La conclusion de la Critique de la raison pure par Jean Grondin, Quebec II est

La conclusion de la Critique de la raison pure par Jean Grondin, Quebec II est bien connu que le probleme fondamental de la Critique de la raison pure est celui de la possibilite de la metaphysique comme science. C'est le probleme que pose la question directrice de l'ouvrage: comment des jugements synthetiques a priori sont-ils possibles? Ce qui est beaucoup moins connu et infiniment moins evident, c'est la reponse que Kant a donnee ä ce probleme capital, dont il a par ailleurs si bien marque 1'urgence. Or comment la metaphysique est-elle possible selon Kant? Ou Kant repond- il de maniere claire et distincte a la question du bien-fonde des jugements synthetiques a priori en metaphysique? L'incertitude qui plane sur cette reponse n'est pas peu responsable de la diversite des interpretations qu'on a pu offrir de la solution kantienne au dilemme de la metaphysi- que. Pour les uns, Kant est souvent apparu comme celui qui aurait tout simplement voulu liquider la metaphysique en lui Ian9ant le defi de rendre compte de la legitimite de ses propres jugements, lecture iconoclaste qui s'est maintenue depuis le mot de Mendelssohn sur V alles zermalmenden Kant jusqu'ä ^interpretation recente d'Arsenij Gulyga1. Pour d'autres, la metaphysique serait devenue chez Kant une theorie des sciences exactes, des principes qui sont ä la base du savoir scientifique ou, plus generalement, de notre perception du reel. On pourrait parier ici d'une «metaphysique de l'experience», selon l'expression quasi paradoxale de H. J. Paton2. D'autres, prenant ä la lettre le texte celebre ou Kant dit avoir du supprimer le savoir pour faire place a la foi, voient dans la philosophic morale, que l'echec de la metaphysique theorique propulserait au rang de prima philosophic, 1'issue veritable de la metaphysique kan- tienne. D'autres, enfin, les partisans de ce que a appele la lecture metaphysique de Kant, ont cm que l'auteur de la Critique avait voulu sauver et conserver l'essentiel de la metaphysique classique, aristotelico-leibnizienne, celle qui aspire ä un savoir qui depasse le cadre restreint de l'experience. Si autant d'interpretations ont pu etre avancees, c'est que la Critique de la raison pure ne parait jamais repondre de maniere concluante ä la question de la possibilite de la 1 M. Mendelssohn, Schriften zur Philosophie, Ästhetik und Apologetik, Georg Olms, Hildesheim, 1968,1.1, 299. A. Gulyga, Immanuel Kant, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1985, 152: „Kant hat auf die Frage zu Anfang der Kritik ,wie ist Metaphysik als Wissenschaft möglich?' faktisch keine Antwort gegeben. Durch seine transzendentale Dialektik hat er alle dogmatischen Gebäude in dieser Sphäre zerstört." 2 H.J. Paton, Kant's Metaphysics of Experience, Allen and Unwin, London, 1936, 4th edition: 1965. Brought to you by | Nanyang Technological University Authenticated Download Date | 6/6/15 2:32 AM 130 Jean Grondin metaphysique et de ses jugements synthetiques a priori. II ne semble pas y avoir de texte dans la premiere Critique qui affirme en toutes lettres: voici comment se resout le Probleme de la metaphysique, voici comment des jugements synthetiques de la raison pure sont possibles. On ne trouve pas, autrement dit, de conclusion ä la Critique de la raison pure ou, ce qui est plus habituel chez Kant, de «remarque finale» ou le philosophe ferait un bilan de ses recherches et condenserait sä reponse ä la question inaugurale de son ceuvre, magistralement posee dans 1'Introduction. Et pourtant, une teile reponse, une teile «conclusion», doit bien se trouver quelque part dans la Critique de la raison pure, car c'est tres precisement pour resoudre ce Probleme de la possibilite de la metaphysique que la Critique a ete instituee. Congue comme propedeutique ä la metaphysique, la Critique a pour fonction expresse de sonder la possibilite du jugement synthetique a priori. Sa raison d'etre consiste ä etablir la credibilite d'une metaphysique rationnelle. «Cette recherche, que nous ne pouvons pas nommer proprement doctrine, mais seulement critique transcendantale, parce qu'elle n'a pas pour visee l'extension des connaissances elles-memes, mais seulement leur rectification (Berichtigung), et qu'elle donne la pierre de touche de la valeur ou du defaut de valeur de toutes les connaissances a priori, est ce dont nous nous occupons maintenant. Une teile critique est par suite une preparation, autant que possible, pour un organon, et si celui-ci devait ne pas reussir, du moins pour un canon de ces connaissances a priori, d'apres lequel en tout cas le Systeme complet de la philosophic de la raison pure ... pourrait etre un jour presente.»3 Le Systeme complet de la raison pure, que Kant annonce dans ce contexte sous le titre de «philosophic transcendantale», c'est done ce qui doit venir apres la critique transcendantale ou la critique de la raison pure, la propedeutique qui est censee fournir la pierre