Antoyan Marc CB n° 3 Droit public L'urgence en droit public « Quand la maison b

Antoyan Marc CB n° 3 Droit public L'urgence en droit public « Quand la maison brûle, on en va pas demander l’autorisation d’y envoyer les pompiers » affirme le commissaire du gouvernement Romieu dans ses conclusions de l'arrêt Société Immobilière de Saint-Just rendu en 1902 par le Tribunal des conflits. Cette assertion résume à elle seule le problème par la situation d'urgence : fruit d'un « péril imminent », elle oblige l'administration à « prendre des mesures provisoires et de pourvoir d'office à ce qui est nécessaire ». Traditionnellement, l'urgence peut être définie comme le caractère de ce qui est urgent et dont l'on doit par conséquent s'occuper sans retard, dans les plus brefs délais. L'urgence d'une situation est lié aux conséquences pouvant lui être attachées : les préjudices causées par celles-ci paraissent irréparables à moins d'y porter remède le plus rapidement possible. L'urgence a donc à voir avec la temporalité : elle oblige le cours des choses à accélérer. Juridiquement parlant, l'urgence est très proche de sa définition classique en ce qu'elle oblige le juge d'une part et le pouvoir exécutif d'autre part à prendre toutes les dispositions possibles pour régler un problème aux conséquences potentiellement graves voire calamiteuses. C'est pourquoi l'urgence suspend l'application des procédures communes entourant les possibilités d'action de ces deux figures. Ainsi, concernant le pouvoir exécutif, celui-ci peut, dans le cadre d'un état d'urgence, prévu par une loi du 3 avril 1955 mais également par une loi du 23 mars 2020, voir ses pouvoirs considérablement étendus du fait d'une situation présentant le caractère de calamité publique ou catastrophe sanitaire. Le fait que le pouvoir exécutif soit le titulaire des pouvoirs d'urgence est logique : il celui disposant de l'administration et de ce qu'elle comporte de forces armées, souvent seules capable de faire face à un trouble à l'ordre public. D'autre part, le juge peut également faire face à l'urgence, qu'il soit administratif ou constitutionnel, dans la mesure où il lui arrive de devoir statuer dans un délai restreint de manière à ce que la décision qu'il rend puisse permettre à une situation donnée d'être résolue. C'est tout le sens tout d'abord de la procédure d'urgence définie à l'article 61 de la Constitution prévoyant le contrôle a priori d'une loi par le Conseil constitutionnel en huit jours, au lieu d'un mois, à la demande du gouvernement. C'est également le sens de la loi du 30 juin 2000 relative aux référés prévoyant des procédures de jugement accélérés, notamment en cas d'atteinte grave aux droits du demandeur. Ainsi, l'urgence est, en droit, un concept à double-face S'il protège d'une part l'ordre public par le pouvoir exécutif, il permet également également au juge de s'assurer qu'il n'est pas porté atteinte au droits et libertés des justiciables. Or c'est là toute la dialectique de l'urgence : elle doit permettre d'agir rapidement, sans pour autant justifier toutes les atteintes imaginables aux garanties juridiques des citoyens. La question de l'urgence irrigue, depuis plusieurs décennies, le droit public du fait de deux phénomènes concomitants. Tout d'abord, les pouvoirs publics font face à une vague de crises les obligeant à avoir recours aux états d'urgence. En témoignent par exemple la mise en œuvre de l'état d'urgence issu de la loi du 3 avril 1955 entre 2015 et novembre 2017, ainsi que la création et l'application d'un état d'urgence sanitaire durant l'année 2020. Dans ces deux cas, une menace grave, terroriste d'une part et sanitaire d'autre part, a obligé l'exécutif à s'affranchir des procédures et garanties entourant son action. Mais le caractère contemporain de l'urgence est également le fait de la volonté de protection de leurs droits et libertés fondamentaux par les citoyens, volonté qui n'a cessé de s'approfondir au fil des années, au point de pousser le législateur à adopter des procédures accélérées de traitement des contentieux en cas d'atteinte grave auxdits droits et libertés. Ces deux phénomène concomitants mais contradictoires doivent donc être pris en compte par les institutions politiques et juridiques, qui sont poussées à protéger les citoyens, parfois en restreignant leurs libertés et parfois en les garantissant L'urgence est donc un concept à double-face : elle permet la restriction des libertés mais également leur protection. Cela démontre l'importance accordée à l'équilibre sur lequel repose le droit public, c'est-à- dire la sauvegarde de l'ordre public dans le respect des droits fondamentaux juridiquement garantis. Ainsi, si l'urgence est avant tout un concept protecteur de l'ordre public (I), sa dualité n'empêche pas l'intervention du juge dans le but protéger les libertés des citoyens (II). I – L'urgence, concept