Jacques Lacan De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité
Jacques Lacan De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité Éditions du Seuil De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité Quilibet unius cujusque individui affectus ab affectu alterius tantum discrepat, quantum essentia unius ab essentia alterius differt. Spinoza, Ethique, III, prop. LVII. * CET OUVRAGE, QUI CONSTITUAIT LA THÈSE DE DOCTORAT EN MÉDECINE DE JACQUES LACAN, A PARU INITIALEMENT CHEZ LE FRANÇOIS A PARIS, EN 1932. A M.T.B. olo; A MON FRERE, LE R.P. MARC-FRANÇOIS LACAN, BÉNÉDICTIN DE LA CONGRÉGATION DE FRANCE. SUIVENT HOMMAGES A MA FAMILLE ET A MES MAITRES EN MEDECINE SELON L'USAGE DES THESES. A QUOI S'AJOUTE MENTION D'AINES QUE J'HONORE, DONT EDOUARD PICHON. PUIS UN HOMMAGE A MES CAMARADES HENRI EY ET PIERRE MALE, AINSI QU'A PIERRE MARESCHAL. CURRICULUM EN PSYCHIATRIE 1927-28. Clinique des maladies mentales et de l'encéphale (Professeur Henri Claude). 1928-29. Infirmerie spéciale près de la préfecture de police (Georges de Clérambault). 1929-30. Hôpital Henri Rousselle. Clinique du Burghôlzli en août-septembre. 1930-31. Hôpital Henri Rousselle. Diplôme de médecin légiste. 1931-32. Clinique des maladies mentales et de l'encéphale. Introduction Parmi les états mentaux de l'aliénation, la science psychiatrique a dès longtemps distingué l'opposition de deux grands groupes morbides; c'est à savoir, de quelque nom qu'ils aient été affectés, selon les époques, dans la terminologie, le groupe des démences et le groupe des psychoses. La méthode clinique, qui a permis de les opposer, a donné là la preuve de sa fécondité. Kraepelin, en l'orientant avec une grande force sur des critères d'évolution et de pronostic, a fait porter à cette méthode ses suprêmes et plus beaux fruits. L'histoire des doctrines et les discussions les plus récentes montrent pourtant que la valeur de la clinique pure n'est ici qu'approximative, et que si elle peut faire sentir le bien fondé d'une opposition nosologique qui est capitale pour notre science, elle est incapable de la soutenir. Aussi bien, dans la conception de la démence, abandonne-t-on de plus en plus le critère du pronostic, pour s'appuyer sur la mesure d'un déficit capacitaire. La corrélation, au moins grossière, de ce déficit avec une lésion organique, au moins probable, suffit à fonder le parallélisme psycho-organique des troubles démentiels. La psychose, prise au sens le plus général, en prend par contraste toute sa portée qui est d'échapper à ce parallélisme et de révéler qu'en l'absence de tout déficit décelable par les épreuves de capacités (de mémoire, de motricité, de perception, d'orientation et de discours), et en l'absence de toute lésion organique seulement probable, il existe des troubles mentaux qui, rapportés, selon les 13 DE LA PSYCHOSE PARANOÏAQUE doctrines, à P« affectivité », au « jugement », à la « conduite », sont tous des troubles spécifiques de la synthèse psychique. C'est pourquoi, sans une conception suffisante du jeu de cette synthèse, la psychose restera toujours une énigme : celle qu'ont exprimée successivement les mots folie, vésanie, paranoïa, délire partiel, discordance, schizophrénie. Cette synthèse, nous l'appelons personnalité, et nous tentons de définir objectivement les phénomènes qui lui sont propres, en nous fondant sur leur sens humain (Ire partie, chap. n). Ce n'est là méconnaître aucune légitime conception des facteurs organiques qui s'y composent. De même en effet que ce n'est pas nuire aux déterminations physico-chimiques des phénomènes vitaux que de relever leur caractère proprement organique et de les définir par là, de même n'est-ce pas négliger la base biologique des phénomènes dits de la personnalité que de tenir compte d'une cohérence qui leur est propre et se définit par ces relations de compréhension, où s'exprime la commune mesure des conduites humaines. Le déterminisme de ces phénomènes, loin de s'y évanouir, y apparaît renforcé. Nous posons donc le problème des rapports de la psychose avec la personnalité. Ce faisant, nous ne nous égarons pas dans une de ces vaines recherches sur les inconnues d'une chaîne causale, qui font en médecine la mauvaise réputation du terme de pathogénie. Non plus ne nous adonnons-nous à l'une de ces spéculations qui, pour répondre à d'irrépressibles exigences de l'esprit, n'en sont pas moins rejetées dans la métaphysique, et par certains non sans mépris. Rien de plus positif que notre problème : c'est éminemment un problème de faits, puisque c'est un problème à!ordre de faits, ou, pour mieux dire, un problème de topique causale. Pour l'aborder, nous avons choisi la psychose paranoïaque. Historiquement, en effet, les conflits des doctrines, quotidiennement les difficultés de l'expertise médico-légale nous démontrent à quelles ambiguïtés et à quelles contradictions va toute conception de cette psychose qui prétend se passer d'une définition explicite des phénomènes