de touche du Systeme de la metaphysique. «Un Systeme de tels concepts s'appellerait», promet Kant au conditionnel, «philosophic transcendantale. Mais cette philosophic est encore trop ä son tour pour commencer»4. Trop parce qu'on ne sait pas encore si et comment une teile connaissance metaphysique est possible. D'ou la necessite d'une propedeutique ä la philosophic transcendantale, c'est-a-dire d'une «critique transcendantale» qui doit determiner la pierre de touche de toutes les connaissances a priori. La critique transcendantale, qu'est la premiere Critique, veut justifier la possibilite d'une philosophic trancendantale ou d'une meta- physique, encore ä deployer. Aujourd'hui, on entend souvent par philosophic «trans- cendantale» une reflexion qui porte sur les «conditions de possibilite» de quelque chose. Or, chez Kant, ce type de reflexion incombe ä la critique transcendantale. Pour une philosophic transcendantale, teile que 1'entend Kant, la question des «conditions de possibilite» est dejä, en principe, resolue. 3 B26; Critique de la raison pure, trad, par A.J.L. Delamarre et F.Marty, in E.Kant, (Euvres pbilosophiques, t.I, Gallimard, Bibliotheque de la Pleiade, Paris, 1980, 777. Cette traduction est celle que nous citerons dans cet article. Par commodite, on indiquera aussi la reference ä la traduction de A. Tremesaygues et B.Pacaud (sigle: TP), P.U.F., Paris, 1944, 7e edition, 1971. Pour le texte ici cite de B 26, cf. TP 46. 4 B 25; (Euvres, 777; TP 46. Brought to you by | Nanyang Technological University Authenticated Download Date | 6/6/15 2:32 AM La conclusion de la Critique de la raison pure 131 La critique transcendantale de 1781 veut ainsi fixer l'usage metaphysique legitime de la raison pure afin de rendre possible le deploiement d'une metaphysique. La preface a la seconde edition definira done cette critique comme «traite de la methode» (Traktat von der Methode), lequel, precise Kant, n'est pas encore «un Systeme de la science meme»5 - ce que sera la metaphysique ou la philosophic transcendantale. La Critique se presente de la sorte comme la tentative (Versuch) «de changer la demarche (Verfahren) jusqu'ici suivie en metaphysique, operant ainsi en eile une complete revolution»6. En lui-meme, le pro jet d'une critique transcendantale de la raison pure, qui s'institue en prolegomenes de toute metaphysique future, est d'une remarquable transparence. Ce qui est moins clair, c'est sa realisation, sa solution, sa conclusion, en un mot, le sens exact de la transformation qu'il s'agit d'introduire dans la methode jusqu'ä maintenant preconisee en metaphysique. En quoi consiste cette nouvelle methode de la raison pure? A la recherche de cette conclusion de la Critique, on partira, comme il se doit, de la formulation initiale du probleme de Kant: comment des jugements synthetiques a priori sont-ils possibles? On sait que pour la Critique de la raison pure, tout comme les Prolegomenes de 1783, ce probleme se subdivise en trois sous-questions: comment des jugements synthetiques a priori sont-ils possibles 1. en mathematiques pures, 2. en physique pure et 3. en metaphysique? Triple question qui se laisse aussi poser de la maniere suivante: comment la mathematique pure est-elle possible? comment la physique pure est-elle possible? comment la metaphysique est-elle possible comme science? Dans la presenta- tion des Prolegomenes, qui correspond sur ce point assez bien a l'architecture de la Critique, la premiere question releve de l'Esthetique transcendantale, la seconde de l'Analytique et la troisieme de la Dialectique. De fait, l'Esthetique rend compte de la possibilite des jugements synthetiques en mathematiques en invoquant comme troi- sieme terme 1'intuition pure de l'espace et du temps, au sein de laquelle peuvent etre construites et verifiees, parce que susceptibles d'illustration, les connaissances syntheti- ques a priori de la mathematique pure. Au fil d'une analyse encore plus complexe, que nous ne reproduirons pas ici7, l'Analytique tente, de son cöte, de justifier les proposi- tions synthetiques a priori de la physique pure, consignees dans le Systeme des principes de l'entendement pur, en s'appuyant sur le troisieme terme que sera l'«experience possible». Quant ä la Dialectique, eile est bei et bien consacree aux pretentions proprement metaphysiques de la raison pure. Seulement, le cas de la Dialectique est un peu particulier du fait que Kant n'y aboutit pas, comme dans l'Esthetique et l'Analyti- que, ä un resultat vraiment positif, entendons ä une solution du probleme de la possibilite de la metaphysique comme science. Kant l'avoue lui-meme, et de plusieurs fa9ons. Tout d'abord lorsqu'il divise sa Logique transcendantale en Analytique et en Dialectique, il specific bien que la premiere revele uploads/Sante/ kant-1990-81-2-129.pdf

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  • Publié le Aoû 17, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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