vendredi 10 avril 2015 Page 1 10/04/2015 Pourquoi pratiquer la forme dans un ar

vendredi 10 avril 2015 Page 1 10/04/2015 Pourquoi pratiquer la forme dans un art martial interne? Alix Helme-Guizon Quel est le but de la pratique d’un art martial interne? Le but d’une pratique martiale est initialement le combat au corps à corps. Mais avec l’arrivée des fusils en Asie, ces pratiques se sont transformées en “art”, dans lequel l’objectif n’est plus la victoire sur un autre dans un combat, mais le développement de soi, voire l’abandon de soi à la Voie (Tao). Aujourd’hui en Occident, les arts martiaux les plus connus sont ceux qu’on qualifie « d’externes » car ils sont basés sur la force de contraction musculaire, comme le kung-fu, le Viêt-vo-dao, le karaté, etc. On y pratique intensément le renforcement musculaire, afin d’obtenir de la puissance musculaire lors de combats de compétition codifiés pour éviter les blessures graves. Quand on parle d’arts martiaux, c’est souvent cette image là qu’on a en tête. Pourtant il existe un autre type d’arts martiaux dits « internes », car ils ne reposent pas sur cette puissante musculaire. Le Taijiquan en fait partie, aux côtés du Xingyi Quan, du Yi Quan et du BaGua Zhang. Quand on regarde un pratiquant d’art martial interne, il ne donne aucune impression de martialité. Georges Charles dit qu’un « boxeur1 » d’art interne ressemble à tout sauf à un boxeur. Il n’est pas physiquement impressionnant, et on le voit souvent pratiquer un enchainement de mouvements codifiés et lents sans partenaire, qu’on appelle la forme2. A quoi peut bien servir de pratiquer des gestes lentement et seul, si l’objectif est un combat ? Bien sûr aujourd’hui le « combat » du Taijiquan est très codifié, c’est devenu le tuishou, ou mains collantes. Néanmoins, ces deux aspects du Taijiquan semblent n’avoir aucun lien. Un art de santé ? Devant ce problème, certains vont jusqu’à dire qu’aujourd’hui le Taijiquan n’est plus martial, et serait devenu exclusivement une pratique de santé. Dans ce cas, comme il est long et difficile d’apprendre la longue forme d’une centaine de mouvements du Taijiquan, le Qigong est plus accessible. Le Qigong est une gymnastique médicale conçue pour la prévention des maladies, en se basant sur la médecine traditionnelle chinoise. Elle était prescrite par le médecin traditionnel, en complément des traitements à base de plantes ou d’acupuncture. Les enchainements de Qigong sont courts et assez faciles à mémoriser, ce qui les a rendu populaires ces dernières années. Pour ma part, je n’ai pas constaté que le Qigong apprenne à se mouvoir de façon fluide et harmonieuse, ni à se relier de façon ouverte au monde environnant ; mais j’admets qu’il serait injuste de le lui reprocher puisqu’il n’a pas été conçu pour cela, contrairement au Taijiquan. Un art de combat pacifique ? Quand on se penche sur les textes classiques du Taijiquan, il est souvent écrit qu’il s’agit de se mouvoir de façon fluide, sans effort, avec un mouvement continu et une grande attention à son propre mouvement et celui du partenaire/adversaire. Beaucoup de ces textes concernent le travail à deux (tuishou), et de ce fait, certains ont adopté une position opposée à la précédente. La forme n’est pour eux qu’une étape préliminaire au travail à deux, et doit être transformée quand elle ne correspond pas à la logique de ce travail à deux. 1 Taijiquan veut dire boxe du faîte suprême 2 Il existe en fait de nombreuses formes différentes vendredi 10 avril 2015 Page 2 10/04/2015 « Un art de santé et un art martial » : est-ce suffisant d’accoler les deux? Ne pouvant trancher entre ces deux positions extrêmes, beaucoup d’enseignants disent que le Taijiquan est à la fois un art martial et un art de santé, ou « qu’il y a plusieurs facettes et que chacun vient y prendre ce qu’il veut. » J’avais aussi cette position disant que le Taijiquan est à la fois un art de santé et un art martial, mais cette juxtaposition des deux aspects n’en fait pas un tout cohérent. Certes, je sentais bien que la pratique de la forme donne les bases fondamentales à la pratique à deux, et la pratique à deux donne de l’enracinement et un corps plus habité ; mais je n’arrivais pas à formuler le lien profond qui relie la pratique de la forme, du tuishou et des armes. Je restais dans la dualité entre martial et santé. Pourquoi rechercher un mouvement harmonieux et aisé ? C’est en lisant un livre de biomécanique3 pour l’entrainement des athlètes de haut niveau que j’ai trouvé la réponse. Johanne Elphinston était confrontée à un problème tout à fait différent du nôtre. Elle soignait des athlètes de haut niveau présentant des blessures répétitives, ou devait aider des athlètes à fort potentiel