Le rire de la Joconde - 1 - LOÏCK ROCHE LE RIRE DE LA JOCONDE Essai sur le suic
Le rire de la Joconde - 1 - LOÏCK ROCHE LE RIRE DE LA JOCONDE Essai sur le suicide Contact : Loïck Roche lroche1240@yahoo.fr Loïck Roche, AMP (Harvard), est diplômé de l’ESSEC, docteur en psychologie, docteur en philosophie, et titulaire d’une habilitation à diriger des recherches (HDR) en sciences de gestion. Le rire de la Joconde - 2 - À Dieter Le rire de la Joconde - 3 - « Je vais entrer dans la difficile tâche de vous faire entendre, disons…, quelque chose… » (Lacan) § « La mort est du domaine de la foi [silence prolongé] ; vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien sûr. [Silence prolongé] Ça vous soutient ! [Silence prolongé] Si vous n’y croyiez pas [silence prolongé] ; est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? » § Louvain, 1972, Université catholique. Quitte à parler de la mort… Celui qui parle là (part là !), qui apostrophe, dans une salle trop exigüe, obligeant les personnes présentes à s’asseoir à même le sol — mais il aimait ça —, c’est Lacan. Un Lacan, loin encore de celui dont on sait, qu’au soir de sa vie (il est mort en 1981), il frappait ses patients à coups de canne (Lacan-ne !). Des patients qui, de son point de vue, Le rire de la Joconde - 4 - ne voulaient pas ouvrir, comme le dit Jean-Baptiste Pontalis, ce que Lacan appelait leur « comprenoir ». Ce même jour à Louvain, lorsqu’il se fera bousculer par un étudiant — un étudiant qui renversera la carafe d’eau sur ses notes, jettera celles-ci, balayant tout sur le bureau —, Lacan analysera ce geste dans un raccourci saisissant comme étant… un acte d’amour ! § Là tout autant, beaucoup de ce qui se joue dans le suicide… § « Je suis de plus en plus convaincu, écrit Harold Searles (L’effort pour rendre l’autre fou), que, dans le nombre des facteurs situationnels qui influent sur les capacités affectives de l’être humain, il n’en est pas de plus puissant que le simple fait suivant : pour chaque individu, cette chose complexe qu’est la vie, cette chose qui nous fascine, nous torture, nous excite, nous ennuie, nous rassure et nous effraie, qui comporte ses moments de paix toute simple et ses moments de tourment complexe, tout cela prendra Le rire de la Joconde - 5 - inévitablement fin un jour. » § « Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, a poursuivi Lacan, avec toujours ses silences prolongés, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ? [Silence prolongé] Néanmoins, ce n’est qu’un acte de foi. [Silence prolongé] Le comble du comble, c’est que vous n’en êtes pas sûrs. [Silence prolongé] Pourquoi est-ce qu’il n’y en aurait pas un ou une qui vivrait jusqu’à 150 ans, mais enfin quand même. [Silence prolongé] C’est là que la foi reprend sa force. [Silence prolongé] Vous savez, moi, ce que je vous dis là, c’est parce que j’ai vu ça. [Silence prolongé] Y’a une de mes patientes, y’a très longtemps de sorte qu’on en entendra plus parler, sans ça je ne raconterai pas son histoire, elle a rêvé un jour que l’existence rejaillirait toujours d’elle-même. [Silence prolongé] Le rêve pascalien. Une infinité de vies se succédant à elles-mêmes sans fin possible. [Silence prolongé] Elle s’est réveillée presque folle. [Silence prolongé] Elle m’a raconté ça. Je vous assure que je ne trouvais pas ça drôle. » § Le rire de la Joconde - 6 - « L’angoisse de la finitude de la vie est trop lourde à supporter si l’on est pas fortifié par l’idée que l’on est une personne totale, et que l’on est, grâce à cette totalité, capable de participer totalement à la vie — capable de s’éprouver comme faisant partie de cette totalité collective qu’est l’humanité, dont chaque membre est confronté au sort commun. Un individu ne peut supporter la perspective de la mort inévitable tant qu’il n’a pas pleinement vécu. » (Harold Searles, L’effort pour rendre l’autre fou) § « Comme la flèche au but, et nous ne le manquons jamais, […] nous savons, écrivait Albert Caraco dans le Bréviaire du chaos, que nous allons mourir, n’importe quand, n’importe où, [de] n’importe [quelle] manière. » § Si nous l’ouvrons notre « comprenoir », ce qu’il faut entendre par-là est ceci : c’est que la mort, comme le dit Michel Serres, « est notre [grande] institutrice. » Quant à la vie, elle…, et c’est bien là le plus important, elle n’est supportable que