E n France, la sexologie est exercée par une majorité de médecins. Dans une enq

E n France, la sexologie est exercée par une majorité de médecins. Dans une enquête na- tionale 1 portant sur un millier de profes- sionnels s'intitulant publiquement "sexologue" ou "sexothérapeute", 68 % sont médecins, et la moi- tié d'entre eux sont généralistes. Cette hégémonie du corps médical est unique en son genre, puisque dans la plupart des pays industrialisés c'est l'effec- tif des non médecins qui prédomine. A vrai dire, "l'assistance médicale à la sexualité" est une donnée historique bien française 2, qui a donc été tout natu- rellement renforcée et médiatisée par la nouvelle vague des années 1970. Au-delà des questions d'ordre purement contin- gent (formation, titres, honoraires…) que soulève l'exercice d'une discipline innovante, s'ajoutent de- puis peu des interrogations plus complexes, d'ordre à la fois idéologique et éthique concernant la défi- nition même de la sexologie. Depuis une vingtaine d'années en effet l'emprise de l'industrie pharma- ceutique sur les protocoles curatifs des dysfonctions érectiles notamment, a accentué le rôle du médi- cament dans la prise en charge du handicap sexuel. Le glissement vers ce qu'il est commun de nommer aujourd'hui une "hyper médicalisation" de la sexologie a un effet simplificateur domma- geable. Il est donc utile dans un contexte aussi po- lémique de repenser les modalités de prise en charge des "lésions de la volupté" et de reconsidérer la lé- gitimité de la volonté de les guérir. Quels modèles cliniques en sexologie ? ● L'amorce d'un recadrage de la nomenclature des symptômes énoncés en consultation devient dé- sormais nécessaire pour redéfinir l'objet et les limites de la pratique. Qu'est-ce qu'une dysfonction sexuelle, à l'aune des premières mutations spectaculaires de l'arsenal thérapeutique? Quelles représentations doit- on privilégier pour interpréter ces échecs de la vie érotique et affective? S'agit-il de troubles du com- portement ou de maladie psychosomatique? L'or- ganicité des défaillances fonctionnelles est plus que jamais à l'ordre du jour, mais que dire des carences psychologiques et des difficultés rela- tionnelles? On connaît depuis longtemps cette zone de fracture entre les tenants du "tout physiologique" et les thuriféraires de l'inconscient. Au crédit des premiers figure l'évidence de la rencontre entre le corps et ses manigances physiologiques: la chair est saine, ou ne l'est pas. Un point c'est tout. Nous sommes ici dans la perspective étiopathogénique dé- veloppée par Claudius Galenus dit Galien (v.131 - v.201) à laquelle sans trop le reconnaître la Méde- A l'évidence au quotidien, la demande de prise en charge des "problèmes sexuels" des patients s'est considérablement banalisée. Pour le praticien en revanche, il n'en va pas de même, et ses outils d'apprentissage des bonnes pratiques font encore défaut trop souvent. C'est ce besoin urgent et diversifié d'actualisation des connaissances, de documentation et de recommandations pratiques, que veut satisfaire A.I.M., en confiant à un des spécialistes les plus avisés, la rédaction d'une rubrique inédite de sexologie clinique. A.I.M. - 2006 – N° 118 Sexologie Sexologie et médecine: un mariage de raison? Dr Jacques Waynberg* - * Médecin, psychothéra- peute, juriste et écrivain, Jacques Waynberg est l'un des premiers insti- gateurs de la nouvelle vague de la sexologie fran- çaise des années 1970. - Ses recherches, sa pratique clinique, son en- seignement sont étayées par un parcours uni- versitaire hors du commun et par sa formation initiale aux Etats-Unis. Conférencier de renom- mée internationale, il est l'auteur de nombreux ouvrages, réalisateur de courts-métrages, expert en ethnopharmacologie. - Directeur de l'Institut de sexologie et du Diplôme Universitaire "Sexologie et santé publique" à l'Uni- versité de Paris 7. La guerre des mots aura bien lieu. Avant tout pour des raisons d'ordre pratique. Si la sexologie est conviée aujourd'hui à participer au principe d'une modernisation du système de santé, c'est pour des motifs devenus socialement corrects, à l'aune de la lutte contre les MST ou les violences conjugales, par exemple… Mais au-delà de mis- sions correctement sociales, la prise en charge des "dysfonctions sexuelles" quant à elle, fait office de pique-assiette, d'invitée imprévue, car elle n'a pas encore acquis droit de cité auprès des pouvoirs pu- blics. Pour les patients, malgré une plus grande vi- sibilité favorisée par les médias, choisir entre un thérapeute médecin ou non médecin reste encore aléatoire. Combien de professionnels divulguent la qualité de sexologue ? Le regain d'implication de la Faculté en la matière – stimulé par l'Industrie – s'exprime au nom d'un concept de Sexual Health, ou santé sexuelle, énoncé dès 1975 par l'OMS. Comme cette notion couvre un champ sémantique très large, l'expression médecine sexuelle qui de- vient à la