1 ENSEIGNER LA CULTURE FRANCAISE A TAIWAN Serge Dreyer, Université de Tunghai,

1 ENSEIGNER LA CULTURE FRANCAISE A TAIWAN Serge Dreyer, Université de Tunghai, Lecteur de français, Doctorant en Sciences du Langage Taichung, Taiwan. Résumé: L'enseignement de la culture dans les cours de langue est souvent contraint par le langagier. Il perd ainsi en cohérence et souvent en attrait. Un grand nombre d'enseignants du "terrain" s'appuient souvent sur le manuel ou sur leur propre expérience pour diffuser une image de la culture française susceptible de motiver leurs apprenants pour les cours de français. La recherche en didactique du français langue étrangère a considérablement perfectionné ses outils d'investigation en s'appuyant notamment sur d'autres sciences humaines. Cependant, on constate un peu partout, un décalage entre le discours de la recherche et les enseignants. A partir de notre expérience professionnelle et des recherches conduites à Taiwan, nous avons examiné la question sensible du temps disponible pour l'enseignement de la culture dans le cours de langue. Nous avons proposé une réflexion approfondie sur ce thème qui est souvent négligé par la recherche mais qui déborde de partout dans les préoccupations des enseignants. Introduction La réflexion didactique sur l'enseignement de la culture dans les cours de langue française a pris son essor au début des années 80 (J.-C. Beacco, S. Lieutaud, 1981; L. Porcher, 1986; G. Zarate, 1986; Abdallah-Pretceille, 1986). Cette situation n'est certainement pas étrangère à l'impression diffuse en France d'un "essouflement" du rayonnement de la langue française dans le monde, notamment face à la montée de l'anglais. Mais elle constitue également une tentative de réponse aux préoccupations de nombreux enseignants du terrain qui constatent, dans une grande partie du globe, l'attrait de la culture française pour leurs apprenants. Ils y voient, non sans raison, une parade au déclin du français. On constate toutefois que, dans le domaine de la culture, un fossé important subsiste entre chercheurs et enseignants. On s'intéressera donc brièvement dans un premier temps au culturel présent dans les manuels qui nous servira en quelque sorte d'étalon. On examinera ensuite certains apports de la recherche et les prises de position du terrain à travers notre expérience professionnelle à Taiwan. On conclura enfin sur la question extrêmement sensible du temps imparti au culturel dans les cours de langue. 1. La culture dans les manuels de français: état des lieux Jean-Claude Beacco (2000) a décrit le rôle des manuels dans ce qu'il appelle les principes fondateurs de la "méthodologie ordinaire" de l'enseignement de la culture. Il remarque d'abord que langue et culture s'inscrivent dans une vision globalisante, l'indifférenciation langue-culture jouant systématiquement en faveur du langagier "Des supports à forte teneur culturelle […] sont souvent exploités pour leurs potentialités langagières ou, plus sommairement, parce qu'ils peuvent susciter des prises de parole indifférenciées (l'ardente obligation de faire parler!)" (2000, p.76). Les démarches de comparaison et d'interprétation des données se révèlent faibles et sont souvent orientées dans la classe vers la création de débats d'opinion à dominantes langagières. Ces débats sont souvent décontextualisés et favorisent les surgénéralisations (p.79). Il déplore également le caractère de non-systématicité du culturel qui apparaît souvent sous forme de thèmes (les 2 Français et la famille) mais dont la cohérence interne est fragilisée par les contraintes des activités langagières (p.80). Le peu d'activités propres aux dimensions culturelles complète un tableau certes généralisateur du culturel dans les manuels mais dont le bien-fondé s'avère globalement observable par les enseignants. 1-1 L'apport de la recherche On ne retiendra que quelques points tant l'apport théorique est à la fois riche et complexe. On se penchera notamment sur la question du rapport entre la langue et la culture. Prenant appui sur la théorie dite de Sapir et Whorf, les didacticiens sont unanimes pour affirmer le lien indissociable entre langue et culture. Louis porcher l'affirmait solennellement en 1982 (pp.39- 40) "On a répété à satiété que ces deux concepts [langue et civilisation] ne se comprenaient que l'un par l'autre, qu'ils se définissaient mutuellement. […] Il s'en déduit que l'enseignement de la langue et celui de la civilisation doivent se mener de pair, conjointement. En toute rigueur, il est impossible qu'il en aille autrement…". Il s'empressait cependant de poser les questions de l'applicabilité intégrale sur le terrain de cette théorie. On retrouvera chez Beacco (2000, p.13) un questionnement fort de tout intégrisme didactique pour l'enseignement de la culture en prônant " d'autres démarches d'enseignement, qui soient adaptées aux exigences des systèmes éducatifs, des enseignants comme aux attentes et aux rêves d'ailleurs des apprenants". Ces prises de position nous paraissent constituer des temps forts pour l'enseignement du culturel dans la classe de langue car