2e numéro - Eté 2019 - paraît 4 x par année - 1 29e année Le dossier À contre-c

2e numéro - Eté 2019 - paraît 4 x par année - 1 29e année Le dossier À contre-courant La rubrique de Tata Dom’ La pudeur dévoilée… ÉDITO La pudeur dévoilée… 3 DOSSIER : LA PUDEUR DÉVOILÉE… La pudeur, révélation de la vulnérabilité humaine 4 Retrouver le sens de la pudeur 6 Intimité et intrusion dans les soins : comment sortir du paradoxe ? 8 L’accompagnement à domicile : la place de l’intime et de la pudeur 10 La pudeur autrement 12 Eloge de l’intimité et de la pudeur 14 Pour en savoir plus 16 AGENDA - VOS PROCHAINS RENDEZ-VOUS AVEC LA SANTÉ 17 NOUVELLES DE L’ÉCOLE Présentation d’un outil d’analyse et d’intervention politique 19 Des films pour interroger notre regard sur la vieillesse 21 Une recherche pour mieux connaître et comprendre les difficultés d’accès aux soins 22 Projet de recherche « Se maintenir en bonne santé : mobilisation des ressources de santé par les membres de la génération sandwich au fil du temps » 24 1859-2019 : « 160 ans d’excellence dans la formation aux soins infirmiers » 26 TÉMOIGNAGE La musique contre la maladie 27 PASSION DES ÉTUDIANTS Maxime Bachelin, barreur 30 QUE SONT DEVENUS NOS DIPLÔMÉS Mon parcours d’étudiante à infirmière clinicienne via intervenante externe à l’Ecole La Source 34 LES SOURCIENNES RACONTENT… La pudeur dans les soins 36 À CONTRE-COURANT La féminité, c’est une attitude 39 DES CHEMINS QUI MÈNENT AUX SOINS… Sébastien Reysset 45 À PROPOS DE… Campagne de prévention des addictions 48 LA RUBRIQUE DE TATA DOM’ Totalement invisible et parfaitement méconnue… 51 COUP DE CŒUR Le pays sans adultes d’Ondine Khayat 54 LA RECETTE Confiture fraises et rhubarbe 55 JEUX ESTIVAUX 56 FAIRE-PART Décès 58 Sommaire DANS L’ÉDITION D’AUTOMNE, UNE NOUVELLE RUBRIQUE… VERTE ! 3 Edito Véronique Hausey-Leplat Rédactrice Journal La Source Institut et Haute Ecole de la Santé La Source LA PUDEUR DÉVOILÉE… La pudeur est incontournable à tout acte de soins. Elle en signe l’humanité, le respect de l’intimité et de la dignité. Être attentifs à la pudeur suppose d’être réceptifs à ce que nous transmet le patient 1 de sa vulnérabilité. Dépossédé de ses artifices, le patient hospitalisé ou accueillant des soins à son domicile est exposé à nos regards, à notre intrusion dans son quotidien, dans sa vie personnelle. Ainsi nous pouvons être perçus comme des personnes impudiques, des voyeurs, démunis de délicatesse si nous nous écartons de l’essence même de ce que devrait être l’art de soigner. De là, le patient peut ressentir honte et gêne. A l’ins- tar d’un geste attentionné pour recouvrir un corps dénudé, ou d’un regard chaleureux et respectueux lors d’un recueil de données, nous nous positionnons en tant qu’être humain soignant et pas uniquement en professionnel des soins. Là réside toute la nuance, les soi- gnés ne s’y trompent pas. Pudeur vis-à-vis du corps, des mots, des gestes, des regards et des émotions, voilà ce à quoi nous sommes confrontés, jour après jour, durant toute notre carrière professionnelle. S’il est question, avant toute chose, de la pudeur du soigné, nous ne pouvons occulter celle du soignant. Dans les soins qui sont prodigués, l’effet miroir entre en jeu, puisque nous sommes le reflet de ce que nous produisons. En principe, les soins devraient être systématiquement empreints de retenue, même si pour certains infirmiers le respect de la pudeur ne s’avère pas l’essentiel de leurs critères et valeurs. Evidemment les situations d’urgence où le pronostic vital est engagé sont aux antipodes de la discrétion... Même si les valeurs sociétales sont en profonde mutation, et que la tendance fait que tout se donne à voir, se révèle, se raconte sur la toile…, il me paraît crucial de préserver, revendiquer, défendre la pudeur et d’en mesurer son droit, raison de cette thématique de l’été ! Pour clore ce dossier avec une touche de fantaisie, deux jeux estivaux (que vous trouverez aux pages 54 et 55) à faire à la piscine ou à l’ombre d’un parasol, ici ou ailleurs, en tenue légère, toute pudeur préservée ! Le clin d’œil ensoleillé des rédactrices ! Bel été ! 