de la personnalité. DANS SES RAPPORTS AVEC LA PERSONNALITE Dans une première partie de notre travail, nous prétendons donner d'abord une définition objective de ces phénomènes de la personnalité. Puis nous retraçons l'histoire des doctrines, spécia- lement des plus récentes, sur la psychose paranoïaque. Représente-t-elle le développement d'une personnalité, et alors traduit-elle une anomalie constitutionnelle, ou une déformation réac- tionnelle? Ou bien la psychose est-elle une maladie autonome, qui remanie la personnalité en brisant le cours de son développement? TeL est le problème que pose l'exposé même des doctrines. Si nous avons apporté quelque soin à cet exposé, ce n'est pas seulement dans un intérêt de documentation dont nous savons pourtant le prix pour les chercheurs, c'est que s'y révèlent des progrès cliniques incontestables. Les antinomies ne s'en avèrent que mieux, où aboutit chacune de ces doctrines, et qui sont contenues dans l'incertitude de leur départ. Dans une seconde partie nous tentons de montrer que l'appli- cation d'une méthode^ théoriquement plus rigoureuse mène à une description plus concrète, en même temps qu'à une conception plus satisfaisante des faits de la psychose. Nous n'avons cru pouvoir mieux réaliser cette démonstration qu'en choisissant, dans le grand nombre de faits cliniques dont nous disposons, un de nos cas, et en l'explorant — histoire de la vie et histoire de la maladie, structure et [signification des symptômes — de façon exhaustive. Nous pensons que notre effort n'aura pas été stérile. Il nous livre en effet un type clinique nosologiquement plus précis, descrip- tivement plus concret, pronostiquement plus favorable, que les types jusqu'ici reconnus. En outre, ce type a par lui-même une valeur manifeste de solution particulière dans notre problème. C'est ce qui lui donne enfin sa valeur méthodologique. Dans un chapitre de conclusions doctrinales, nous indiquons quelle portée générale peut avoir dans l'étude des psychoses la méthode de recherches dont ce type clinique est le fruit. Certes, dans l'étude des psychoses, chaque jour semble apporter quelque corrélation organique nouvelle; qu'on y regarde de près : ces corrélations, que nous ne songeons pas à discuter, n'ont 15 DE LA PSYCHOSE PARANOÏAQUE qu'une portée partielle, et ne prennent leur intérêt que du point de vue doctrinal qu'elles prétendent renforcer. Elles ne suffisent point pourtant à le construire. Que ceux qui accumulent ces matériaux ne se fassent pas illusion; les faits de notre science ne permettent pas d'échapper au souci de l'homme. Nous remercions Monsieur le Professeur Claude du patronage qu'il a accordé à l'élaboration de notre thèse. Nous osons dire que les positions générales qu'elle défend, en doctrine et en clinique, sont dans la droite ligne de sa pensée et de son école. Nous sommes également très reconnaissant au Docteur Heuyer, qui a bien voulu prêter une oreille bienveillante à l'exposé de notre thèse, et nous a ainsi confirmé dans la manifestation de certaines de nos tendances extrêmes. Nous voulons encore remercier ici les maîtres de la psychiatrie dont nous n'avons pas eu l'honneur d'être l'élève, mais qui nous ont fait la faveur de nous entendre sur quelque point de notre dessein, et de nous ouvrir leur service pour l'observation de cas qui leur semblaient particulièrement y répondre. Ces observations, pour n'avoir pu être rapportées dans notre thèse, n'en forment pas moins une part des bases solides de notre travail. Nous remercions tout spécialement le Docteur Petit, médecin de la maison de santé de Ville-Evrard, qui nous a traité avec une générosité dont nous nous sentons profondément honoré. Nous exprimons notre gratitude aux Docteurs Sérieux et Cap-gras pour l'accueil qu'ils ont fait à nos vues. On ne peut au reste toucher au sujet de notre thèse sans se sentir débiteur de leurs travaux. Nous remercions le Docteur Truelle des directives qu'il a bien voulu nous donner à plusieurs reprises, et dont chacun connaît la grande sûreté. Nous reconnaissons notre dette envers le Docteur Guiraud, dont la pensée si ouverte nous est apparue plusieurs fois au cours de notre travail comme le plus précieux contrôle qui pût s'offrir à l'expression de la nôtre. Nous rendons hommage à nos collègues du groupe de l'Évolution psychiatrique pour l'atmosphère de libre discussion qu'ils assurent 16 DANS SES RAPPORTS AVEC LA PERSONNALITE au sein de notre société, et pour nous avoir ainsi permis de sou- mettre à une première épreuve les idées qui trouvent ici leur forme achevée. Nous remercions le Docteur Baruk qui nous a laissé étudier à l'asile de Charenton deux cas de réaction paranoïaque. Nous remercions enfin ceux qui nous ont aidé avec un uploads/Sante/ jacques-lacan-these-de-medecine.pdf
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- Publié le Fev 01, 2022
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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