SCIENCE En mars 2015, Gardell Martin est tombé dans les eaux glacées d’un ruiss
SCIENCE En mars 2015, Gardell Martin est tombé dans les eaux glacées d’un ruisseau. L’enfant a été considéré comme mort pendant plus d’une heure et demie. Trois jours et demi plus tard, il a quitté l’hôpital en vie et en bonne santé. Son histoire interpelle les scientifiques sur la frontière floue entre la vie et la mort. Révé lations sur la mort 27 SON MARI A ÉTÉ CONGELÉ Linda Chamberlain, cofondatrice d’Alcor, une entreprise de cryogénisation installée en Arizona, embrasse le conteneur dans lequel se trouve son mari, Fred. Celui-ci a été congelé dans l’espoir qu’on puisse un jour lui rendre la vie. Linda, qui projette de faire de même le moment venu, confe que les dernières paroles de son époux ont été « Bon sang, j’espère que ça va marcher ! » LE CŒUR DE LEUR FILS BAT ENCORE « Mon bébé, mon garçon, a tellement fait pour les autres ! », s’exclame Deanna Santana. Son fls, Scott, est décédé à 17 ans dans un accident de la route. Ses organes et ses tissus ont été transplantés sur 76 personnes. Rod Gramson (au centre), qui a reçu le cœur, a rencontré Deanna et son mari, Rich, près de la route de Placerville, en Californie, sur laquelle Scott a trouvé la mort. 32 • 2016 Alors Karla Pérez –O22 ans, maman d’une petite Genesis de 3 ans et enceinte de cinq moisO– alla s’étendre sur le lit de sa mère, en espérant que cela passerait. Mais la douleur empira et, après avoir vomi, Karla demanda à son plus jeune frère d’appeler les urgences. Il était près de minuit, ce dimanche 8 février 2015. L’ambulance conduisit Karla Pérez de Waterloo, la ville du Nebraska où elle habitait, au Methodist Women’s Hospital, à Omaha. Alors que Karla commençait à perdre conscience dans la salle des urgences, les médecins introdui- sirent un tube dans sa gorge afin d’alimenter le fœtus en oxygène. La tomographie pratiquée par la suite révéla une hémorragie cérébrale massive, provoquant une pression considérable contre la boîte crânienne. Karla avait été victime d’un accident vascu- laire cérébral (AVC) mais, par chance, le fœtus se portait bienO: les battements de son cœur étaient rapides et réguliers, comme si rien de grave ne s’était produit. Vers 2 heures du matin, les neurologues firent une nouvelle tomogra- phie. Le pire était arrivéO: le cerveau de Karla avait tellement enflé que tout le tronc cérébral était ressorti par une petite ouverture à la base du crâne. Tifany Somer-Shely, l’obstétricienne qui suivait Karla depuis sa première grossesse, se souvientO: «OQuand ils ont vu ça, les médecins ont compris que ça allait mal se terminer.O» Karla venait d’aborder la frontière floue entre la vie et la mort. Son cerveau avait cessé de fonc- tionner et ne pouvait plus se rétablir –Oen d’autres termes, il était mort. Mais son corps pouvait encore être maintenu en vie, de façon artificielle, afin d’alimenter le fœtus de 22 semaines en attendant qu’il soit viable. Le nombre de ceux qui transitent par cette fron- tière mal délimitée augmente chaque jour, au fur et à mesure que les scientifiques compren- nent que l’existence ne fonctionne pas comme un interrupteur classique –O«OonO», vous êtes vivantO; «OoffO», vous êtes mortO–, mais comme un variateur de lumière, qui passe subtilement du blanc au noir. Dans la zone grise, la mort n’est pas forcément un état permanent, la vie peut être difficile à définir, et certaines personnes qui font le grand saut reviennent à elles, décrivant par- fois en détail ce qu’elles ont vu de l’autre côté. Pour le Dr Sam Parnia, médecin dans une unité de soins intensifs, la mort est «Oun proces- sus, pas un instant donnéO». C’est une attaque du corps entier, où le cœur cesse de battre, mais les organes ne meurent pas tout de suite. Ces der- niers pourraient même, selon le Dr Parnia, rester intacts un certain temps, ce qui signifie qu’«Oaprès un décès, il s’écoule une période subs- tantielle pendant laquelle la mort est potentiel- lement réversibleO». Comment la mort, symbole même de l’irré- versible, pourrait-elle être réversibleO? Quelle est la nature de la conscience lors du passage par la zone griseO? De plus en plus de scientifiques tentent de répondre à ces délicates questions. Au centre de recherche sur le cancer Fred Hutchinson, à Seattle, le biologiste Mark Roth se livre à des expériences visant à plonger des animaux dans un état d’animation suspendue, ou biostaseO: à l’aide de solutions chimiques, il parvient à ralentir le rythme cardiaque et à Au début, cela ressemblait juste au pire mal de tête qu’elle ait jamais eu. Par Robin Marantz Henig Photographies de