LA POLITIQUE CULTURELLE AU MAROC Peut-être faudrait-il, avant d'aborder un tel

LA POLITIQUE CULTURELLE AU MAROC Peut-être faudrait-il, avant d'aborder un tel sujet, définir le sens des mots culture et culturels? Ils en ont au moins deux. Le sens large, celui de l'ethnologie ou, comme disent les Anglo-Saxons, de l'anthropologie culturelle, embrasse aussi bien un procédé technique ou une règle morale que les arts plastiques ou la poésie. Ce n'est pas celui que nous retenons ici, mais d'autre, beaucoup plus étroits, qui ne s'applique qu'aux valeurs intellec- tuelles et artistiques et qui s'appuie sur une échelle de valeurs et sur une sélection: les adjectifs cultivé et inculte indiquent bien que, dans une société donnée, tous les hommes ne sont pas considérés comme ayant accédé à cette culture ou comme y ayant atteint le même degré. Deux remarques encore. Le second sens n'exclut pas entièrement le premier. Un «musée des arts et traditions populaires» compte parmi les fréquentations d'un homme «cultivé ». Le rouet qui y figure, par exemple, peut n'avoir aucune valeur esthétique, et c'est donc un simple outil, relevant de la culture considérée dans son premier sens, le plus large. Mais le rouet n'est plus en usage et c'est par la médiation de l'histoire qu'il accède au domaine de la culture, au sens étroit du mot, tout comme les vieux « tacots» d'un musée de l'automobile ou les silex taillés d'un musée de la préhistoire. Notons, en second lieu, que si la «culture », au sens étroit, a long- temps été «élitiste» et l'est encore dans une large mesure, l'idéal démo- cratique veut qu'elle s'étende à la totalité des membres de la société et range le «droit à la culture» parmi les droits de l'homme. On ne connaît pas de régime qui proclame expressément qu'il réserve «la culture» à une catégorie déterminée de citoyens: s'il est vrai que les goûts et les dons des individus sont inégaux, l'Etat proclame partout qu'il entend donner à chacun des chances égales d'y accéder. Que les résultats - et même parfois les arrière-pensées - soient différents des intentions affichées, on ne le sait que trop. C'est qu'une politique culturelle ne saurait se suffire à elle-même et qu'elle reste étroitement tributaire des autres politiques, en particulier de l'économie. Aussi bien n'avons-nous pas l'intention d'établir un bilan de la politique culturelle du Maroc, autrement dit de porter sur elle un jugement. Un tel jugement devrait tenir compte des options prises au départ et ces options relèvent nécessairement d'une échelle de valeurs, qui n'est pas forcément la même chez l'observateur que dans la société observée. C'est aux Marocains, et à eux seuls, de juger. Nous nous contenterons, plus modestement, de 108 A. ADAM dresser un inventaire des institutions et des moyens mis en œuvre au ser- vice de la politique culturelle. Encore nous faut-il avouer une lacune considérable - et délibérée - dans cet inventaire. La politique de l'éducation ne fait pas seulement partie de la politique culturelle; elle en forme à coup sûr l'élément principal. Mais le morceau est trop gros pour que nous puissions lui accorder ici toute la place qui lui revient. Sans la passer entièrement sous silence - la chose ne serait pas possible - nous serons obligé de la supposer, dans une large mesure, connue et de n'y faire que des allusions ou de ne traiter que certains aspects qui ne sont pas propres à la seule politique scolaire. * ** Jusqu'en 1968, il n'y avait pas de ministère particulier qui fût chargé de la « culture ». Le «ministère de l'Education Nationale et des Beaux- Arts» en avait la responsabilité et l'exerçait au moyen de divers services hérités de l'ancienne «Direction de l'Instruction Publique» du Protectorat. C'est un décret du 8 juillet 1968 qui nomma un «ministre d'Etat chargé des affaires culturelles et de l'enseignement originel ». Le Premier titulaire fut M. Mohammed el-Fassi, alors recteur des Universités marocaines et qui avait été ministre de l'Education nationale dans le premier gouvernement du Maroc indépendant. Enseignement et «culture» étaient donc séparés, sauf en ce qui concerne l'enseignement dit «originel », c'est-à-dire les vieilles écoles traditionnelles, depuis les msîd-s (écoles coraniques) jusqu'à la Qara- wiyine. Les services culturels proprement dits étaient formés des bureaux qui, dans l'ancien ministère de l'Education nationale, concernaient autre chose que l'enseignement: bibliothèques, monuments historiques, musées, beaux-arts, etc. Pourquoi cette création nouvelle? Il ne fait pas de doute que la lourdeur croissante du ministère de l'Education nationale a été une des raisons déter- minantes de son éclatement: on a eu, d'ailleurs, depuis, un ministère de l'enseignement primaire, un ministère des enseignements secondaire et tech- nique, un ministère de l'enseignement supérieur (1). Le