parce que nous savons… Que parce que Le rire de la Joconde - 7 - nous savons qu’elle s’arrêtera bien (ou mal !) un jour. C’est là la place du suicide ! § Le suicide n’était pas étranger à Lacan, des rumeurs circulaient : « Il paraît qu’il y a beaucoup de suicides chez Lacan. » « En acceptant d’écouter ceux qui allaient mourir, a écrit Pierre Rey (Une saison chez Lacan), [Lacan] était l’un des très rares à accepter le risque de leur inéluctable cassure. Presque aucun autre analyste, pour ne pas entacher d’un décès sa carte de visite, ne se serait hasardé, ne fût-ce qu’une fois, pour n’affronter qu’un seul de ses regards, à assumer le défi d’un de ces êtres-pour-la-mort. » « Les détresses de ce genre, poursuivait Pierre Rey, ne trouvaient jamais chez lui porte close. Dans les cas aigus de souffrance, il tenait la vie [des autres] entre ses doigts. […] Les eût-il desserrés, eût-il commis la moindre erreur d’appréciation, prononcé un mot maladroit, prolongé un silence, appuyé un regard au mauvais moment, tout pouvait basculer dans le néant : parmi ces condamnés avides de leur mort, voués à la mort, morts presque, et qu’il arrachait à la mort pour les ramener de très loin sur la rive, combien, sans son intervention, eussent survécus ? » Le rire de la Joconde - 8 - § Des patients passaient à l’acte. « Et après ? », aurait pu dire Lacan quand il ne disait « pire » encore — nous y reviendrons. On ne peut toujours aller contre l’inévitable. Contre ceux — les schizophrènes en sont — qui disent qu’ils vont se suicider. Des affirmations réitérées, des tentatives multipliées. Comme Hansi, un jeune schizophrène, ils peuvent descendre à un carrefour du taxi qui les ramène à l’hôpital de jour, marcher au milieu de la chaussée, se faire rabrouer par les klaxons, s’allonger sur les voies du tram. S’ils sont sauvés ce jour-là par les témoins, par le chauffeur de taxi qui savait bien qu’à accepter de telles courses il aurait des problèmes, ils finissent par « réussir ». Comme Hansi, un matin, ils se défenestrent… § « La vie, a écrit Cioran, est supportable uniquement avec l’idée qu’on puisse la quitter quand on veut. Elle est à notre discrétion […] que nous puissions quitter le spectacle quand nous voulons, c’est une idée exaltante. » Si nos pensées sont ambivalentes — comment pourrait-il en être autrement ? —, nous savons que, sur la vie, nous avons la Le rire de la Joconde - 9 - main. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans l’Empire romain, les proches de l’empereur qui souhaitaient se suicider devait lui en faire la demande. Ce que reprend, par exemple, Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien. § « Le suicide, a écrit Kant, est un acte libre. » « L’ultime liberté de l’humanité », pour le philosophe autrichien Jean Améry (de son vrai nom Hans Mayer), codétenu de Primo Levi à Auschwitz, dans un livre publié en 1976 sur le suicide. Cette liberté, c’est elle qui nous sauve ! Elle « ne dépend que de moi. Je la possède, a écrit Pierre Rey ; quitter la vie si le désir me déserte. » § Par le suicide, nous pouvons, quand bon nous semble, mettre fin à notre vie. « Sans l’idée du suicide, on se tuerait sur-le-champ ! », a écrit Cioran. Atteint de la maladie d’Alzheimer, Cioran est mort en 1995. La maladie expliquant peut-être cela, Cioran a « oublié » de se suicider. À moins qu’il n’ait délibérément renoncé à passer à l’acte. « On se tue toujours trop tard ! », disait-il. Cioran préférait écrire. En Le rire de la Joconde - 10 - quelque sorte : « Faites ce que j’écris, pas ce que je fais… » Des livres qui, pour lui, étaient « un suicide différé ». Quand l’écriture est, pour le coup, une vraie thérapie, antidote au suicide… Un baume aussi peut-être à un manque de courage ! § Pour « vivre sa vie », écrit Jean-Noël Cuénod, correspondant à Paris de la «Tribune de Genève» et de « 24 Heures », il faut disposer d’un savoir-mourir. § Si le suicide n’était pas dénoncé par l’Église (nous y revenons), on pourrait faire un lien avec la religion. Pour Jean-Noël Cuénod, c’est le message que chaque année… Pâques nous délivre. § La mort, comme du temps de Platon qui uploads/Sante/le-rire-de-la-joconde-essai-sur-le-suicide-loick-roche.pdf
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- Publié le Sep 28, 2022
- Catégorie Health / Santé
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