elles libèrent les enseignants des contraintes du linguistique grand consommateur de temps. Elles réintroduisent les conditions de production de l'enseignement, notamment le rôle des institutions, et elles redonnent place aux convictions éducatives des enseignants. Elles suggèrent en particulier une dimension fantasmatique des attentes des apprenants que les prétentions scientifiques de la didactique des langues et des cultures ont souvent tendance à évacuer de leur rationalité. Autrement formulé, l'accès à la culture française ne passe plus incontournablement par des taxonomies savantes (culture cultivée/culture populaire, culture sexuelle, culture générationnelle) empruntées à d'autres domaines (anthropologie, sociologie, psychologie). Le simple désir des apprenants devient alors une considération à prendre en compte dans le choix des thèmes, l'élaboration des parcours culturels dans la classe. Ce désir dépasse la simple problématique de l'offre et de la demande car il introduit subrepticement la possibilité d'une négociation continuelle entre enseignants et apprenants avec à l'arrière plan la notion de marché.. En effet, si l'on pousse la logique de cette proposition jusqu'au bout, le désir peut à tout instant introduire l'imprévu dans la classe et bousculer les syllabus. La situation devient délicate quand ce désir entre en conflit avec les convictions des enseignants qui sont aussi des croyances (Woods, 1996) et donc pour partie des désirs. La gestion de la classe devient alors une opération complexe qui, croyons-nous, nécessite une réflexion théorique approfondie pour laquelle les enseignants ne sont généralement pas préparés. Se posent également les questions de méthodologie, de cohérence, d'exhaustivité, des compétences culturelles à mettre en place mais que nous ne discuterons pas ici. La didactique a fourni dans ces domaines un gros effort de réflexion qui s'est notamment formalisé dans les propositions du Cadre européen commun de référence (1996). 1-1 Le terrain Sans prétention à une quelconque représentativité pour l'Asie, nous avons mené une enquête auprès de seize enseignants de français, enseigné en langue optionnelle, dans le milieu universitaire taiwanais, dans le cadre d'une recherche doctorale. Parmi les enseignants français ou locaux, seuls deux d'entre eux affirment mener un enseignement systématique de la culture dans les cours de français, le reste se contentant d'informations à la volée ou des entrefilets culturels du manuel. Nous entendons par systématique, la présence régulière de la 3 culture dans les cours de langue sur la longue durée (un semestre ou/et l'année universitaire), enseignée avec un minimum de cohérence méthodologique. Nous avons discuté avec eux des problèmes rencontrés pour mener à bien les activités culturelles dans la classe de langue. Les réponses sont unanimes pour accuser le manque de temps (3 heures de cours en général par semaine), le trop faible niveau linguistique de leurs apprenants (de véritables débutants en français) qui les empêcheraient de comprendre les subtilités de la culture française. Une bonne moitié affirme que la culture n'a pas sa place dans un cours de langue tandis que cinq d'entre eux avouent ne pas être formés pour cet enseignement. Une grosse majorité déplore le faible niveau des compétences culturelles de leurs apprenants, notamment la compétence analytique et interprétative. Au cours des entretiens prolongés avec les enseignants, on s'est en fait aperçu que ces derniers focalisent leur attention sur les connaissances encyclopédiques qu'ils considèrent lacunaires de leurs apprenants. Ils se plaignent en outre du désintérêt des étudiants pour la "culture cultivée" (Bourdieu) et pour la culture taiwanaise. Les apports de la didactique de la culture leur paraissent trop ésotériques: les théories abondent mais leur sembleraient inadaptées à leurs préoccupations quotidiennes. Quant aux finalités de l'enseignement, dans la plupart des cas, la culture semble servir de vague support motivationnel à l'enseignement de la langue. Ces considérations soulèvent tout un ensemble de problèmes dont nous ne retiendrons que le facteur temps qui nous paraît essentiel pour comprendre le décalage entre la recherche et le terrain. 2. Le temps qui passe et l'enseignement du français La recherche s'est beaucoup préoccupée des grandes problématiques de l'enseignement de la culture dans les cours de langue mais semble faire peu de cas du facteur temps. Il est souvent mentionné en passant quand il n'est pas carrément absent du discours didactique. Les enseignants du terrain ont souvent l'impression qu'on leur laisse un fardeau dont on ne sait pas quoi faire "en haut lieu". C'est ainsi que le terrain nous semble avoir pris l'habitude de se réfugier derrière le slogan "Et comment on fait avec x heures de cours par semaine?" pour justifier une minimalisation du culturel dans les cours de langue. 2-1 Les ambiguïtés du discours de la recherche et sa réception par le "terrain" uploads/Societe et culture/ 21-serge-dreyer-taiwan.pdf

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