rattachement de l'enseignement originel au nouveau ministère de la Culture a été diversement interprété: certains y ont vu le simple souci d'étoffer les attributions d'un personnage aussi considérable qu'un «ministre d'Etat »; d'autres, peu convaincus de la sollicitude du régime envers le dit enseignement, pensaient qu'il s'agissait plutôt d'un «embaumement» précédant une mise en terre discrète; d'autres enfin le regardaient comme une étiquette un peu voyante collée sur une culture dont on ne devait pas douter qu'elle fût avant tout musulmane et arabe. C'est dire qu'on retrouvait là l'écho des discussions qui n'ont guère cessé depuis l'indépendance entre partisans et adversaires de la «double culture» et dont on reparlera plus loin. Mais il y avait peu (1) Regroupements et dissociations se sont succédés. Ainsi en 1969, un «ministère des Enseignements secondaire, technique et supérieur et de la formation des cadres» était confié à M. Guédira, l'enseignement primaire formant un ministère à part. LA POLITIQUE CULTURELLE AU MAROC 109 de Marocains cultivés à l'époque, qui ne crussent la création du nouveau ministère inspirée par l'exemple français, auquel le Général de Gaulle fournissait la garantie de son prestige et M. André Malraux l'éclat de son verbe. De même avait-on remarqué, quelques années plus tôt, les ressem- blances entre la constitution marocaine de 1962 et la constitution française de 1958. Faut-il voir à l'origine de ces correspondances l'imprégnation fran- çaise de tout le secteur moderne de la société marocaine? (2). M. Mohammed el-Fassi devait rester «ministre d'Etat chargé des affaires culturelles et de l'enseignement originel» jusqu'en août 1971. Dans le gouvernement formé le 11 août de cette année, apparaît un grand «ministère de la culture, de l'enseignement supérieur, secondaire et originel et de la formation des cadres », confié à M. Ahmed Laski, assisté d'un sous-secrétaire d'Etat, M. Mohammed Chafik. Pour reconstituer l'ancien ministère de l'Education nationale, il ne manquait au nouveau que l'ensei- gnement primaire, qui formait encore un ministère autonome, dirigé par M. Haddou Echiguer. Le 13 avril 1972, nouvelle modification: il y a un «ministère de la Culture, de l'Enseignement originel, supérieur et secondaire» (donc sans la «formation des cadres ») qui échoit à M. Habib el-Fihri. Le 20 novembre de la même année, on voit ressusciter le «ministère de l'Education natio- nale », mais sans la Culture, confiée à un «ministre des Habous, des Affaires Islamiques et de la Culture », qui est M. Mohammed Mekki Naciri. L'enseignement originel retourne à l'Education nationale. Enfin, le 25 avril 1974, la culture est séparée des Affaires islamiques et des Habous et revient à un «ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles », en la personne de M. Hajj M'hammed Bahnini (3). Sans doute ne faut-il pas chercher, à travers chacun de ces remanie- ments, une évolution de la «politique culturelle» proprement dite, dont il serait bien difficile, au fait, de retracer le cours. Ces changements sont souvent dictés par des considérations de personnes, ou le désir de répondre à telle ou telle exigence de l'actualité politique. En fait, les services qui relèvent à proprement parler de la Culture n'ont guère changé sous les avatars du Ministère lui-même. Au début de l'année 1974, celui-ci compre- nait trois directions, une de Habous, une des Affaires islamiques, et une des Affaires culturelles. Les bureaux qui composaient cette dernière se retrou- vent à peu près les mêmes depuis l'apparition du mot «culture» dans les titres ministériels, en dépit de regroupements divers. Mais la culture n'est pas toute entière administrée par le ministère de la Culture. D'autres ministères ou services (dont la composition et les rattachements sont fluctuants eux aussi) assument également des tâches culturelles importantes. C'est le cas du ministère de l'Education nationale ou de certains des ministères issus de son démantèlement, dont les seules tâches d'ensei- gnement n'épuisent pas les attributions; du Service de la Jeunesse et des (2) Cf. l'article «La France et nous >, publié dans la revue Lamalif, nO 23, octobre 1968. (3) L'enquête préparatoire à cet article a été faite en mars 1974, la Culture étant encore réunie aux Habous et aux Affaires Islamiques. 110 A. ADAM Sports, dont le blason est lui aussi sujet à métamorphoses (4); de la Radio-Télévision; du Centre cinématographique marocain, etc * ** La «Direction de la Culture» au ministère des Habous, des Affaires islamiques et de la Culture, étant l'organisme le plus proprement et le plus directement chargé des affaires culturelles, nous commencerons par elle. Elle comprend deux services: un service des uploads/Societe et culture/ politique-culturelle-au-maroc-en-1973-12-43.pdf

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