Journal français d’ophtalmologie (2009) 32, 135—150 REVUE GÉNÉRALE Les collyres

Journal français d’ophtalmologie (2009) 32, 135—150 REVUE GÉNÉRALE Les collyres chez l’enfant et la femme enceinte ou allaitante : quelles difficultés et pourquoi ? Eyedrops in children and pregnant or breast-feeding woman: why so many difficulties? M. Labetoulle ∗, G. Gendron, H. Offret Service d’Ophtalmologie, Centre Hospitalier Universitaire Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre Rec ¸u le 5 mai 2008 ; accepté le 19 d´ ecembre 2008 MOTS CLÉS Collyre ; Enfant ; Femme enceinte ; Femme allaitante Résumé L’utilisation des collyres chez l’enfant ou chez la femme enceinte ou allaitante se heurte à plusieurs difficultés, dont la rareté d’autorisation clairement établie et le manque de données scientifiques sur ces terrains. Ces deux difficultés sont en réalité intimement liées. En effet, les protocoles de recherche clinique incluent exceptionnellement des enfants ou des femmes enceintes, sauf si le produit est directement destiné à ces populations, ce qui est rare en ophtalmologie. En conséquence, les publications scientifiques ne donnent que très peu d’informations sur le bénéfice et le risque potentiels de ces collyres chez ces patients. Les autorités légales ne peuvent donc pas s’appuyer sur des données robustes pour autoriser ou à l’inverse clairement mentionner le danger de tel ou tel collyre. Pour cette raison, les résumés des caractéristiques du produit mentionnent le plus souvent des recommandations de prudence, donc en pratique d’éviction, sur ces terrains, alors même que la pratique clinique empirique suggère leur utilisation possible. L’analyse de ces difficultés souligne l’importance de la mise en place d’essais cliniques incluant ce type de patients, ou à défaut la nécessité de conférences de consensus ou équivalent pour faciliter la pratique médicale quotidienne par les praticiens. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Eye drops; Ophthalmic solutions; Summary The use of eye drops in a child or a pregnant or a breast-feeding woman is often difficult, since clearly established license and scientific data are rare. These two dif- ficulties are related. Indeed, clinical research programs exceptionally include children or pregnant/breastfeeding women, except when the product is directly intended for these ∗Auteur correspondant. Service d’Ophtalmologie, Centre Hospitalier Universitaire Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France. Adresse e-mail : marc.labetoulle@bct.aphp.fr (M. Labetoulle). 0181-5512/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jfo.2008.12.003 136 M. Labetoulle et al. Infant; Pregnancy; Breast-feeding populations, unusual in ophthalmology. As a consequence, the scientific publications give very little information on the balance between benefit and risk in these patients. Legal authorities therefore cannot base authorization decisions on robust data or on the contrary clearly mention the danger of many ophthalmic solutions. For that reason, the summaries of the characteristics of the product most often include precautionary recommendations, in practice a rejection, even when the empirical clinical practice suggests their possible use. The analysis of these difficulties underlines the importance of conducting clinical trials including this type of patient or, failing that, the necessity of consensus conferences to facilitate physicians’ daily medical practice. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction La prescription de collyres chez l’enfant, ou la femme enceinte ou allaitante, est souvent délicate, et peut poser divers soucis à l’ophtalmologiste en pratique quotidienne. Les études cliniques ayant prouvé l’efficacité des collyres dans ces périodes de vie particulières sont fort peu nom- breuses, de même que les conférences de consensus sur les pathologies oculaires pédiatriques. Cette absence de données scientifiques et les possibilités de modifications du métabolisme sur ces terrains, poussent les autorités de santé à ne pas autoriser clairement nombre de collyres chez l’enfant ou la femme enceinte ou allaitante, tel que l’on peut le constater dans les résumés des caractéris- tiques du produit (RCP) mentionnant les données de l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), consultables dans le dictionnaire VIDAL. Nombre de ces restrictions ne reposent que sur un manque de données médicales au moment de l’enregistrement du médicament. Plusieurs types de traitements ophtalmologiques peuvent être proposés chez l’enfant et la femme enceinte ou allaitante : il peut s’agir d’applications topiques (col- lyre, gel, pommade, insert), d’injections péri-oculaires (sous-conjonctivale, sous ténonienne ou latéro bulbaire) ou encore de traitement par voie générale (orale ou injectable). Nous disposons donc de nombreuses possibilités thérapeutiques, mais peu sont validées dans ces groupes particuliers de patients. Nous proposons une mise au point sur les données actuellement disponibles dans les RCP officielles et une discussion sur les raisons de ces difficultés. Les données actuelles sur l’utilisation des traitements oculaires en pédiatrie Le Tableau 1 recense les médicaments mentionnés dans le dictionnaire