Lynn Johnson 33 abaisser le métabolisme des animaux, de sorte qu’ils se trouvent dans un état proche de l’hiber- nation. Le but de ces recherchesJ? Rendre «Jun peu immortelsJ» des patients victimes d’atta- ques cardiaques, jusqu’à ce qu’ils surmontent la crise qui les a conduits au seuil de la mort. À Baltimore et à Pittsburgh, les équipes de traumatologues dirigées par le chirurgien Sam Tisherman mènent des essais cliniques sur des victimes d’agressions par balle ou à l’arme blanche. Il s’agit d’abaisser la température cor- porelle des patients afin de ralentir les hémor- ragies assez longtemps pour pouvoir soigner les blessures. Là où Mark Roth fait appel à la chimie, ces médecins pratiquent la technique de la sur- fusion. Leur but est identiqueJ: tuer temporai- rement leurs patients afin de leur sauver la vie. En Arizona, des experts en cryogénisation maintiennent plus de 130 personnes décédées dans un état de congélation –June autre forme d’existence intermédiaire entre la vie et la mort. Leur espoir est qu’un jour, d’ici à quelques siècles peut-être, on puisse décongeler ces patients et les ramener à la vie, en supposant que le progrès scientifique permette aussi de les guérir de la cause de leur décès, quelle qu’elle fût. En Inde, Richard Davidson, un neuroscien- tifique, s’intéresse aux moines bouddhistes plon- gés dans un état appelé thukdam, semblable à de la méditation, dans lequel les preuves biolo- giques de vie ont disparu alors que le corps reste frais et intact pendant une semaine, voire plus. Davidson aimerait détecter des signes d’activité cérébrale chez ces moines, espérant en savoir plus sur ce qu’il advient dans la conscience après l’arrêt de la circulation sanguine. Enfin, dans l’État de New York, le Dr Sam Parnia s’est fait l’ardent défenseur de la réani- mation prolongée. Il affirme que la réanimation cardio-pulmonaire est plus efficace qu’on ne le croit généralement. Si elle se déroule dans des conditions adéquates –Jlorsque la température du corps est abaissée, il est nécessaire de maî- triser la force et le rythme des compressions thoraciques et de réintroduire lentement de l’oxygène afin de ne pas abîmer les tissusJ–, cer- tains patients peuvent être ramenés à la vie quand bien même leur cœur a cessé de battre depuis des heures, et ce, souvent sans consé- quences à long terme. Le professeur mène actuellement des recherches sur l’un des aspects les plus intrigants de cet aller-retour entre la vie et la mortJ: pourquoi tant de personnes victimes d’un arrêt cardiaque affirment avoir vécu une expérience de mort imminente ou être sorties de leur corpsJ? Et qu’est-ce que ces sensations pourraient révéler sur la nature de cette zone grise et sur la mort elle-mêmeJ? L’oxygène joue un rôle paradoxal quand on longe la frontière entre la vie et la mort, affirme Mark Roth. «JDès la découverte de l’oxy- gène, au début des années 1770, les scientifiques ont compris qu’il était essentiel à la vieJ», expli- que le biologiste. Mais ce que les hommes du GFEEEe siècle ignoraient, c’est qu’il est essentiel à la vie d’une manière étonnamment non binaire. «JCertes, vous pouvez tuer un animal en rédui- sant son apport en oxygène, dit-il. Mais, si vous continuez à réduire cette quantité, l’animal revit, en état d’animation suspendue.J» Mark Roth a montré que cela fonctionne avec les nématodes du sol, des vers ronds qui vivent dans une atmosphère contenant à peine 0,5 % d’oxygène et meurent si vous le réduisez à 0,1 %. Pourtant, si vous abaissez ensuite rapidement le niveau d’oxygène jusqu’à 0,001 %, ou même moins, les vers entrent dans un état de biostase où ils survivent avec un apport en oxygène extraordinairement faible. C’est leur manière de se préserver lors des périodes de privations extrêmes, un peu comme les animaux qui hibernent. Ces organismes en état d’animation suspendue montrent tous les signes de la mort, mais ce n’est pas une mort permanente. Cela fait penser à la veilleuse d’une chaudière à gaz. Mark Roth tente d’obtenir cet «Jétat de veilleJ» en injectant à des animaux de laboratoire un «Jagent réducteur élémentaireJ», tel que l’iodide, qui abaisse considérablement leurs besoins en oxygène. Bientôt, il pratiquera des tests sur des hommes, dans l’espoir de réduire les risques associés aux traitements pratiqués en cas d’arrêts cardiaques. Puisque l’iodide ralentit le Cerveau 4 à 5 minutes Cœur et rein 30 minutes Poumons 2 à 4 uploads/Sante/ la-mort.pdf
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- Publié le Jan 31, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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