1 Les termes (patient, soignant, soigné, infirmier, etc.) déclinés au masculin se lisent également au féminin 4 Le dossier LA PUDEUR, RÉVÉLATION DE LA VULNÉRABILITÉ HUMAINE « Les cheveux épars, les mains qui se cherchent, la droite serre la gauche comme un objet étranger. Elle ne trouve pas sa bouche, à chaque tentative, le gâteau arrive de biais. Le morceau que je lui ai mis dans la main retombe. Il faut que je le glisse dans la bouche. Horreur, trop de déchéance, d’animalité. Les yeux vagues, la langue et les lèvres suçant, comme le font les nou- veau-nés. » Ernaux (1997, p.83-84). Telle est la description que fait la femme de lettres Annie Ernaux de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle est profondément choquée de voir l’état dans lequel se trouve sa mère, de voir son corps et son esprit muti- lés : « Horreur, trop de déchéance, d’animali- té ». Les diverses expériences – cris et odeurs désagréables, les excréments, l’animalité – heurtent sa fille, le personnel soignant, le bien-portant que nous sommes. Ces expé- riences débouchent sur la tentation de repousser la personne « déchue ». La mère d’Annie Ernaux peut, elle aussi, être saisie par une telle honte par rapport à la manière dont elle se présente au regard d’autrui. Un tel sentiment de répulsion se retrouve dans l’étymologie latine du mot « pudeur » qui est intimement lié à un sentiment de honte envers une situation particulière, comme également à l’égard de ce qui peut blesser le respect envers soi-même. La pudeur révèle l’appartenance de l’être humain à deux mondes qui le définissent : il est à la fois vie spirituelle et vie biologique. La pudeur est cette gêne qu’éprouve l’es- prit en prenant conscience qu’il ne peut se défaire de son animalité. « La pudeur, c’est l’esprit qui rougit du corps » Fiat (2016, p. 33), à savoir qu’elle révèle une certaine impuissance de l’esprit devant le corps. La pudeur est également l’expression du refus d’une personne d’être exhibée comme un objet au regard technique et froid d’au- trui – du médecin et du soignant – qui la scrute et l’analyse. Le danger réside en effet dans la réification ou l’objectivation du corps malade, au point de ne plus voir que le « cas » malade d’Alzheimer, perdant ainsi de vue la personne. Le malade est appréhendé uniquement dans le langage de la mesure et de la rationalité scientifique, réduit à un corps-chose. La pudeur permet à la personne de se retirer en elle-même pour sauvegarder son intimité, pour préserver son individualité profonde sous la pression du regard réifiant. L’intime n’est cependant pas à comprendre comme un Moi solitaire qui se possède et se contrôle, qui est transparent à soi-même, mais bien plutôt comme un être qui se définit par son ouverture à une altérité, à une dimension dialogale. L’intime n’est pas un fort barrica- dé, où la personne s’enferme dans sa tour d’ivoire où plus rien ne saurait la toucher et la déstabiliser, mais il est un lieu exposé. La préservation de l’intimité se caractérise par une ouverture dans l’intériorité par un acte de 5 confiance et de disponibilité à une altérité. La pudeur est certes la pudeur devant le regard qu’autrui pose sur soi, mais elle est aussi la pudeur devant soi-même, pudeur qui révèle que l’être humain est profondé- ment vulnérable et ainsi ouvert à se laisser saisir par une réalité qui dépasse le contrôle de sa volonté et de sa raison. La citation du début de cette contribution continue : « J’ai commencé à la coiffer, j’ai arrêté parce que je n’avais pas d’élastique pour attacher les cheveux. Alors elle a dit : « J’aime bien quand tu me coiffes. » Tout a été effacé. Coiffée, rasée, elle est redeve- nue humaine. Ce plaisir que je la peigne, l’arrange. Je me suis souvenue qu’à mon arrivée sa voisine de chambre lui touchait le cou, les jambes. Exister, c’est être caressé, touché. » (1997, p. 83-84) Annie Ernaux fait l’expérience, à un moment donné, de ne plus avoir honte de sa mère et de sa « déchéance » en la réhabilitant dans une relation mère-fille. Celle-ci n’est rendue possible qu’en reconnaissant à sa mère son humanité – « Coiffée, rasée, elle est redeve- nue humaine » –, reconnaissance qui fait suite à un mouvement de rapprochement gratuit, comme un don d’Annie envers sa mère : « j’ai commencé à la coiffer ». Ce don d’Annie est suivi par une réponse de sa mère qui dit : « J’aime bien quand tu me coiffes. » La réponse de sa mère a eu comme consé- quence un effacement de la honte : « Tout a été effacé ». Le remerciement de la mère permet la reconnaissance par la fille de l’hu- manité de la mère qui se révèle être un don plus fort, celui de l’existence même. L’expérience de la honte comme expérience de uploads/Sante/ jls-ete2019.pdf

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  • Publié le Nov 02, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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