qui stagnaient dans leur progression. Par ailleurs, elle était frappée par le fait que les plus grands athlètes dans leurs meilleures performances semblent se mouvoir harmonieusement et apparemment sans effort, contrairement à leurs concurrents. Cela lui a semblé être la clé de la réussite. Son hypothèse a donc été que les blessures, la stagnation et l’impression d’effort pouvaient avoir la même cause, à savoir l’utilisation excessive de muscles inadaptés pour le mouvement souhaité. En effet, nous n’utilisons pas forcément les muscles les plus adaptés. Quand on nous a demandé pour la première fois de nous mettre debout et de marcher, on l’a fait en cherchant seulement la réussite. La qualité du geste, son aisance et sa fluidité n’ont pas été pris en compte. Comme ce schéma moteur nous réussit, on le conserve, qu’il soit optimal ou non. Ainsi, la plupart d’entre nous n’utilisons pas nos muscles de façon optimale pour se tenir debout. Au lieu de nous maintenir debout sans effort perceptible, grâce aux muscles stabilisateurs de la posture, nous utilisons d’autres muscles, qui sont moins efficaces dans cette tâche. On les appellera des muscles compensateurs de la posture, car ils compensent le manque d’activité des muscles stabilisateurs. Ils se contractent fortement pour compenser et peuvent devenir chroniquement trop tendus ou raccourcis. Par exemple, des muscles érecteurs de la colonne crispés sont très souvent associés au mal de dos. Pourtant si ce schéma est suffisant pour se tenir debout, on aura donc beaucoup de difficulté à réaliser des gestes complexes ou qui demandent de la force, car notre corps est trop « occupé » à tenir debout. En effet, les muscles compensateurs de la posture ne sont plus disponibles pour faire bouger le corps, alors que c’est leur fonction normale. Figure 1 : Muscles stabilisateurs et compensateurs sur la face postérieure du corps. 3 Johanne Elphinston « Stability, Sport and Performance Movement: Practical Biomechanics and Systematic Training for Movement Efficacy and Injury Prevention » Lotus Publishing [Anglais seulement] vendredi 10 avril 2015 Page 3 10/04/2015 Afin d’apprendre aux athlètes à bouger de la façon la plus efficace possible et sans se blesser, Johanne Elphinston a adopté une méthode radicale et très déroutante pour ses patients. Elle leur demande d’effectuer des gestes simples, sans puissance musculaire (donc sans rien dans les mains ni partenaire), et de les faire le plus lentement possible, et avec le plus d’attention possible aux sensations. Le but est de faire le moins d’effort possible, et de montrer une aisance dans le geste. (Ça vous rappelle quelque chose ?) Si le geste demande un effort ou que la personne de donne pas l’impression que c’est facile, alors elle lui donne un geste plus facile à faire. Il s’agit ainsi de repérer et d’éliminer les compensations, c’est-à- dire l’utilisation de muscles autres que ceux qui peuvent effectuer ce mouvement avec très peu d’effort. Après la lecture de ce livre, il me semble que un des objectifs majeurs du travail de la forme est d’apprendre à bouger de façon aisée, sans effort, en cessant d’utiliser certains muscles et en en réactivant d’autres. Le fait de ne pas utiliser les muscles appropriés n’est pas seulement un effort inutile, mais c’est aussi une entrave à nos mouvements ou une source de déséquilibre. En effet, spontanément, on utilise souvent des muscles puissants destinés à réaliser des mouvements, afin d’assurer notre équilibre, au lieu d’utiliser seulement les muscles stabilisateurs. Si on souhaite alors faire un mouvement, qui est normalement contrôlé par ces mêmes muscles, alors notre équilibre est compromis. Et si on souhaite garder l’équilibre, alors l’amplitude des mouvements sera réduite. Par exemple, on peut stabiliser les os de l’épaule sur lesquels s’articule l’humérus en utilisant énormément les muscles de la face avant du corps. Le cas le plus fréquent est l’utilisation excessive du grand pectoral, qui se raccourcit et donne des épaules enroulées vers l’avant, avec un haut du dos arrondi. Ou alors, on peut aussi utiliser de façon excessive le petit pectoral, et cela déplace l’omoplate. Dans ces deux cas, on sera limité dans les mouvements des bras vers le haut. Figure 2 : Muscles compensateurs dans la stabilisation de l’épaule, sur la face avant Il faut donc réapprendre à utiliser des muscles dits stabilisateurs pour leur confier à eux seuls notre équilibre, afin de libérer uploads/Sante/ pourquoi-pratiquer-la-forme-dans-un-art-martial-interne2 1 .pdf

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  • Publié le Nov 05, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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