VIDAL comme contre-indiqués chez l’enfant. On observe une certaine homogénéité concernant les col- lyres contenant un dérivé de l’épinéphrine chez les enfants de moins de 3 ans, de même qu’une contre-indication de l’apraclonidine (Iopidine®) chez les enfants de moins de 12 ou 15 ans en fonction de la concentration du collyre. On note en revanche que la brimonidine ne fait pas partie de ce tableau, alors même que l’on connaît le risque de troubles du comportement, pouvant évoluer vers un état léthargique voire comateux chez l’enfant de moins de 6 ans ou moins de 20 kg [1]. D’autres traitements relèvent d’après les RCP de simples précautions chez l’enfant sans contre-indication formelle (Tableau 2). Si les données scientifiques qui sous-tendent ces précautions ne sont pas toujours indiscutables, force est de constater que le législateur a observé une certaine logique. Dans la classe des bêtabloquants, toutes les spé- cialités actuellement sur le marché sont soumises à une mesure de précaution chez l’enfant de moins de 15 ans, ainsi que tous les collyres contenant de la pilocarpine ou des produits à propriétés mydriatiques comme l’atropine à 1 % ou la dipivéfrine (Propine®). On remarque cependant que ces précautions ne sont pas suivies en pratique quotidienne, puisque bon nombre d’enfants sont examinés sous cycloplé- gie par l’un de ces deux médicaments, bien avant l’âge de 15 ans. De même, les bêtabloquants sont fréquemment utilisés dans les hypertonies oculaires des sujets jeunes, à condition bien entendu de respecter les contre-indications, notam- ment l’asthme. On note aussi que l’oxybuprocaïne, elle aussi largement utilisée tous les jours et sans effet indésirable majeur, devrait faire l’objet de précautions chez l’enfant de moins de 15 ans. On note enfin que la rimexolone (Vexol®) ne doit pas être donnée chez l’enfant de moins de 30 mois, alors que les spécialités contenant de la dexaméthasone, pour- tant nettement plus hypertonisantes, ne relèvent d’aucune précaution officielle chez l’enfant. Il est probable que cette restriction soit liée au moindre recul sur le risque d’un éventuel passage systémique de la rimexolone (aucun autre médicament n’utilise cette molécule), alors que les effets indésirables d’un éventuel passage systémique de dexa- méthasone sont bien identifiés. Enfin, certains collyres de carbomères 980 ne devraient être donnés qu’avec précau- tion chez l’enfant de moins de 15 ans alors qu’il n’en est rien pour d’autres spécialités de la même classe thérapeutique. À l’inverse, certains risques sont clairement identifiés et indiqués comme tels dans les RCP . C’est le cas des bêtablo- quants chez l’enfant nouveau-né d’une mère traitée par ces collyres (Tableau 3), en raison des risques de modification des fonctions cardiaques et pulmonaires à la naissance par sevrage du nouveau-né, ce qui n’est que le reflet du passage systémique significatif après instillations de bêtabloquants. Rappelons qu’ils réduisent en moyenne de 10 points la fré- quence cardiaque chez les patients traités. Le fœtus d’une mère traitée rec ¸oit donc probablement une dose, certes minime, de bêtabloquants lorsque la mère est traitée pour un glaucome. Puisque les RCP mentionnent un certain nombre de collyres soumis à contre-indications ou précautions chez Les collyres chez l’enfant et la femme enceinte ou allaitante 137 Tableau 1 Spécialités ophtalmologiques en application locale contre-indiquées chez l’enfant, d’après les données des RCP disponibles dans le dictionnaire Vidal (version mars 2008) (DCI = Dénomination commune Internationale). DCI Nom commercial Enfant de moins de 1 an Cyclopentolate Skiacol® 0,5 % Calendula + Euphrasia + Magnesia Homéoptic® Enfant de moins de 3 ans Phényléphrine + acide borique Boroclarine® Naphazoline + méthylthioninium Collyre bleu Laiter® Synéphrine + chlorhexidine Dacryne® Phényléphrine + chlorhexidine Isodril® Synéphrine + framycétine Polyfra® Phényléphrine + chlorhexidine Visiodose® Enfant de moins de 12 ans Apraclonidine Iopidine® 0,5 % Enfant de moins de 15 ans Apraclonidine Iopidine® 1 % Sujet prépubertaire Nandrolone Kératyl® Tableau 2 Spécialités ophtalmologiques en application locale devant faire l’objet de précautions pour une prescription chez l’enfant, d’après les données des RCP disponibles dans le dictionnaire Vidal (version mars 2008). DCI Nom commercial Nourrisson de moins de 1 an Ciprofloxacine Ciloxan® 0,3 % pommade Tobramycine + dexaméthasone Tobradex® Nourrisson de moins de 30 mois Povidone Iodée Bétadine® 5 % Rimexolone Vexol® 1 % Enfant de moins de 4 ans Azélastine Allergodil® 0,05 % Iodoxamide trométamol Almide® 0,1 % Acide N-acétyl-aspartyl-glutamique Naabak® 4,9 % Naaxia® 4,9 % Enfant de moins de 6 ans Nédocromil Tilavist® 2 % Enfant de moins de 8 ans Chlortétracycline Auréomycine® 1 % Enfant de moins de 12 ans Polymyxine + framycétine + synéphrine Polyfra® Enfant de moins de 15 ans Atropine Atropine Faure® 1 % Dipivéfrine Propine® 0,1 % Cyclopentolate Skiacol® 0,5 uploads/Sante/collyres-chez-l-x27-enfant-femme-enceinte-et-allaitante 1 .pdf

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  • Publié le Fev 25, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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