mode est impropre à désigner la décli- naison purement clinique de la sexologie. Dès 1988*, je proposai le terme de sexiatre (du grec ia- tros : médecin) pour distinguer le sexothérapeute issu du corps médical de ses concurrents non mé- decins. L'exemple de nos proches parents, psy- chologues et des psychiatres, peut-il inspirer à la sexologie moderne une clarification aussi précise des rôles de ses acteurs? L'histoire des mots est aussi imprévisible que le destin des sciences qu'ils nomment… * Jacques Waynberg, pour le quotidien le Monde, daté du 21 novembre 1988. Vous avez dit… sexiatre? Liste (non exhaustive) des sujets prévus: 1 – Guide pratique du premier entretien en sexologie de ville 2 – Le vaginisme n'est plus ce qu'il était 3 – Faut-il traiter l'éjaculation prématurée? 4 – Des chiffres et des lettres: quelles normes comportementales? 5 – Femmes "frigides" et femmes repues: la tyrannie du désir. 6 – La contraception est-elle sexuellement bénéfique? 7 – Conduites addictives et sexualité 8 – Les dysfonctions érectiles de la cinquantaine 9 – Ménopause et dyspareunies 10 – Malformations, déformations, blessures génitales et coït 11 – Maladies sexuellement transmises et fonction érotique N° 118 – 2006 – A.I.M. cine moderne fait encore appel et dont le slogan peut se résumer en deux mots: ex- pliquer et guérir. L'approche scientifique de la sexualité est née tout de même de ce déchiffrement empirique, il serait donc in- juste de le dénigrer. Ce sont ses excès qui en affaiblissent la portée. ●Les disjonctions entre sexologie et mé- decine se nouent aussi autour des ambiguï- tés de la consultation. Que sollicite réelle- ment le patient? Quel est le sens de sa requête? En sexologie la demande d'assis- tance masque un écheveau d'échecs, de distorsions, de complications, de frustra- tions, de douleurs, de règlements de comptes, de simulations, de bénéfices se- condaires… assurément illisibles avec les outils habituels de la médecine tradition- nelle. Pour le praticien vigilant, répondre à des attentes purement factuelles et au besoin immé- diat de performance est généralement insatisfaisant. L'emblème de cette ambivalence du désir de guérir est évidemment illustré par la prise en charge des "dysé- rections": la récupération artificielle d'une rigidité pé- nienne est-elle synonyme de guérison? Qu'a-t-on pro- visoirement réparé? Les corps caverneux ou le mal-être d'un homme aux aguets? Qui peut nous assurer que l'on a fait mouche sur les deux tableaux? A-t-on songé par exemple aux patients qui sabordent leur traitement afin de nuire à leur partenaire, ou à ceux que le passé hante si fort que l'érection est plus haïssable que le bonheur? Côté féminin la prévalence des souffrances af- fectives et sexuelles qui relèvent d'une assistance médicale est impossible à évaluer. L'expérience permet de supposer qu'une infime minorité de femmes franchissent le pas de la consultation spé- cialisée. Si l'on évoque des résistances d'ordre pu- dique, voire pécuniaire, pour commenter cette désaf- fection, il ne faut sous-estimer le peu de crédit qu'elles accordent aux protocoles curatifs proposés par les professionnels. On oublie trop souvent de rappeler l'ignorance crasse dans laquelle nous main- tient encore la complexité de la sexualité féminine: comment oser proposer par conséquent un contrat de soins crédible dans un domaine qui demeure une énigme? Bien sûr, l'émergence des thérapies com- portementales a pu produire un palmarès non négli- geable de succès, mais cet "art du dressage" n'est-il pas accusé à son tour d'instrumentaliser l'être hu- main? On sent bien qu'acculé à choisir un système de lecture des "peines de sexes" 3 féminines, la mé- decine occidentale va privilégier le modèle "psy- chogène". Tout se passe ainsi comme si les défi- ciences sexuelles d'aujourd'hui ne s'expliquaient qu'au travers des traumatismes d'hier. De l'anor- gasmie au vaginisme, des lacunes du désir aux dys- pareunies, ce n'est pas le corps seul qui est en cause mais bien le dégoût de soi, la haine de l'autre, l'an- goisse d'aimer, le refus de grandir… bref, la nausée. ●En réalité, l'objet de la sexologie, c'est la fonc- tion érotique, ou dénommée de façon plus prosaïque le rapport sexuel. Le "sujet-supposé-malade" se conjugue au pluriel, et le pluriel commence ici aussi à deux. La plainte révèle la plupart du temps une mésaventure de couple, la défaite d'un projet amou- reux, la faillite du dialogue avec autrui, même si elle emprunte pour s'exprimer en consultation des "mots de passe", une termi- nologie conforme à la nomenclature médi- cale. Se focaliser sur les vicissitudes de ces réseaux de communication érogène - à l'ins- tar des"zones érogènes" dont la médecine se porte caution - n'écarte uploads/Sante/ sex118.pdf

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  • Publié le Nov 01, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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