Gradhiva 18 (2013) Le monde selon l’Unesco ....................................
Gradhiva 18 (2013) Le monde selon l’Unesco ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Chiara Bortolotto L ’Unesco comme arène de traduction. La fabrique globale du patrimoine immatériel ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Chiara Bortolotto, « L’Unesco comme arène de traduction. La fabrique globale du patrimoine immatériel », Gradhiva [En ligne], 18 | 2013, mis en ligne le 01 décembre 2016, consulté le 09 décembre 2013. URL : http:// gradhiva.revues.org/2708 Éditeur : Musée du quai Branly http://gradhiva.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://gradhiva.revues.org/2708 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Cet article a été téléchargé sur le portail Cairn (http://www.cairn.info). Distribution électronique Cairn pour Musée du quai Branly et pour Revues.org (Centre pour l'édition électronique ouverte) © musée du quai Branly 18 2013 dossier L’Unesco comme arène de traduction La fabrique globale du patrimoine immatériel Cet article explore la fabrique globale du patrimoine immatériel en suivant la circulation de cette notion des échelles nationales aux arènes internationales de gouvernance, et vice versa. L’article présente d’abord le transfert de la catégorie patrimoniale japonaise du mukei bunkazai au niveau international, répondant en miroir à l’institution, grâce à l’Exposition universelle de 1873, de la notion européenne de beaux-arts au Japon. Puis sont abordées les adaptations du standard international du patrimoine culturel immatériel aux régimes patrimoniaux italiens et français. En retraçant les controverses, frictions et ajustements que suscitent ces traductions, nous voyons comment, malgré les efforts de normalisation prévus par une convention internationale, celle-ci n’échappe pas à la diversité culturelle inhérente à sa fabrication et à ses déclinaisons nationales. par Chiara Bortolotto 1 mots clés Unesco, patrimoine culturel immatériel, Japon, France, Italie 1. Cet article se fonde sur plusieurs terrains réalisés à partir de 2001 et sur le travail conduit dans le cadre d’un projet Marie Curie (ICHEUROPE, FP7-PEOPLE- 2009-IEF n° 252786) au Laboratoire d’anthropologie des mondes contemporains (Université libre de Bruxelles). dossier 52 Les effets du « surclassement » patrimonial (Fabre 2009) induits par l’inscription sur les listes internationales de l’Unesco sont aujourd’hui bien connus des anthropologues. Plusieurs travaux se sont attachés à montrer comment l’adoption de la « taxonomie globale » (Palumbo 2010) qui régit ces programmes instaure un mode standard de penser la diversité (Wilk 1995) et établit ce que Michael Herzfeld (2004) a défi ni comme une « hiérarchie globale des valeurs ». Les modalités de la création, à l’échelle internatio- nale, d’une telle taxonomie et son impact sur les institutions nationales qui l’appliquent demeurent en revanche moins explorées. Les questions que soulève l’analyse de cette fabrique globale du patrimoine sont à la fois inverses et complémentaires de celles qui concernent l’impact local des politiques de l’Unesco. Si, dans un cas, l’ethnologue est confronté à l’adé- quation des catégories « indigènes » au standard international, dans l’autre, il est frappé au contraire par le poids des approches nationales en termes de défi nition et gestion du patrimoine sur la construction d’une catégorie à visée universelle dont la mise en œuvre au sein des institutions de pays différents engendre par ailleurs des frictions. La construction d’un nouveau domaine du patrimoine au sein de l’Unesco, celui du patrimoine culturel immatériel (PCI 2), permet d’observer page précédente et ci-dessus fi g. 1 Pavillon des Arts à l’Exposition universelle de Vienne en Autriche, 1893. Wienbibliothek im Rathaus, Vienne. 