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En cas d'usage de ces textes en vue de citations, merci de bien vouloir mentionner leur source (site histrecmed), ses auteurs et leurs dates de réalisation Entretien avec Jean-Claude Kaplan (Le 27 mars 2002 au CHU Cochin, N. Givernaud & J-F. Picard. Script Anne Lévy-Viet Texte relu et amendé par le pr. Kaplan) DR Vous considérez-vous comme un médecin ou comme un chercheur ? Avant tout comme un médecin. Je suis né de parents médecins et ma voie fut toute tracée. À l’époque la médecine se transmettait souvent comme un caractère mendélien. On me prédestinait à la chirurgie, et l’internat des hôpitaux de Paris était un passage obligé. Pendant l’externat je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour la chirurgie. La médecine des enfants m’a attiré à la fois pour l’atmosphère très particulière qui règne dans les services de pédiatrie, et parce qu’il s’agissait d’un domaine de la médecine où la biochimie commençait à être très éclairante. A l’issue d’un internat essentiellement pédiatrique, en 1961, j’ai finalement choisi de me consacrer à la recherche sans activité clinique. Il n’empêche que la formation médicale initiale m’a profondément marqué. Analyser les mécanismes biologiques des maladies était aussi une façon de servir les malades. Cette notion de service m’a toujours habité, même si ma carrière s’est déroulée loin des patients. Comment êtes-vous venu à la recherche ? D’abord l’intérêt pour la biochimie. La "chimie de la vie", il y avait de quoi faire rêver, surtout que, au cours de mes études secondaires au lycée Carnot à Paris, j’avais pris conscience du décalage énorme entre les sciences biologiques, et les sciences dites exactes (on ne disait pas encore "dures"). J’ai été encouragé par Georges Schapira, à qui j’avais demandé conseil au tout début de mon internat. Il m’avait conseillé d’acquérir le bagage théorique et pratique qui me manquait en suivant les enseignements de biochimie à la Sorbonne, et une formation plus spécialisée à la Faculté de médecine chez Max-Fernand Jayle. Tout cela était compatible avec un emploi du temps d’interne, qui, à l’époque occupait principalement les matinées. Or les cours de Jacques Monod n’avaient lieu que le matin, et j’ai dû renoncer à son enseignement, ce dont je ne me suis jamais consolé. Après l’internat et un travail de thèse de médecine sur les glycoprotéines urinaires, effectué dans le laboratoire de M.F. Jayle à la "Nouvelle" Faculté de Médecine (rue des Saints-Pères), j’ai intégré l’équipe de Georges Schapira à l’hôpital des Enfants-Malades en 1961. À cette époque rares étaient les anciens internes qui choisissaient une carrière de recherche en biologie, aussi étaient-ils quasiment automatiquement recrutés par l’Institut National d’Hygiène, devenu par la suite l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm). Le groupe Schapira Au lendemain de la guerre Robert Debré avait confié à son ancien interne Georges Schapira la mission de fonder un laboratoire de recherche sur les maladies pédiatriques. C’est là, dans les locaux vétustes du Pavillon Archambault de l’Hôpital des Enfants malades, qu’est né ce qui devait devenir "l’école Schapira" . Le noyau fondateur comportait, autour du patron , Fanny Schapira son épouse, Jean-Claude Dreyfus, son alter ego, plus jeune de 5 ans, et Jacques Kruh, plus jeune de 10 ans. Ils étaient tous médecins et biochimistes, et ils avaient compris l’importance de la biologie moléculaire naissante pour la médecine, à l’époque fort peu scientifique. Dans le labo Schapira régnait une ambiance extraordinaire. On y suivait de très près l’actualité biologique la plus fondamentale, qui à l’époque n’était rien moins que la découverte de l’ARN messager, le déchiffrage du code génétique, l’élucidation des mécanismes de la traduction… À travers les liens de collaboration et d’amitié qui les unissaient aux chercheurs de l’Institut Pasteur (Jacques Monod, François Jacob, Élie Wollmann, François Gros, etc.) les quatre mousquetaires collaient littéralement aux progrès de la biologie moléculaire, bien que les modèles d’étude aient concerné les procaryotes. Mais, très courageusement ils tentaient de la transposer à leur modèle de prédilection Homo sapiens sapiens. À l’époque, personne d’autre en France n’avait adopté une attitude aussi visionnaire, en créant un champ nouveau pour la médecine : celui de la pathologie moléculaire. Je me souviens des efforts intenses déployés par G. Schapira pour démontrer que le RNA messager, dont la réalité venait d’être concrétisée expérimentalement chez E. coli par la fameuse expérience de François Gros, existait aussi chez les Eucaryotes supérieurs. Pour cela des centaines de lapins ont été rendus anémiques par la phénylhydrazine pour induire une très forte régénération érythrocytaire et une crise réticulocytaire. Des réticulocytes de ces lapins l’ARN messager de globine était extrait, puis mis en présence de ribosomes de foie de rat, pour démontrer dans un système de