justificatif d'une protection renforcée de l'ordre public L'urgence justifie principalement la restriction des libertés des individus dans la mesure où elle est un sentiment qui justifie la mise en place d'un état d'exception (A), état d'exception dont l'état d'urgence fait partie comme le prouve son régime juridique (B). A – L'urgence comme sentiment justifiant la mise en place d'un état d'exception Le sentiment d'urgence anime de longue date la mise en place d'états d’exception, dont l'état d'urgence n'est qu'un exemple. L'urgence justifie donc la mise en place par le pouvoir exécutif d'un état d'exception. L'origine des états d'exception est glorieuse : le plus connu d'entre eux est certainement celui organisé par la République romaine, qui trouve son fondement dans le besoin d'un commandement unifié en temps de crise militaire. La dictature, nom de l'état d'exception romain, permettait en effet à un magistrat, c'est-à-dire un représentant élu par le peuple romain, de se voir confier les pleins pouvoirs pour un mandat ne pouvant excéder six mois. Le fond commun à tous les états d'exception est ici visible : il s'agit d'un droit à l'auto-défense de l’État qui, attaqué violemment, prend les mesures nécessaires pour répondre efficacement à l'attaque. Cette institution a été élevée au rang de mythe par le dictateur Cincinnatus qui, appelé par les sénateurs pour prendre le commandement de Rome dans sa guerre contre les Èques, retourna cultiver son champ directement après sa victoire, assurée en 16 jours. Mais si, chez les Romains, l'état d'exception est censé garantir l'ordre, cette institution connaît une mutation dans les États modernes qui font de la protection des libertés la condition même de leur existence : il ne s'agit plus de défendre l'ordre, mais l'ordre libéral. Si la liberté peut être limitée, c'est seulement en vue de la liberté elle-même. Les penseurs des Lumières, qu'il s'agisse de Montesquieu, dans L'Esprit des lois, ou de Rousseau, dans le Contrat social, estiment nécessaire la possibilité de suspendre la liberté pour la garantir dans le futur. C'est pourquoi les états d'exception sont, au moins partiellement, soumis à une forme de surveillance : ainsi, l'état de siège ne peut être prorogé au-delà de 12 jours que par une loi et les décisions prises durant un état d'urgence sont soumises a priori ou a posteriori au contrôle du juge administratif. Dans tous les cas, le fondement des états d'exception est celui de l'urgence, raison pour laquelle ils permettent de sortir du droit : le droit ne peut prévoir précisément toutes les situations, ce qui oblige des dispositions générales à se baser sur le « sentiment » de l'urgence. Par exemple, les dispositions de l'article 16 de la Constitution restent relativement vagues : il n'est nulle part inscrit que le Président de la République disposera de tous les pouvoirs en cas de tentative de coup d’État organisée par un « quarteron de généraux » basé à Alger ; de même, il est difficile de décrire précisément ce qu'est une « calamité publique » dans le cas de l'état d'urgence. Une situation de crise est plus facilement visible qu'elle n'est descriptible, raison pour laquelle l'urgence est avant tout un sentiment justifiant la mise en place d'un dispositif d'exception. Au sein de état d'exception justifiés par le sentiment de l'urgence, l'état d'urgence, qu'il soit général ou sanitaire, tient une place à part en droit public français. En effet, les lois du 3 avril 1955 et du 23 mars 2020 ne sont constituent que deux des dispositifs permettant de faire face à l'urgence. Le plus connu et le plus controversé desdits dispositifs est probablement celui prévu par l'article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958. Ce dernier prévoit qu'en cas d'atteinte grave et immédiate aux « institutions de la République, à l'indépendance de la Nation, à l'intégrité de son territoire ou à l'exécution de ses engagements internationaux », le Président de la République peut prendre « les mesures exigées par ces circonstances », ce qui implique qu'il dispose, pour une durée qui n'est pas constitutionnellement définie, des pleins pouvoirs, c'est-à-dire que les décisions qu'il prend peuvent avoir une valeur législative et donc être appliquées de plein droit par l'administration et ce sans qu'il soit possible d'exercer le moindre contrôle quant à la constitutionnalité desdites décisions. L'urgence justifie également la mise en œuvre de l'article 36 de la Constitution, qui prévoit la mise en œuvre d'un état de siège, dispositif permettant le transfert des pouvoirs de police de l'autorité civile à l'autorité militaire : assimilable à une loi uploads/Sante/ urgence-droit-publ.pdf

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  • Publié le Aoû 16, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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