53 L’Unesco comme arène de traduction. Par Chiara Bortolotto comment une catégorie souvent abstraitement qualifi ée de « globale » se dessine concrètement en fonction des forces qui travaillent l’Organisation et des tensions entre la norme internationale et les régimes patrimoniaux de ses États membres (Bendix, Eggert et Peselmann 2012). Pour « localiser le global » (Latour 2006) et suivre la chaîne des politiques du PCI, je m’appuierai sur une ethnographie multi-échelles menée parallèlement à l’Unesco et au sein des institutions françaises et italiennes chargées de l’application de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (Unesco 2003). Les interactions observables dans ces situations complexes de circulation, négociation et traduction de principes et valeurs patrimoniaux différents permettent d’une part de comprendre comment une catégorie globale se construit par l’infl uence de modèles spécifi ques ancrés dans l’histoire et la culture institutionnelle de différents États, d’autre part d’inter- roger les « faux amis » et les « traductions imparfaites » (De Cesari 2012) des déclinaisons nationales d’un langage universel. Les mythes fondateurs du PCI Le dixième anniversaire de la Convention donne aujourd’hui l’occa- sion à une grande diversité d’acteurs (ONG, chercheurs, États) de faire un premier bilan de ses évolutions. Le secrétariat de l’Unesco a rassemblé pour l’occasion une série de documents qui témoignent des étapes de l’émergence de cette notion au sein de l’Organisation, tout en établissant une historiographie certifi ée de l’institution du PCI. L’étiologie de l’Unesco, reprise et solennisée dans cette chronologie, fait remonter l’« invention du PCI » à une lettre adressée en 1973 à son directeur général par le ministre des Relations extérieures et des Cultes de Bolivie. Ce document propose de mettre au point un instrument international permettant de protéger le folklore dans le monde, et invite à « incorporer à la législation internationale […] quelques-uns des principes dont s’inspirent les lois boliviennes ». Le ministre bolivien suggère également la création d’un « Registre internatio- nal des biens culturels folkloriques » et l’ajout d’un protocole à la Convention de Genève « qui déclarerait propriété des États membres les expressions culturelles d’origine collective ou anonymes qui ont été élaborées ou ont acquis un caractère traditionnel sur leur territoire » (République de Bolivie, ministre des Affaires étrangères et de la Religion 1973 ; Hafstein 2011). Un autre événement, considéré par certains comme fondateur, est la mobilisation impulsée en 1997 par l’écrivain espagnol Juan Goytisolo pour sauver la place Jemâa el-Fna de Marrakech de « l’envahissement d’un moder- nisme abusif » (El Houda 2001 : 216) représenté par des projets immobiliers et urbanistiques. En conservant cette place, où se produisaient des conteurs, des charmeurs de serpents et des acrobates, l’écrivain espagnol et un groupe d’intellectuels marocains constitués en association entendaient protéger un « monde épique disparu d’Europe » (Goytisolo cité dans El Houda 2001). Cette mobilisation a abouti à la défi nition du nouveau concept de « patri- moine oral de l’humanité » et la création d’une distinction internationale a été recommandée à l’Unesco. Avec le soutien de plusieurs autres États, l’action du Maroc auprès de la Conférence générale et du Conseil exécutif de l’Unesco a abouti, en 1999, à la mise en place du programme de la Proclamation des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité, ancêtre de la Convention de 2003 (Skounti 2009). 2. La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel défi nit le PCI comme « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fi ns de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable. » (Art. 2.1) dossier 54 55 L’Unesco comme arène de traduction. Par Chiara Bortolotto fi g. 2 Bijutsu Kan, la galerie des Beaux-Arts, Tokyo, 1877. D’après le site web de la National Diet Library. dossier 56 57 L’Unesco comme arène de traduction. Par Chiara Bortolotto Enfi n, au début des années 2000, le programme des « Trésors humains vivants » était présenté dans les assemblées de l’Unesco comme précurseur du PCI. Cette fois, c’est un pays asiatique qui en est à l’origine : en 1993, la Corée a proposé au Conseil exécutif la création de listes nationales de « personnes qui excellent dans le domaine de la culture tra- ditionnelle et populaire » et d’une liste mondiale des Trésors humains vivants établie par un comité aux fonctions analogues à celles du Comité du patrimoine mondial. uploads/Societe et culture/ chiara-bortolotto-l-x27-unesco-comme-arene-de-traduction-la-fabrique-globale-du-patrimoine-immateriel.pdf
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- Publié le Oct 09, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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