Eugénisme privé ou comment l’homme devient l’assistant de la sélection naturell
Eugénisme privé ou comment l’homme devient l’assistant de la sélection naturelle Agnès Farkas « Le pouvoir politique devra se rendre compte du fardeau énorme qu’occasionnent les dégénérés à la nation. Les sommes dépensées pour la législation, la justice, la police dépassent 48 000 000 livres par an. Et ce n’est pas la charge totale. Le vaurien ne paie pas son loyer, [...]. Si la communauté avait moins à payer pour les dégénérés de tous genres, les hommes sains auraient moins à payer [...]. Chaque augmentation des impôts est un pas vers la dégénération de la race. » Leonard Darwin [1], 1922. Introduction Dans le monde occidental, on a pu constater une remarquable progression de l’espérance de vie. En effet, ce dernier siècle en France, l’espérance de vie des femmes est passée de 48 ans à 83 ans et celle des hommes de 45 ans à 75 ans. On doit principalement cette progression à la médecine hygiéniste ou préventive du XIXe siècle, héritée de la médecine hippocratique et de la révolution du milieu hospitalier au XVIIIe siècle. La médecine hygiéniste a joué un rôle essentiel pour éviter la propagation des épidémies en agissant sur le milieu naturel de l’homme. En 1795, les premières chaires d’hygiène enseignaient les gestes préventifs face aux maladies. Toutefois, pour que la prévention soit efficace, il a fallu agir sur l’environnement humain, car seul un environnement humain rendu salubre (hygiénique) est apte à empêcher l’émergence des maladies. La propreté des villes, l’assèchement des marais (véritables bouillons de culture à cause des insectes qui y prolifèrent) ou la modification du milieu naturel pour garantir la nourriture ou l’eau potable en quantité nécessaire à l’homme, sont quelques-uns des moyens sanitaires indispensables à l’épanouissement de l’espèce humaine. L’éradication des vecteurs des maladies par l’assainissement du milieu écologique associé à la vaccination pastorienne du plus grand nombre d’individus a donc permis de faire reculer de façon spectaculaire la mortalité. De plus, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la réforme apportée par la Sécurité sociale de Pierre Laroque, succédant aux lois du 15 juillet 1893 sur l’Assistance médicale et gratuite, a modifié la société française dans son entièreté. Les plus pauvres ont pu ainsi avoir accès à l’hôpital et aux soins. Il faut comprendre que le choix du terme « sécurité sociale » n’est pas anodin : avant la naissance de l’Assistance publique à la fin du XIXe siècle, les soins apportés aux malades indigents étaient pourvus par des personnes charitables. Le riche faisait l’aumône au pauvre. L’idée fut de passer de la charité pour quelques-uns à l’assistance médicale pour tous. Jusqu’au début du XXe siècle, l’assistance médicale restera une règle pour un Etat-nation souverain. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, en 1941, les pays réunis au Congrès international de Philadelphie proposèrent un projet mondial de Sécurité sociale. En effet, un programme de santé publique pour tous est le garant de la sécurité des Etats désirant leur indépendance industrielle et économique. Seuls des individus en bonne santé sont aptes à utiliser pleinement leurs capacités. De cette manière, chaque être humain aura l’entière disponibilité de son potentiel créatif pour effectuer les découvertes 1 nécessaires au bon fonctionnement de la nation. Pour la première fois, ces droits universels sont appliqués en matière de santé publique comme un droit essentiel d’une république. Le 14 juillet 1943, à Alger, le général de Gaulle déclare : « Oui, après la chute du système d’autrefois et devant tant d’indignité de celui qui s’écroule, après tant de souffrances, de colère, de dégoût, éprouvés par un nombre immense d’hommes et de femmes de chez nous, la Nation saura vouloir que tous, je dis tous ses enfants puissent vivre et travailler dans la dignité et la sécurité sociale. Sans briser les leviers d’activité que constituent l’initiative et le légitime bénéfice, la Nation saura vouloir que les richesses naturelles, le travail et la technique qui sont les trois éléments de la prospérité de tous, ne soient pas exploités au profit de quelques-uns. » Cependant, à cette approche de lutte contre les maladies par la recherche scientifique et l’amélioration des conditions de vie, s’est opposée une démarche radicalement différente. Par exemple, la tuberculose provoquait des ravages dans la population jusqu’au début du XXe siècle. Or Francis Galton (zoologue et mathématicien anglais, 1822-1911) et d’autres eugénistes niaient la possibilité de guérir ce mal et préféraient croire aux caractères héréditaires néfastes d’une part de l’humanité. Le prétexte a suffi pour appliquer une stérilisation forcée de tous les membres de la famille de la personne atteinte. Dans le même esprit, la « soûlographie » et la pauvreté furent des prétextes