculeuse était stoppée dans son évolution. Cette première était rapportée dans le Y aie Journal of Biology and Medicine par R.E. Cooke, D.L. Dunphy et F.G. Blake (11). Il s'agissait d'un enfant d'un an dont le traitement débuté le 19 mai 1945 avait été arrêté au bout de trente jours faute de médicament, puis repris une semaine plus tard à faible dose en raison toujours des difficultés d'approvisionnement, pendant vingt- neuf jours. Malheureusement cet enfant souffrait de séquelles. Au total il avait reçu 75 millions d'unités de streptomycine (12). Cairns, Duthie et Honor Smith publiaient dans le Lancet du 3 août 1946 deux observ ations de méningites chez qui l'administration intra-rachidienne de streptomycine avait été inefficace et avait même déclenché immédiatement des réactions neurologiques très graves. Cependant ces mêmes auteurs continuaient à croire en l'intérêt de la voie intra-rachidienne, attribuant aux impuretés de la streptomycine les réactions o bservées (13). En janvier 1946, Krafchik, un praticien qui habitait New Brunswick s'adressait directement à Waksman pour traiter un enfant de quinze mois atteint de méningite. Il allait s'agir de la seconde observation d'évolution favorable, après un traitement d e 32 jours. Elle était rapportée en octobre 1946, et contrairement au cas précédent l'enfant ne semblait pas présenter de séquelle (14). Le 30 novembre 1946 Feldman et Hinshaw publiaient dans le Journal of the American Médical Association leur bilan sur cent malades traités en deux ans (15). Sur trente-deux cas de tuberculose pulmonaire, cinq étaient morts rapidement, mais vingt-cinq des vingt-sept malades survivants présentaient une amélioration des signe s radiologiques et il y en avait même douze pour lesquels il n'y avait plus d'image de 241 caverne. Ils avaient reçu un à trois grammes de streptomycine par jour pendant deux à six mois. Douze cas de miliaire avaient été traités dont neuf présentaient des signes de méningite. Cinq étaient vivants après deux à dix mois d'arrêt du traitement dont quatre méningites. Ils en concluaient : "The life of thèse patients undoubtly has been prol on- ged for at least several months". Mais s'agissait-il d'une rémission ou d'une guéris on ? S'il uploads/Sante/ hist-de-medecine.pdf

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  • Publié le Jan 06, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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