synthèse acellulaire que la globine synthétisée était bien celle du lapin. L’expérience a marché ce qui prouvait la fonctionnalité de l’ARN messager dans un système croisé. Elle revêt une importance historique. Je me souviens de la vénération que le groupe vouait à Linus Pauling pour sa découverte de l’hémoglobine S de la drépanocytose, première maladie moléculaire. Aussi parmi les pathologies étudiées à l’époque figuraient les hémoglobinopathies, où se sont si bien illustrés Dominique Labie et Jean Rosa . Il y avait aussi la "myopathie", entendez celle de Duchenne. Dans ce domaine le plus beau titre de gloire de la maison Schapira est d’avoir découvert l’élévation des Entretiens avec les acteurs et les témoins de l'histoire de la recherche médical... file:///Volumes/Brick%20BIBLIO%20&%20Divers%20+%20sauv/*Archives%2... 1 sur 8 12/07/10 12:06 enzymes de la glycolyse (aldolase et lactico-déshydrogénase) dans le sérum de tous les garçons myopathes , et seulement dans une fraction des mères transmettrices. Peu après, Ebashi, au Japon, découvrait l’élévation concomitante de la créatinephosphokinase (CPK) dans le sérum. En raison de l’origine essentiellement musculaire de la CPK c’est cette enzyme qui est passée à la postérité. Il n’empêche qu’ Ebashi a toujours reconnu que c’était le groupe Schapira qui avait le premier découvert la fuite de certaines enzymes vers le compartiment extra-cellulaire. Avec le recul je considère évidemment cette époque comme un âge d’or, qui vit les prémisses d’une médecine moléculaire. Toute sa vie durant Georges Schapira fut habité par cette vision. Un véritable esprit pionnier à la conquête de nouvelles frontières soufflait dans les 300 m2 du sous-sol de la Clinique Pédiatrique de l'hôpital des Enfants Malades. Autour du noyau des 4 gravitaient des chercheurs plus jeunes : Dominique Labie, Jean Rosa, Jean Démos, Raymond Sadi, Prudent Padieu. C’est de ce creuset que sont sortis directement ou indirectement tous les grands noms de la biologie médicale en France. Ça fut donc le berceau du futur Institut Cochin. Ce fut aussi le terreau qui qui vit grandir les futurs cadres de la Biochimie et de la Génétique à Cochin Marc Delpech, Chérif Beldjord et Jamel Cehelly. G. Schapira, très impressionné par le concept de maladie moléculaire inventé par Pauling pour l’hémoglobine S, avait pensé que la myopathie de Duchenne pouvait être une maladie de la myosine. Cette hypothèse ne s’est pas vérifiée. Il n’empêche qu’elle était d’une remarquable clairvoyance puisque quelques décennies plus tard on découvrait qu’une forme de cardiomyopathie hypertrophique était due à des mutations dans le gène d’une chaîne de myosine. Vers la fin des année 50 les recherches sur le thème "myopathie" ont été abandonnées par le groupe, car on était dans une impasse méthodologique aussi bien que conceptuelle. Les outils nécessaires n'existaient simplement pas encore, et Schapira, avec une remarquable lucidité, en prit conscience . Il s'est alors lancé dans la biologie moléculaire, les synthèses acellulaires de protéines et dans l'étude des hémoglobinopathies. Fanny Schapira et Jean-Claude Dreyfus étaient les enzymologistes du groupe. À l’époque on découvrait le monde merveilleux des enzymes, et leur importance en médecine. L’originalité de leur approche était d’avoir considéré les enzymes, non plus comme de simples catalyseurs, mais comme des protéines, avec en particulier leur déterminisme génétique. C’est ce qui les a amenés à raffiner la méthodologie d’analyse des protéines, et à aborder l’étude des maladies génétiques dues à des déficits enzymatiques ou enzymopathies D’autre part l’existence d’isoformes (les isoenzymes) spécifiques de tissus ou d’organes ouvraient des perspectives très innovantes dans le domaine du développement, de la différentiation, et de la cancérogenèse. L’étude des perturbations des profils isoenzymatiques dans les tissus cancéreux permit à Fanny Schapira de conclure que dans la cellule cancéreuse il existait une dérépression de l’expression de certains gènes avec retour à un état fœtal, peu ou pas différencié. Hypothèse étonnamment audacieuse dans les années 60-70 et combien en avance sur son temps. J’ai eu l’honneur de travailler sous la direction de Jean-Claude Dreyfus, qui s’est le premier en France intéressé à une enzymopathie érythrocytaire, le déficit en G6PD (glucose-6-phosphate déshydro-génase), enzyme codé par un gène du chromosome X. Ce fut mon premier contact avec la biochimie génétique. Par la suite nous nous sommes intéressé à d’autres enzymopathies génétiques du globule rouge. Avec les moyens de l’enzymologie et de la chimie des protéines de l’époque on s’efforçait de caractériser les mutants. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de rencontrer Ernie Beutler, le spécialiste uploads/Sante/ interview-jck-par-jf-picard.pdf
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- Publié le Jan 04, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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