pour un triage de la population. C’est volontairement ignorer le précédent des découvertes de Louis Pasteur et de ses élèves sur la bactériologie et la vaccination. Suite à la découverte du vaccin BCG (bacille non pathogène obtenu par Calmette et Guérin), la prémonition de la tuberculose est appliquée maintenant dans de nombreux pays. Grâce à la volonté de chercheurs luttant pour l’amélioration des conditions de vie humaines et l’appui des gouvernements, la vaccination a supprimé le caractère endémique de la tuberculose. Eugénisme négatif et eugénisme positif Malgré les succès de la médecine préventive, les sociétés eugénistes se sont développées à travers le monde au début du XXe siècle [2], avec une influence grandissante au moment de la Grande Dépression. Leur idéologie – un racisme sociétal où la maladie est le prétexte de la différence, le sous-homme est l’homme handicapé au physique comme au mental – est ainsi devenue politique d’Etat sous l’Allemagne nazie. Bien avant la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne nazie mit en place l’hygiène raciale et la sélection du plus apte par l’eugénisme négatif et l’élimination des « tarés » (les vieillards séniles, les alcooliques, les impotents, les grabataires, les asociaux, etc.). On voit sur une de leurs affiches, le principal argument avancé par le Parti nazi pour éliminer les déficients mentaux : « 60 000 Reich Marks, voilà ce que coûte au peuple ce malade pendant toute sa vie. Peuple, c’est aussi ton argent. » L’appel à une législation eugéniste ne peut être plus explicite et a facilité la tâche de médecins et de biologistes en quête de pureté raciale et sociale. « C’est une chance rare, et toute particulière, pour une recherche en soi théorique, que d’intervenir à une époque où l’idéologie la plus répandue l’accueille avec reconnaissance, et mieux, où ses résultats pratiques sont immédiatement acceptés et utilisés comme fondement de mesures prises par l’Etat. » dira le professeur Fischer, médecin nazi en 1943. La société contemporaine ne peut plus accepter sans frémir les images fortes des camps de concentration et des crimes nazis. Aussi, si l’eugénisme négatif semble aujourd’hui inadmissible, certains généticiens proposent la pratique d’un eugénisme positif au nom de l’éradication des maladies et des tares. Ils exploitent ainsi le désir légitime des futurs parents d’avoir un enfant en 2 bonne santé, en affirmant que la seule solution réside dans la médecine prédictive. Précisons tout de suite qu’une médecine prédictive n’est ni préventive, ni curative dans le sens où les médecins traditionnels et les pastoriens l’entendent. Dans le secteur de l’embryologie comme dans certains autres secteurs de la thérapie génique, il ne s’agit donc pas de guérir mais d’empêcher la naissance d’un malade qui serait un coût pour la société (dans un contexte d’austérité financière tel que nous le connaissons, cet argument « économique » n’est pas secondaire). Faute de pouvoir intervenir sur chaque individu après sa naissance, on sélectionne par des tests génétiques l’embryon sans maladies et tares indésirables. Comme André Pichot le souligne : « C’est dans ce domaine des “prédispositions génétiques”, plus que dans celui des maladies réellement héréditaires, qu’il pourrait y avoir un véritable danger eugéniste. » [3] Ce qui se trouve confirmé dans les propos de Jacques Ruffié : « La médecine prédictive [...] consiste à prédire, dès la naissance, ou même avant, les situations de risques que peut connaître un sujet au cours de son existence (c’est-à-dire pendant tout le déroulement de son programme génétique) selon une série de deux facteurs :µ « a) La constitution de son patrimoine héréditaire, qui peut être plus ou moins apte à répondre à certaines conditions de l’environnement. « b) Les types d’exigences ou d’agressions qu’il subira de la part de cet environnement et la possibilité qu’il aura d’y faire face selon ses aptitudes innées. [...] « La médecine prédictive contient toujours une part d’aléatoire car elle est conditionnée par deux séries de facteurs : génétiques et environnementaux, qui peuvent se rencontrer ou non. Elle évalue un risque, indique les conditions dans lesquelles la maladie peut apparaître. Elle permet d’éviter des situations pathogènes. Elle ne constate pas un mal mais définit une possibilité ou une probabilité d’apparition. » [4] Il faut souligner que l’on parle ici de « probabilité d’apparition » d’une maladie de type héréditaire pour justifier l’élimination de futurs êtres humains. [5] D’un côté, on justifie ce tri car l’embryon éliminé est probablement atteint d’une maladie orpheline ou incurable dans l’état actuel de la recherche médicale uploads/Sante/ seance-4-comment-l-x27-homme-devient-l-x27-assistant-de-la-selection-naturelle.pdf
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- Publié le Aoû 27, 2022
- Catégorie Health / Santé
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